Le vice-maire de Chongqing a bien passé une nuit au consulat américain. Une rumeur de confirmée pour mille de lancées : le web chinois se délecte librement de ce scandale politique qui semble prendre des proportions d’affaire d’Etat.

Un héros national tenté par la défection, une guerre de clan au sommet de l’État, une star de la politique stoppée sur les marches du pouvoir, des opérations de police spectaculaires, une odeur de mafia et de corruption… Avec l’affaire Wang Lijun, le web chinois s’est trouvé un feuilleton politique aussi passionnant que mystérieux. La presse internationale scrute quant à elle ce qui est de plus en plus considéré comme un rare débordement de conflits politiciens.
Pas de faits vérifiables – ou si peu – mais une cascade de rumeurs qui coule des réseaux sociaux chinois vers les médias étrangers. L’information se passe de blog en blog, les internautes commentent, spéculent, tournent en dérision les annonces officielles… Si leurs enquêtes ont mis une chose en évidence, c’est l’obsolescence des outils de censure sur le net.
Pour comprendre : L’affaire Wang Lijun, quand les luttes politiques s’étalent sur le net chinois
Un espace d’expression « incontrôlable »
L’affaire Wang Lijun ne fait pas les choux gras de la presse chinoise, mais remplit tout de même les pages web de théories folles depuis plusieurs jours. Certaines sont accompagnées de photos ou appuyées de témoignages, d’autres sont liées à des articles taïwanais ou hong-kongais, beaucoup se limitent à une affirmation concise et non vérifiée que des milliers d’internautes retweeteront dans la seconde.
Les Chinois se passionnent et se renseignent sur chaque menu détail : une sorte d’affaire DSK, « en plus complexe et plus lourde en conséquences », comme nous l’explique Renaud de Spens. Cet analyste des médias chinois scrute ces échanges qui « montrent que l’appareil de censure est devenu obsolète ».
La grande muraille de l’Internet n’est pas tombée, mais la révolution se passe dans son enceinte. Les autorités ne peuvent pas filtrer les articles, tweets et blogs avant qu’ils se répandent sur des millions de comptes Weibo, le Twitter Chinois. Elles se contentent donc de bloquer certaines recherches (« Wang Lijun, « Congé thérapeutique »…) en Chine continentale : la censure est « débordée, engloutie, invisible », explique l’analyste.
Si le contrôle de l’internet montre ses limites au quotidien, et est souvent l’objet de railleries de la part des blogueurs, il semble totalement inefficace dès qu’un sujet sensible se classe en tête des thèmes de discussion. A l’été 2011 lors de la catastrophe ferroviaire de Wenzhou, les internautes avaient déjà laissé libre court à leurs critiques sans que les censeurs puissent suivre la cadence, mais c’est la première fois qu’un sujet purement politique paraît tant hors de contrôle.
Voici un aperçu des rumeurs que l’on peut trouver en ligne, compilées grâce au travail de veille de Renaud de Spens. Se contredisant les unes des autres, elles doivent être prises avec le plus grand recul, et être racontées au conditionnel. Elles ne sont toutefois pas dénuées d’intérêt, puisqu’elles mettent en évidence les fractures de la scène politique chinoise.
La plupart cherchent d’abord à expliquer la mise au placard puis la visite au consulat de Wang Lijun.
Une lutte politicienne ? Bo Xilai a peut-être cherché à se débarrasser d’un bras droit trop encombrant. La croisade anti-corruption de Wang pourrait avoir gêné des membres influents du Parti, et le « Kennedy chinois » aurait consenti à sacrifier son allié pour assurer sa place à Pékin. En se séparant de la pièce maîtresse de son succès à Chongqing, Bo Xilai ferait acte d’allégeance à la génération de dirigeants sur le départ.
Une façon de montrer qu’il est prêt à renoncer à son éclat personnel pour pouvoir siéger dans l’organe suprême. Wang ne se serait pas laissé faire et aurait menacé de l’entraîner dans sa chute.
