L’école primaire Beigaoshiyan accueille aujourd’hui 580 enfants de travailleurs migrants. Elle va fermer, comme sept autres écoles du quartier. 7000 enfants devraient ainsi se retrouver déscolarisés. Motif: l’urbanisation future de cette banlieue de Pékin

Une banlieue au nord de Pékin, quelque part entre le cinquième et le sixième périphérique, bien loin des grandes tours du centre ville. Le quartier de Cuigezhuang est une zone encore rurale, même si elle a été englobée dans les ramifications de la capitale au fur et à mesure de son extension.
C’est ici qu’un grand nombre de travailleurs migrants ont élu domicile. Ces paysans pauvres venus de toute la Chine pour trouver un emploi dans la capitale vivent souvent dans des conditions précaires. Ils sont très peu payés et leur statut de migrants les exclut de toute protection sociale. Il leur est également très difficile de scolariser leurs enfants. C’est pourquoi de nombreuses écoles ont été créées pour les accueillir. Souvent illégales, elles permettent pourtant la scolarisation de milliers d’enfants.
En ce moment, l’école de Li Junshan est vide : les enfants sont retournés avec leurs parents dans leur province d’origine pour le Nouvel an chinois. Et comme les autorités, qui veulent démolir le quartier de Cuigezhuang, ont émis un avis d’expulsion pour le 28 février au plus tard, il n’est pas certain que la cour de récréation retrouve un jour ses écoliers.
« Ici, les frais de scolarité sont largement inférieurs aux écoles du centre ville : 600 yuans (environ 60 euros) par semestre en tout, y compris l’achat des livres et des fournitures scolaires. Les travailleurs migrants pourraient difficilement payer plus pour scolariser leurs enfants », explique M.Li. Des frais modestes, mais qui permettent tant bien que mal de payer le loyer, l’entretien, le matériel, et de rémunérer (modestement) les 26 professeurs enseignants. A Beigaoshiyan, ces jeunes diplômés dispensent les même cours que dans les autres écoles : mathématiques, anglais, histoire, éducation artistique, physique…
Depuis 2003, M. Li gère ainsi les 14 classes d’élèves de 6 à 12 ans qui composent son école. Ancien fonctionnaire au Henan, sa province d’origine, M Li arrive à Pékin à la fin des années 90 pour faire des affaires. Sur le plan professionnel, il s’en sort plutôt bien, mais rencontre des difficultés pour scolariser son fils. «Les frais de scolarité étaient très élevés, et les formalités administratives dissuasives », raconte-t-il. Il décide alors de créer une école pour aider les personnes rencontrant les mêmes difficultés. Pour lui, « c’est une question de bien commun ».
Il investit alors l’argent qu’il a gagné dans les affaires pour mettre en route l’école Beigaoshiyan, et très vite les inscriptions affluent. « Nous avons ensuite essayé d’obtenir une licence des autorités pour avoir des subventions et être reconnus, explique M.Li. Mais l’Etat n’a plus délivré une seule licence depuis 2005, malgré les demandes répétées des différentes écoles de migrants.»
Non reconnue par l’Etat, l’école est pourtant tolérée. Elle doit ainsi passer par les autorités pour acheter ses livres et participe à toutes les réunions du bureau de l’éducation du district depuis 2003.
« Nos écoles, tolérées depuis des années, sont soudain devenues illégales »
Le 15 janvier dernier, M.Li et sept autres directeurs d’écoles de migrants du canton sont convoqués par les autorités, et reçoivent l’ordre de lever le camp avant le 28 février. Pour seule justification : la destruction d’une grande partie du canton dans le cadre de la politique de « réserve pour la future urbanisation des zones rurales ».
« Nous avons tous été choqués. On nous a annoncé ça comme ça, avec à peine un peu plus d’un mois pour tout organiser, et avec les vacances du Nouvel an qui approchaient. En plus, leur explication, trop floue, ne nous a pas convaincus. »
C’est donc spontanément que les huit directeurs, accompagnés de certains professeurs, ont décidé de ne pas se laisser faire. Ils ont commencé par aller demander des explications dans l’espoir de négocier une indemnisation. Mais leurs visites aux différentes administrations du district n’ont rien donné. « On nous donnait toujours les mêmes raisons vagues, et nos écoles, tolérées depuis des années, sont soudain devenues illégales. Ca arrange bien le gouvernement: comme ça il n’a pas besoin de nous accorder d’indemnisation. Pourtant nous avons tous investi beaucoup d’argent dans ces écoles », explique M. Li.
Depuis jeudi dernier, lui et ses collègues ont donc décidé de s’adresser au bureau des pétitions de Pékin, ou des centaines de personnes affluent de toute la Chine pour se plaindre d’abus des administrations. Jusqu’à présent, cette initiative n’a pas rencontré plus de succès que les précédentes, si ce n’est la promesse d’une table ronde avec les autorités pour discuter du problème. Mais, selon un employé du bureau des relogements de Pékin joint par le Global Times, les expulsions auront bien lieu puisqu’aucun ordre contraire n’a été émis.
« Je me demande ce que ces 7000 enfants vont devenir, soupire M. Li. Ils ne pourront pas aller dans les écoles normales, qui sont déjà bondées, sans compter les problèmes d’argent et de formalités administratives. Et les quelques écoles de migrants autorisées sont également surchargées. » Il ne leur restera que la déscolarisation à Pékin, ou le retour à la campagne, dans leurs provinces d’origine. Le problème selon M.Li, c’est que « le système scolaire hors des villes laisse souvent à désirer. En plus ces enfants se retrouveraient sans leurs parents, ce qui n’est pas bon ». C’est pourquoi il espère pouvoir au minimum obtenir une indemnisation, qui lui permettrait d’ouvrir une nouvelle école, plus loin, à l’extérieur du sixième périphérique.
Aujourd’hui, malgré le peu d’avancées obtenues, directeurs et professeurs sont déterminés à aller jusqu’au bout, car, conclut M.Li, « nous sommes convaincus que nous sommes bénéfiques pour la société. Nous sommes même nécessaires. Les risques, on ne se pose même pas la question. On doit faire quelque chose».
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