Le prolongement d’une ligne de métro et la construction d’un centre culturel sur Pékin et le temps qui passe expliquent pourquoi une large partie des maisons traditionnelles du quartier des tours de la cloche et du tambour vont être détruites puis refaites « à l’ancienne ».

Le quartier historique des tours de la cloche et du tambour fait peau neuve. Afin de prolonger une ligne de métro et de créer un musée sur le thème du temps, une large partie de ce quartier historique sera rasée puis reconstruite « à l’ancienne ». Les habitants du quartier et certains protecteurs du vieux Pékin s’étonnent du manque d’informations sur le projet et s’inquiètent de ce qu’il adviendra de Gulou, après qu’un autre quartier emblématique, Qianmen, ait perdu ses charmes à la suite d’un relooking d’un genre proche.
Dans la partie nord du quartier, qui touche le deuxième périphérique entourant le centre de Pékin, les destructions ont déjà commencé. De nombreux hutongs – ces ruelles de maisons en briques grises caractéristiques du vieux Pékin – ont été détruits, laissant place à un large terrain vague recouvert de briques. Ici, c’est le métro qui est invoqué. La ligne 8 doit passer par Gulou pour relier le nord de la capitale au quartier des lacs et de la très animée Nanluoguxiang, puis au musée des Beaux-arts d’ici 2012.
Des cours carrées détruites et refaites à neuf
Mais un vieil homme du quartier a une autre explication: « C’est pour construire des siheyuan – cour carrées traditionnelles – et les vendre à des riches et des fonctionnaires. Une partie servira pour la station de métro mais vu l’espace la majorité sera utilisée pour faire des cours. Cela va continuer plus au sud. Ils ne peuvent pas tout faire d’un coup, ça aurait provoqué trop de mécontentements » dit-il devant les terrains laissés vides.
Alors que les boutiques branchées se sont multipliées dans les environs, la demande des Chinois et des étrangers pour ces maisons typiques a bondi, surtout lorsqu’elles sont en bon état. Les prix ont suivi. Du coup, l’opération devrait être rentable. Les cours carrées les mieux rénovées s’arrachent auprès de riches provinciaux ou d’étrangers et leurs prix commencent à avoisiner ceux des grandes capitales occidentales.
En attendant, dans certaines ruines, de jeunes gardiens en uniforme ont pris la place des familles avant destruction complète.
Alors que toutes les maisons situées à l’est de la sienne ont été rasées, une habitante du quartier sait qu’elle devra partir avant l’année prochaine. Elle aussi a entendu parler de nouvelles cours carrées, du métro ainsi que d’un musée. Pour l’instant, elle se demande surtout à combien s’élèvera l’indemnisation. La rumeur court que certaines familles ont reçu jusqu’à 3 millions de yuans pour partir, environ 300 000 euros. « C’est pour ça que les gens ne sont pas contre » dit-elle sur le pas de sa porte. Avec cela, elle se verrait bien réinvestir 2 millions dans l’immobilier, ce qui lui permettrait de déménager pas trop loin, par exemple dans le quartier du parc Ditan, et conserverait un million. Un de ses voisins a entendu dire qu’il pourrait se voir proposer une cour carrée dans les environs lorsque les travaux seront achevés. Mais aucun des deux n’est certain de son sort.
Un musée sous-terrain sur le temps qui file à Pékin
A quelque mètres de chez elle, un commerçant du quartier préfèrerait rester ici, pour le « mode de vie plus chaleureux » du quartier et des hutongs, même si l’on devait lui proposer plus d’argent. Lui a entendu parler d’un musée « sur le temps », pour « revivre le tintement des cloches et le bruit du tambour », qui ont cessé de résonner en 1924. Le journal local, Les Nouvelles de Pékin, a en effet évoqué le projet: la construction d’un centre culturel sur le temps qui file dans la capitale et les techniques ayant permis de le mesurer, avec en sous-sol un musée des deux tours qui permettaient jadis de compter les heures. Sur une place commémorative du temps, située en plein air, les instruments chronométriques d’époque seraient exposés. Le musée du temps qui passe devrait prendre place en sous-sol, sous les maisons reconstruites. Certes, toutes les cours du quartier ne sont pas si vieilles qu’elles le laissent parfois penser mais dans l’opération, certaines maisons chargées d’histoire devraient disparaître.
Hua Xin Min, qui milite pour la protection des vieux quartiers de Pékin et contre les expulsions illégales a déjà assisté à la destruction d’autres quartiers, dont celui de Qianmen. Elle est sceptique. « Ils ne détruisent pas pour une cause publique. Le fait même de détruire un quartier historique classé est contre l’intérêt public, ensuite il faut voir ce qu’ils comptent faire après, dit-elle. S’ils veulent construire de chics Siheyuan pour les revendre, alors c’est à but commercial. Lorsqu’ils font cela, c’est toujours sous prétexte de restaurer, mais en fait ils font autre chose. Le problème, souligne-t-elle, c’est que les responsables de l’urbanisme font d’abord des plans sur des quartiers constitués de propriétés privées, alors que cela est interdit par le droit foncier. Jointe par téléphone, la municipalité de Pékin nous a renvoyés vers le quartier de Dongcheng, qui n’a pas souhaité nous donner plus d’informations sur le projet. Le comité de quartier de Guowan n’en sait pas plus, alors qu’il est à quelques mètres des maisons déjà détruites.
Tout le monde est dans l’attente
Vendeuse de fruits et légumes face à la tour de la cloche, Mme Hu sait déjà qu’il faudra partir loin du centre. Elle n’aura pas les moyens de rester. « Là-bas c’est pour le métro, mais ici, c’est pour un musée, un parking, une nouvelle place » dit-elle. A terme, l’ensemble du quartier, du deuxième périphérique à la rue Jiugulou, et probablement jusqu’au pont de Houmen, bien au sud de Gulou dongdajie, devrait être concerné par la « rénovation ».
Un peu plus bas, au pied de la majestueuse tour du tambour, un petit café comme beaucoup qui sont apparus dans le quartier ces dernières années. Mademoiselle Wang, qui en est propriétaire depuis 4 ans, s’est vue expliquer le projet en octobre dernier, avec d’autres commerçants: la création d’un parking, d’un musée en sous-sol, de commerces peut-être aussi en lien avec le thème du temps, par exemple une boutique de montres. Elle ne sait pas encore s’il faudra partir. « Ils n’ont pas parlé de détruire, mais de réquisitionner des boutiques. Le mieux pour nous serait bien sûr de rester ici mais tout n’est pas décidé apparemment. Or nous n’avons pas voix au chapitre. Il ne nous reste plus qu’à faire ce que l’on nous demande ».
« Tout le monde attend encore. Peut-être que cela va s’activer après le Nouvel an chinois, dit la jeune femme, les habitants ne resteront pas ici c’est sûr. Et nous, peut-être que nous pourrons rester ou peut-être que nous serons remplacés par un Starbucks » soupire-t-elle.