D’après des internautes, Wang Lujin aurait dénoncé ces manoeuvres à la sortie du consulat américain, mardi : »Je suis le bouc émissaire de Bo Xilai, c’est un carriériste. Désormais, c’est une lutte à mort entre lui et moi. J’ai déjà fait transféré tous les documents à l’étranger !« , lit-on sur Weibo. Une lettre soit disant écrite par le vice-maire de Chongqing a circulé sur le web, mais les observateurs restent plus que sceptique quant à son authenticité.
Un coup monté ? Alors que le tout-puissant Politburo devrait être renouvelé fin 2012, cela fait plusieurs mois que la guerre est déclarée entre les prétendants aux 7 sièges libérés. Le conservateur Bo Xilai a longtemps fait parti des challengers les plus prometteurs, mais il est opposé à l’aile libérale, notamment représentée par le secrétaire du Parti de la province du Guangdong, Wang Yang.
Il se dit aussi que les dirigeants actuels, Hu Jintao en tête, se méfient de son style politique trop personnel. Beaucoup ont donc intérêt à monter une affaire d’un tel retentissement pour barrer la route à son ascension. Plusieurs spécialistes de la politique chinoise se sont joints à cette thèse, certains laissant penser que He Guoqian, le chef disciplinaire du Parti, aurait appuyé cette disgrâce organisée.
Ils auraient alors fait en sorte de créer des tensions entre Wang et Bo (affaires de corruption…), ou laissé penser à Wang qu’il pourrait constituer une alternative à son mentor.
Une affaire de corruption ? Des rumeurs parlent aussi de menaces directes pesant sur Bo Xilai : Wang détiendrait des informations susceptibles de le faire tomber, et les aurait rapporté à la puissante commission disciplinaire centrale. Ces informations pourraient être liées à l’affaire « Tieling », ancien membre du gouvernement de Chongqing aujourd’hui aux arrêts.
Certains apportent plus de précision concernant les dénonciations de Wang à la comission : Bo a tranféré de l’argent à l’étranger par l’intermédiaire de sa femme. Quand il a découvert la trahison, le chef du Parti de Chongqing a envoyé les forces de sécurité de la ville à la poursuite de Wang et de ses proches, pour étouffer l’affaire au plus vite.
Autre hypothèse, une affaire de corruption qui aurait directement touché Wang. Comme l’explique un message Weibo de Wu Jiaxiang , un universitaire réputé, ce n’est pas Bo mais bien le « policier le plus connu de Chine » qui serait concerné par l’affaire « Tieling », qui a abouti à l’arrestation d’un de ses proches collaborateurs en mai 2011. Depuis, Bo cherche à couper les ponts avec son bras droit pour ne pas risquer d’être éclaboussé par l’affaire. Wang aurait menacé de le faire couler avec lui, Bo serait passé à l’action.
Qu’est ce qui a déclenché la fuite ? Certains internautes parlent d’une véritable guerre des clans à Chongqing. 19 proches de Wang Lujin auraient été arrêtés, d’après une rumeur populaire datant de vendredi, deux auraient été battus à mort, un se serait suicidé. D’autres bruits parlent de 11 collaborateurs arrêtés, et notamment son chauffeur dès début février. Un journaliste du SCMP aurait eu Wang au téléphone après sa rétrogradation, le 3, il n’aurait pas démenti cette dernière rumeur.
Pourquoi s’être rendu au consulat? Wang est bien placé pour savoir que la justice de Chongqing répond directement aux ordres du chef du Parti local, Bo Xilai. Comme le montre la récente condamnation à mort de la milliardaire Wu Ying, les sentences peuvent être lourdes pour ceux qui en savent trop, en Chine.
