L’exposition « Ai Weiwei : Entrelacs » a ouvert ses portes au Jeu de Paume, à Paris. L’occasion pour notre partenaire rue89 de revenir sur le parcours de cet artiste « plus grand que nature ».

Comment devient-on dissident ? L’exposition de l’artiste chinois Ai Weiwei à la galerie du Jeu de Paume, à Paris, répond en partie à cette question, s’agissant d’un créateur qui a passé l’an dernier trois mois en prison et reste soumis à de sévères limites à sa liberté de mouvement et de parole.
Agé de 55 ans, Ai Weiwei est un personnage plus grand que nature. A tous points de vue. Physique d’abord, avec une carrure et une barbe d’ogre ; mais surtout avec son appétit à tout embrasser, qu’il s’agisse de la photographie qu’il pratique en abondance, de l’art conceptuel qu’il maîtrise à merveille, de l’architecture à laquelle il s’est essayé plus d’une fois, du Web qu’il utilise comme une arme, et d’un goût illimité pour la provocation qui lui vaut tous ses ennuis.
Au Jeu de Paume, qui avait programmé cette exposition bien avant que son actualité judiciaire ne le propulse au devant de la scène, on découvrira le parcours initiatique d’Ai Weiwei.
Ce fils de l’« aristocratie rouge » chinoise – son père était le grand poète de l’ère maoïste Ai Qing – a vécu une partie de sa jeunesse en exil au Xinjiang, la « Sibérie » chinoise où avait été envoyée sa famille, persécutée pendant la révolution culturelle.
Les années new yorkaises
Mais en 1981, ce rescapé des années de folie part pour New York où il se trouve propulsé dans le milieu artistique underground de l’époque, un électrochoc culturel et politique de forte intensité dont il gardera la marque jusqu’à aujourd’hui.
Dans la salle consacrée à sa « période new yorkaise », au Jeu de Paume, on le voit avec le poète de la « beat generation », Allen Ginsberg ; on découvre la vie de squats des jeunes créateurs chinois de l’époque, comme le futur grand cinéaste Chen Kaige (Palme d’or à Cannes en 1993 avec « Adieu ma concubine »), photographié au lit, ou le sculpteur chinois aujourd’hui installé en France Wang Keping, en slip au réveil.
Ai Weiwei retourne vivre en Chine en 1993 afin d’être aux côtés de son père pour ses dernières années. Il retrouve une scène artistique parallèle qui s’est développée en son absence, inspirée par les canons de l’art contemporain occidental, vivant dans la marginalité de villages d’artistes à l’extérieur de Pékin, en butte à l’hostilité officielle du Parti communiste.
Il y développe son goût de la provocation, comme cette photo inspirée du célèbre cliché de Marilyn Monroe avec sa jupe en l’air, mais prise devant le portrait de Mao sur la place Tiananmen… Il fallait oser.
Il réalise également sa série du « doigt d’honneur », irrespect suprême de l’autorité, de toutes les autorités. Ça passe quand c’est la Tour Eiffel ou le Capitole à Washington, c’est gonflé, là encore, quand ce doigt est dirigé vers la porte de la paix céleste, au cœur de Pékin, sur laquelle trône toujours le portrait de Mao Zedong. Pour l’avoir « défiguré » un jour avec de l’encre, un Chinois a passé de longues années en asile psychiatrique.
L’art de la provocation
J’ai rencontré Ai Weiwei en 2000, alors qu’il avait monté « Fuck off », une expo parallèle à la Biennale de Shanghai. Alors que la Biennale officielle, première percée de l’art contemporain au niveau officiel, était un exercice timide et bien raisonnable, Ai Weiwei avait réuni ses copains dans une friche industrielle pour une offre bien plus délirante.
Je l’ai retrouvé à Pékin, dans son nouvel espace, la China Arts and Archive Warehouse (CAAW), un centre d’art mais aussi sa résidence, dont il a lui-même dessiné les plans, l’un des grands rendez-vous de l’art contemporain dans la capitale chinoise avant l’explosion des dernières années.
Ai Weiwei était un artiste remuant, mais nullement dissident. La preuve en est sa participation, surprenante, en tant que conseiller artistique des architectes suisses Herzog & Demeuron pour la construction du « nid d’oiseau », le stade olympique de Pékin, symbole suprême du couronnement du parti communiste chinois.
