Dans son livre « Les Diplomates », le journaliste Franck Renaud s’attaque aux dessous du Quai d’Orsay et révèle qu’un agent français du renseignement en Chine a été « piégé » par son interprète. Entretien.

Vous soutenez que les jeunes Chinoises sont le talon d’Achille de la diplomatie française, pour quelles raisons ? Est-ce propre à la France ?
Lors des entretiens menés pour le livre, j’ai été surpris par l’accumulation de « concubines », signalée par plusieurs interlocuteurs qui ont connu l’ambassade de France en Chine de l’intérieur. Avec un élément notable et récurrent, qui dure : ces jeunes femmes s’intéressent d’abord aux agents qui ont accès soit aux visas, soit à des dossiers sensibles, liés à la défense nationale par exemple. Bien sûr, il peut y avoir de belles histoires d’amour ; mais dans le même temps on sait que les services de renseignement chinois emploient des méthodes très offensives pour collecter de l’information, influencer et que parmi ces méthodes ils utilisent les « pièges à miel », c’est-à-dire des jeunes femmes prêtes à se dévouer à la cause… L’ambassade de France à Pékin s’est quand même distinguée en la matière : en 2000, c’est le représentant officiel des services secrets français en Chine, la DGSE, qui a été piégé par une interprète de l’ambassade et a fait défection ! La France n’est pas la seule « victime » de ces agissements, puisqu’il y a quelques années une jolie jeune femme chinoise travaillant pour les services de son pays a séduit un diplomate français en poste dans un autre pays asiatique où elle avait déjà donné de sa personne auprès d’un premier conseiller allemand.
Dans un chapitre intitulé « Chine : une ambassade sous influence ? », vous dénoncez le tropisme de la diplomatie française sur les questions chinoises. Que lui reprochez-vous ?
Il n’est pas rare que des diplomates français défendent le pays dans lequel ils sont en poste. La particularité avec la Chine, c’est que comme on parle de « la rue arabe » du Quai d’Orsay, on pourrait presque évoquer une « rue chinoise » ! Plusieurs témoins, passés par l’ambassade à Pékin, m’ont parlé d’un lobby pro-chinois, avec des diplomates qualifiés de « sino-béats », passés par un moule qui serait Langues O… Je crois qu’il existe une vraie ligne de fracture entre ces diplomates et d’autres qui préconisent une approche plus « frontale » de la Chine. Les positions mouvantes de la France sur la Chine ces dernières années en témoignent. De ce que j’ai pu constater, je pense que nous nous berçons d’illusions dans notre rapport avec Pékin. On vit sur une légende qui arrange tout le monde, celle qui veut que la France soit le premier pays occidental à reconnaître la Chine populaire en 1964. Or c’est faux, plusieurs autres pays européens l’ont reconnue bien plus tôt ! Dès le départ, les relations entre nos deux pays reposent donc sur une vérité assénée… mais fausse. Comment construire un rapport sain dès lors que l’on se voile la face ?
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur les ambassades ? Après avoir travaillé sur ce livre, quelle vision du monde de la diplomatie avez-vous ?
La plupart des livres qui traitent de la politique étrangère de la France sont écrits par d’anciens diplomates ou par des journalistes basés à Paris, qui la voient d’abord à travers le prisme du Quai d’Orsay. L’idée était donc de voir comment ça se passe à l’autre bout, c’est-à-dire dans les ambassades et qui sont les diplomates et personnels qui travaillent dans ces représentations françaises. Car ça reste un monde mystérieux pour le grand public, qui ne le connaît que par une publicité célèbre et le slogan affirmant que « les réceptions de l’ambassadeur sont connues pour le bon goût du maître de maison » ! J’ai donc voulu montrer ce qu’il y a derrière les murs des ambassades, ce qui m’amène aussi à faire état de dysfonctionnements, quand ce ne sont pas des dérapages…
La France dispose du deuxième réseau diplomatique au monde, juste derrière les États-Unis et elle a décidé de conserver cette universalité. Le problème, c’est que les moyens ne suivent pas. Ils déclinent d’année en année. Le tour de vis budgétaire à venir ne va pas améliorer la situation. Ça touche par exemple tout ce qui rélève de la coopération, mais aussi les consulats qui sont les interlocuteurs des Français vivant à l’étranger. Cette misère budgétaire conduit également à la privatisation de fait de services relevant de l’État, pour les visas par exemple. L’administration appelle pudiquement cela « l’externalisation des demandes de visa » en les confiant à des sociétés privées. La Chine a servi de pays pilote en la matière et on peut s’interroger sur le pourquoi et le comment.
Alors, au final, quelle vision j’ai de la diplomatie française ? Un peu celle d’une vieille famille qui essaye que le château hérité de glorieux ancêtres ne tombe pas en ruine !
