Une fois loin de chez eux, les groupes de touristes chinois sont des proies faciles pour des guides peu scrupuleux qui les forcent à dépenser des sommes colossales en les enfermant dans de grands magasins complices.

1800 yuans (209 euros) en tout pour aller passer 5 jours à Hong Kong, logés dans un hôtel 5 étoiles. L’offre était pour le moins alléchante, et Mme Ma, retraitée Pékinoise, a sauté sur l’occasion. Mais une fois sur place, elle a dû déchanter.
« Elle est revenue traumatisée, se souvient Xiancheng, sa fille. Elle ne voulait pas m’en parler, mais elle s’est disputé avec mon père à propos de ça, au point qu’ils ont failli divorcer« .
Au fil du temps, à force d’insistance, Xiancheng a réussi à comprendre ce qui était arrivé à sa mère à Hong Kong.
« Sur place, ils avaient passé les trois quarts du temps dans les différents magasins où le guide les emmenait, explique la jeune femme. Certaines fois, ils étaient enfermés à l’intérieur, et ne pouvaient ressortir qu’à condition d’avoir acheté un certain nombre de choses. Ma mère m’a dit que des vigiles en arme postés à la porte les effrayaient et leur proféraient des menaces« .
Résultat : Mme Ma est revenue chargée de faux bijoux, de montres et d’autres babioles. Elle avait dépensé près de 15 000 yuans (1683 euros).
« Pour mes parents, qui ne gagnent que 2000 yuans par mois à eux deux, le coup a été dur« , se souvient Xiancheng.
Rien de surprenant
L’histoire de Mme Ma paraît incroyable. Mais pour les Chinois, elle n’a rien de surprenant. La situation est bien connue, et perdure depuis des années.
Cet été, la presse s’en est encore fait l’écho à plusieurs reprises, replaçant le problème au centre des préoccupations publiques.
Tout a commencé en mai dernier, avec la mort d’un joueur de l’équipe nationale de ping pong à Hong Kong. Chen Youming était décédé d’une attaque cardiaque lors d’une altercation avec un guide touristique qui voulait le forcer à acheter. L’affaire avait choqué l’opinion publique.
Le 8 juillet, le Global Times rapportait le cas de quatre touristes de Chine continentale « abandonnés » par leur agence de voyage à Shenzhen après leur refus d’aller faire du shopping.
L’agence avait annulé les billets de retour en arguant qu’en refusant de se rendre au centre commercial, ils avaient « rompu le contrat« .
Une vidéo non datée a également suscité l’indignation des internautes. Largement diffusée sur Internet, elle montrait une guide touristique insultant et menaçant les touristes présents.
« Si vous ne faites pas du shopping, ce soir je vais fermer votre hôtel à clef« , menaçait la jeune femme, ajoutant « j’ai payé l’hôtel et le restaurant pour vous. Si vous ne me remboursez pas dans cette vie, vous me rembourserez dans l’autre monde, après votre mort« .
Après la diffusion de la vidéo, la guide a été licenciée par son agence de voyage. Mais les pratiques demeurent largement.
Le gouvernement patauge
L’année dernière, après de longues années sans réagir, le gouvernement chinois s’était enfin décidé à légiférer sur la question. Forcer les touristes à faire du shopping est donc devenu illégal, et le Conseil des Affaires d’État a interdit aux agences de vendre les voyages à perte.
Vendant en dessous du prix réel à des touristes crédules, celles-ci comblaient ensuite le manque à gagner avec les commissions reversées par les grandes surfaces complices.
Un bureau spécial a été créé par l’Administration du Tourisme de Chine, qui avait rapidement établi une liste noire des agences de voyage. Mais il semble bien que ces régulations aient été inefficaces, et cette année encore, les abus se multiplient.
Sur une page ouverte spécialement par le Quotidien du Peuple en ligne, on trouve des dizaines de témoignages de touristes désespérés cherchant de l’aide. Le Quotidien du Peuple explique transférer les plaintes à l’Administration du Tourisme.
Mais au niveau juridique, si ces pratiques sont désormais condamnées par la loi, dans les faits il est tout à fait improbable d’obtenir réparation : la loi demande aux plaignants de prouver qu’ils ont été forcés à l’achat, ce qui est extrêmement difficile.
La précarité des guides et la corruption en cause
Le problème est d’autant plus dur à régler que ces pratiques sont également menées par de faux guides touristiques véritablement malhonnêtes ne possédant pas le permis d’exercer.
« C’est la précarité de l’emploi des guides et la suppression par les agences du système de pourboire qui les incite à arrondir ainsi leurs fin de mois« , a expliqué dans la presse le président du syndicat du tourisme de Hong Kong, Huang Jianyi.
Après avoir demandé aux autorités un renforcement du contrôle des agences, l’homme s’est vu répondre qu’il n’y avait pas assez de personnel disponible.
« Tout le monde est au courant de ces pratiques, et les autorités n’ont pas l’air d’être pressées de les éradiquer, soupire Xiancheng. Moi je pense que quelque part, cela les arrange« .
Devant la persistance du problème, certains se demandent s’il ne serait pas volontairement maintenu par un système corrompu, voire même par les triades. Et en attendant qu’une solution soit trouvée, le racket organisé continue.