Qu’est allé faire Ai Weiwei dans cette galère ? « J’aime créer », a-t-il répondu, comme s’il avait cédé à la tentation irresistible de participer à cette aventure de bâtisseur avant d’en voir l’évidente dimension politique. Ecoeuré, il s’en retirera avant la conclusion du chantier.
Mais 2008, année olympique, c’est aussi l’année du séisme du Sichuan, qui est le tournant de la radicalisation politique d’Ai Weiwei. L’artiste prend fait et cause pour les familles des milliers d’enfants morts dans les décombres de leurs écoles mal construites pour cause de corruption des officiels locaux.
Il entre alors en collision avec le pouvoir, et traverse à un moment, sans le savoir, une ligne jaune dans la tolérance du Parti communiste.
D’autant que parallèlement, Ai Weiwei découvre l’outil Internet : sollicité par le portail Sina.com, il ouvre un blog et développe une pratique à la fois artistique, activiste, narcissique et provocatrice, qu’il étend ensuite sur Twitter – dont il est l’une des stars chinoises, alors que le réseau est bloqué en Chine !
La contagion du jasmin
Le couperet tombera en avril 2011, en pleine psychose des autorités chinoises face à une éventuelle contagion des révolutions de jasmin (le mot « jasmin » est bloqué en Chine sur les moteurs de recherche). Ai Weiwei est arrêté, détenu au secret, interrogé sans ménagement, avant d’être libéré trois mois plus tard et accusé de… fraude fiscale.
Le public chinois se mobilise pour aider à payer l’amende, tout comme de nombreux internautes se dénuderont en ligne lorsque Ai Weiwei est accusé de « pornographie » pour une photo dénudée…
Le pouvoir chinois est face à un cas sans précédent : un personnage à la notoriété internationale considérable (il a exposé à la Tate Modern de Londres, à la Dokumenta de Kassel en Allemagne, à New York, aujourd’hui à Paris…), au capital de sympathie non négligeable en Chine via Internet, et qui ne fait rien d’autre que de jouer sur les symboles, la dérision, l’émotion.
Voilà un homme qui ne pose pas de bombes, qui n’est pas un organisateur politique comme Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix emprisonné, et qui n’a pas d’autre ambition que d’ouvrir un peu plus les portes et les fenêtres de la Chine pour faire entrer de l’air frais dans les esprits.
Que faire d’un tel dissident qui ne joue plus le jeu, contrairement à une bonne partie du monde de l’art chinois qui a cédé aux sirènes du marché et à l’explosion de la cote des œuvres chinoises ? En attendant de connaître la réponse, et la suite de ses inévitables ennuis, Ai Weiwei documente sa vie et ses combats, transformés en performance artistique permanente.
A Lire aussi : Le calvaire du dissident aveugle Chen Guangcheng
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Suffit-il d’être vulgaire pour être artiste ?
On ne pense pas que c’est le cas,mais la manipulation à la Française nous pousse la tolérance à bout…
« les Franc,francs » nous cherchent,c’est inévitable…
Quand les sages cherchent la lumière, le fou montre son doigt.
Pas faux…
La citation vient d’un sage nous conduit vers la lumière,mais le geste de cet dé-honorable est considérablement bien vu aux yeux des lecteurs Occidentaux.
au moment où le public occidental (dont moi…) découvre les merveilles de Zhang et de Qi, les merdouilles et les cabotinages démagogiques de Ai paraissent bien dérisoires. Pas de chance avec le timing !
Merci beaucoup d’avoir écrit sur Ai Weiwei !
Je vous propose ce lien pour mon article qui est peut-être aussi un soutien pour lui: Une oeuvre de Ai Weiwei en résonnance avec Kalki
http://alerteinvasionextraterrestre.centerblog.net/94-une-uvre-de-ai-wei…
Chaleureuses salutations !
Ai Wei wei est un con
C’est intéressant ce que vous dites, surtout cela apporte beaucoup au débat…..:o((
Janny
c’est celui qui le dit qui l’est…
(ha qu’il est plaisant de rejoindre le camp des artistes modernes par une salutaire poésie !)