Michel Rolland, la star des oenologues français, s’attaque désormais à la Chine. Il multiplie les séjours pour améliorer la qualité des crus chinois, qui, selon lui, peuvent bouleverser le monde du vin.

Quel est l’objet de votre présence en Chine ?
Je viens en Chine deux fois par an comme consultant pour le groupe chinois d’agro-alimentaire Cofco, propriétaire de la marque Great Wall, premier producteur de vins en Chine avec 140 millions de bouteilles par an ! Je ne suis pas consultant pour ces 140 millions de bouteilles mais, avec mon assistant nous essayons de développer un programme d’amélioration des vins dans certaines des propriétés de la marque : Junding, Hua Xia, Sun Gold.
Pourquoi le géant Cofco est -il venu vous chercher à Pomerol ?
C’est une coïncidence ! J’étais le conseiller du Château de Viaud à Lalande de Pomerol et lorsque le groupe Cofco a racheté ce château, ses dirigeants ont confirmé cette collaboration et ont souhaité l’étendre en Chine sur certaines de leurs productions pour former leurs équipes, les sensibiliser à la qualité des vins et faire en sorte qu’elles fassent des vins de qualité. C’est pour cela que je suis venu en Chine !
Améliorer la qualité des vins chinois, c’est votre valeur ajoutée ?
Il faudra quand même un peu de temps pour y arriver. La Chine est une machine en marche et elle ne s’arrêtera plus . La consommation de vin y augmente tous les ans et va continuer à augmenter. Il faut également que le nombre de consommateurs augmente. J’ai toujours considéré que pour cela, il fallait produire des vins qui puissent les intéresser ou leur faire plaisir. Les Chinois, comme toutes les populations du monde commenceront par boire des vins chinois et pour cela il faut que ces vins soient décents à la consommation. Je ne dis pas que l’on fera des grands vins en Chine car il y a des problèmes climatiques mais je pense que l’on peut faire bien meilleur. L’intérêt de toute la production mondiale c’est d’essayer de faire en Chine des meilleurs vins. Nous y travaillons avec mes collaborateurs pour améliorer les vignobles et la façon de faire les vins pour que les chinois qui boivent du vin chinois aient envie de consommer du vin et s’ils ont envie de consommer du vin un jour ou l’autre ils viendront consommer des vins d’autres pays de la planète.
Comment avez- vous vu évoluer le marché du vin en Chine ?
Je suis venu en Chine la première fois en 1996 et ce marché, je ne l’ai pas vu évoluer je l’ai vue naître car il n’existait pas sauf à Hong Kong. J’ai vu naître la consommation en Chine ainsi que sa croissance qui est toujours exponentielle. C’est un marché phénoménal pour la production de vin dans le monde, on ne peut que s’en réjouir ! Sur ce marché, il y a peut être 300 millions de personnes avec le pouvoir d’achat et l’envie culturelle de connaître le vin. 300 millions, c’est quand même quatre fois le potentiel que nous avons en Europe ! Les Chinois consommeront de plus en plus de vin car c’est une volonté étatique. Les chinois ont un problème relationnel avec l’alcool et le vin qui est moins alcoolisé que les alcools forts correspond mieux au niveau de la santé publique à une volonté de l’État. Nous verrons donc obligatoirement la consommation de vin se développer ce qui pour nous est assez extraordinaire.
« Pour nous », les Français ? Les producteurs Bordelais ? Les producteurs en général ?
Pour nous producteurs ! Je suis un mondialiste !
Michel Rolland « producteur » ce sont combien de domaines et de vins dans le monde ?
Sans entrer dans les statistiques ennuyeuses, je possède cinq Châteaux à Bordeaux avec cinq appellations différentes : La Grande Clotte, un Lussac Saint Émilion, Fontenil, un Fronsac, Rolland – Maillet, un Saint Émilion , Bertineau Saint Vincent un Lalande de Pomerol et le Bon Pasteur, « étendard » de la maison qui est un Pomerol. À l’étranger, en Espagne nous possédons le Campo Eliséo dans la vallée du Duero. En Afrique du Sud le vin s’appelle Bonne Nouvelle enfin en Argentine j’ai développé trois domaines : Val de Flores, Mariflore et Yacochuia.
L’activité de production de la famille ce sont 200 hectares de vignes et 50000 caisses de vin chaque année !
Et votre activité de consultant ?
Aujourd’hui je fais du consulting avec sept collaborateurs dans quatorze pays différents. J’interviens encore personnellement dans une centaine de propriétés, en France surtout à Bordeaux et dans treize autres pays. Je voyage pour cela six mois par an. Avec mes collaborateurs nous sommes derrière plus de 650 étiquettes ce qui n’est rien au niveau de tous les vins produits dans le monde mais c’est beaucoup au regard d’un emploi du temps lorsque vous voulez vous en occuper convenablement !
Comment faites vous pour concilier votre position d’œnologue conseil mondialement reconnu et celle de producteur pour positionner vos propres vins sur le marché ?
Pendant longtemps, je ne me positionnais pas, plus par pudeur et modestie et c’était l’un de mes problèmes (rires) ! Le vin c’est du business et pour le produire, ça coûte ! Un jour il faut le vendre !!! Aujourd’hui mes deux filles et mon gendre travaillent avec moi, donc je me positionne un peu plus que je ne l’avais fait jusqu’à présent ! Je fais un peu la représentation des vins de la famille dont je suis le chef de file et dont j’assume tout, même la mauvaise qualité si il le faut. Mais ce n’est pas le cas, nos vins sont très bons !
Avoir une bonne note dans le guide Parker est- il le sésame indispensable pour exister sur le marché Chinois ?