Se sentant menacé, il a peut-être décidé d’aller demander l’asile politique au consulat américain, comme ce fut rapporté par les premières rumeurs. Cette demande n’a en tout cas pas aboutie, puisqu’il a quitté le bâtiment mardi matin, mais des négociations ont pu y avoir lieu pour assurer sa sécurité à la sortie.
Néanmoins, pour la plupart des internautes, Wang s’est servi du consulat comme un refuge. Il y a passé la nuit, et a assuré ses arrières en confiant quelques informations voire documents à la diplomatie US. Son but était d’échapper à la police de Chongqing et de gagner assez de temps pour être arrêté par des agents de Pékin.
Comment a-t-il pris la fuite? D’après un journaliste du SCMP, Wang était toujours à Chongqing vendredi 3 janvier, et se voulait rassurant sur la situation. Un média thailandais rapporte qu’assigné à résidence, il aurait tout de même demandé à participer à une visite d’université dans le cadre de ses nouvelles fonctions. Il en aurait profité pour filer vers Chengdu.
Un weibonaute explique qu’une voiture officielle a été abandonnée près du consulat en début de semaine et aurait rapidement été enlevé par les autorités locales. Chongqing et Chengdu ne sont séparées que par 340 km.
Des automobilistes auraient en outre aperçu plusieurs de voitures (70 !) roulant vers Chengdu lundi, voire même des véhicules blindés, qui se seraient lancées aux trousses du vice-maire fuyard.
Ce serait un important déploiement aux portes du consulat américain qui aurait nourri les rumeurs de défection. Certains internautes rapportent que les autorités du Sichuan et celle de Chongqing se faisaient face, mardi matin aux portes du consulat, et semblaient en désaccord.
Ou est Wang Lijun ? Appréhendé à sa sortie du consulat américain mardi, Wang aurait été emmené à Pékin pour y être interrogé. Un internaute a posté une photo d’un billet d’avion Chengdu-Pékin au nom du Vice-maire.
Sa visite au consulat américain pourrait constituer un acte de trahison, qui lui vaudrait le courroux de la commission centrale de discipline. Le plus grand secret plane sur la teneur des négociations qui ont eu lieu entre les diplomates américains, le pouvoir central chinois et le gouvernement de Chongqing au sujet de Wang.
Quel avenir pour Bo Xilai ? Enfin une informations vérifiée : Bo Xilai était ces jours-ci en visite dans des villages du Yunnan. Il apparaît dans la presse locale souriant, et les médias officiels rapportent qu’il a démontré aux locaux ses talents calligraphiques. Derrière cette image détendue, Bo Xilai sait que sa carrière a pris un énième virage dramatique cette semaine.
Au mieux, on lui reprochera de ne pas avoir su empêcher son plus proche collaborateur de fuir vers le consulat américain. Au pire, il est lui-même coupable de corruption, de manœuvres politiques illégales, ou de désobéissance au pouvoir de Pékin.
Vendredi, un message Weibo affirme que Bo Xilai a écrit aux 9 membres du Politburo, assumant sa responsabilité dans l’affaire Wang Lijun, offrant sa démission et promettant de collaborer aux investigations concernant une affaire de corruption touchant sa femme.
Plus que Bo Xilai, c’est l’aile conservatrice du Parti qui semble être déstabilisée, et le « modèle de Chongqing » qui a montré ses limites d’une façon éclatante.
Quelles que soient les rumeurs qui seront avérées dans les prochaines heures, semaines ou années, on retiendra l’affaire comme un preuve supplémentaire de l’inéluctabilité d’une réforme du contrôle des médias. Et peut-être comme un des prémices d’une secousse politique de plus grande envergure.
Pour comprendre : Affaire Wang Lijun : quand les luttes politiques s’exposent sur le net chinois
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Merci pour ces deux articles très intéressants par ce qu’ils révèlent des changements en cours en Chine.
Note: Le lien weibo inline « Ces blindés sont-ils à la poursuite de Wang Lijun ? » n’est pas bon.