Être « parkérisé » dans le bon sens du terme n’a jamais fait de mal à ceux qui y sont ! En revanche ce n’est pas nécessaire pour exister.
Pourquoi ?
Nous entretenons depuis trente ans beaucoup d’affection mutuelle avec Bob Parker. Ce qu’il faut comprendre c’est que tous les bons vins qui se font sur la planète ne peuvent pas forcément recevoir des notes de Bob Parker. Lorsqu’il a commencé il y a une vingtaine, le nombre de vins intéressants était nettement moins important qu’aujourd’hui. Aujourd’hui il ne peut plus goûter tous les vins et je ne sais même pas s’il en aurait envie ! La « parkérisation » a moins d’importance qu’il y a vingtaine d’années où il a créé des stars, où il a peut être fait faire fortune à des gens. Ca reste vrai pour les très grands vins, qui ont déjà une image, une renommée internationale très forte mais ça ne concerne pas le marché de tous les jours. Ce marché n’a pas besoin d’être « parkérisé ». Il existe de très bons vins qui ne peuvent pas être tous notés par une seule personne. C’est la limite du système.
Avec autant de vins de qualité dans le monde, les vins français ont- ils toujours une longueur d’avance sur les autres pays ?
Il est vrai que l’on trouve des très bons vins et peut être des grands vins partout dans le monde, mais lorsque vous buvez un « La Tache », un « La Tour » ou un « Pétrus » exceptionnels ça n’existe nulle part ailleurs. C’est cela la qualité du vin français !
Vous pouvez boire un Napa Valley qui va complètement exploser n’importe quel vin de Bordeaux qui ne sera pas à son meilleur niveau, mais lorsqu’il est à son meilleur niveau c’est vraiment la référence incontestable. C’est l’avantage de la France. C’est un peu comme la haute couture par rapport à la couture ! L’Italie réussit bien , les USA, le Japon réussissent bien mais lorsque c’est grand c’est quand même Français !
Quel effet cela vous fait-il d’être accueilli comme une rock star en Chine ?
C’est très amusant ! D’abord, il faut apprendre à signer des autographes ! L’accueil des Chinois est très sympathique parce qu’il est sincère. Les gens viennent vous voir un peu par curiosité mais toujours avec sincérité, gentillesse et reconnaissance. C’est très appréciable.
Quel discours tenez vous lors de ces rencontres ?
Je leur dis surtout d’être des consommateurs de vin, d’aimer le vin, de se faire plaisir en le buvant. Je ne leur dis jamais d’acheter du vin pour montrer qu’ils sont les plus puissants. Le phénomène existe en Chine mais il y a aussi de vrais consommateurs de vin.
Un souvenir particulier de ces rencontres ?
Il y a quelques jours, je faisais déguster lors d’un dîner le vin le plus modeste de la gamme Rolland, La Grande Clotte rouge, un vin qui se vend aux alentours de 200 RMB. Nous étions à une centaine de kilomètres de Shanghai et contrairement à Shanghai où pour épater des gens qui un peu comme à Paris ont tout il faut vraiment en faire, les deux cent convives présents ne connaissaient pas le vin. Ils sont venus pour passer une soirée, parler avec moi, goûter ce vin. À l’issue du dîner ils sont venus me voir en me disant « c’est formidable, on a passé une bonne soirée, on a appris plein de choses sur le vin… ». Il faut faire de l’éducation, amener les gens à avoir envie de consommer. Faire la promotion des vins n’est pas vraiment mon métier, mais quand je le fais, je le fais avec cœur et enthousiasme comme tout ce que je fais !
Votre réussite en France comme à l’étranger ne crée t elle pas certaines jalousies ?
C’est très simple. Vous avez trois étapes dans une vie : la première, personne ne vous connaît et vous vivez heureux ! La seconde c’est lorsque l’on commence à vous connaître et ça en dérange certains. C’est la plus difficile à gérer car vous vous apercevez que vous avez des ennemis sans savoir pourquoi mais tout d’un coup des gens qui disent du mal de vous sans vous avoir jamais rencontré ni parlé et vous le savez car on s’empresse de vous le rapporter… La troisième étape qui malheureusement est un peu proche de la fin c’est lorsque l’on s’aperçoit que l’on a pas pu vous détruire et que comme vous avez survécu, à ce moment là tout le monde est plutôt sympathique avec vous. Je suis dans cette troisième phase et le seul désagrément qu’elle a c’est que j’ai 65 ans et que je suis plus près de la fin que du début mais c’est quand même une phase plutôt sympathique…
Et comment le petit fils de vigneron de Pomerol la vit il cette phase de réussite « sympathique » ?
J’ai une culture catholique et j’espère une chose, c’est que mon grand père Joseph Dupuis qui est décédé lorsque j’avais douze ans me voit depuis son éternité, ça me ferait plaisir. J’y pense souvent. Ma Maman Geneviève Dupuis qui à 94 ans est aujourd’hui la doyenne de Pomerol, est très heureuse et fière de ma réussite mais je pense que je dois beaucoup de choses à mon grand père. C’est lui qui m’a certainement appris ce qu’était le temps, la météo, les choses basiques de la nature, qui m’a donné cet amour de la nature. Je suis devenu « le flying wine maker », un œnologue international comme je le dis en plaisantant « endimanché » mais je garde un amour profond pour la nature, la viticulture, pour tout ce qui tourne autour de la terre et des gens. Lorsque l’on est paysan dans l’âme, on aime le contact, on aime parler et je pense que c’est mon grand père qui me l’a communiqué sans que je m’en aperçoive. Ca a été vraiment très fort et ça le reste.
- Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires
Envoyez cette page à un ami
« la mauvaise qualité si tenté qu’elle y soit »… Si tant est qu’elle y soit…
O