La Chine a subi son premier vrai revers diplomatique depuis qu’elle est (re)devenue une superpuissance, avec la chute du régime de Kadhafi au profit de rebelles soutenus par les pays de l’Otan. Les relations entre Pékin et les nouvelles autorités libyennes s’en ressentent, Tripoli accusant la Chine d’avoir effectué des ventes d’armes à Kadhafi en pleine guerre, commente Pierre Haski, de Rue89.

L’accusation a été d’abord publliée dans la presse canadienne, documents à l’appui, avant d’être reprise par le Conseil national de transition (CNT), la nouvelle direction du pays.
Selon le Globe & Mail de Toronto, trois sociétés chinoises d’armement ont mené en juillet des négociations avec des représentants du colonel Kadhafi, pour acheter quelque 200 millions de dollars de matériel. Les négociateurs libyens auraient suggéré que la livraison transite par l’Afrique du Sud ou par l’Algérie, ou que du matériel chinois déjà en Algérie soit fourni à l’armée restée fidèle à Kadhafi.
Omar Hariri, un membre du CNT, a affirmé que les armes chinoises avaient bien été livrées et qu’elles avaient été employées contre la rébellion. Une accusation qui a créé quelques vagues à Pékin, où le ministère des Affaires étrangères, non sans embarras, a reconnu que les entretiens avaient bien eu lieu en Chine, mais que le contrat n’avait pas été signé ni exécuté.
La Chine se retrouve sur la défensive dans cette affaire, car elle a voté la résolution 1970 des Nations Unies instaurant un embargo sur les livraisons d’armes au régime de Kadhafi. Difficile de croire, comme l’a affirmé la porte parole chinoise, que ces négociations en violation de l’embargo aient pu se dérouler sans l’accord du pouvoir politique, s’agissant de sociétés géantes comme Norinco, un million de salariés, déjà impliqué dans plusieurs affaires de livraisons d’armes controversées.
La Chine avait déjà essuyé les critiques des nouveaux maîtres de la Libye, qui ont en particulier laissé entendre qu’ils tiendraient compte de l’attitude chinoise à leur égard dans la répartition des contrats pétroliers, un sujet-clé pour la Chine (comme pour tous les protagonistes de cette guerre…). 10% des exportations libyennes de pétrole étaient destinées à la Chine l’an dernier.
Dix jours après la chute de Kadhafi, la Chine n’a toujours pas reconnu le CNT, et se refuse à autoriser le versement au nouveau pouvoir des avoirs libyens à l’étranger « gelés » au début de la guerre. Lors de la réunion de Paris sur la Libye, la semaine dernière, la Chine a dépêché un simple vice-ministre, signe de son peu d’empressement à « aider » le nouveau régime.
Les raisons de l’échec chinois
La diplomatie chinoise, devenue ces dernières années beaucoup plus active avec l’essor de l’économie du pays, paye aujourd’hui le prix de de pas avoir vu venir l’épilogue de la crise libyenne. Deux facteurs ont contribué à l’aveuglement de Pékin :
– Une surestimation de l’affaiblissement de l’Occident et de sa capacité militaire à mener un nouveau front alors que les guerres d’Afghanistan et d’Irak (pour les Britanniques et les Américains) se poursuivent ;
– Une difficulté à appréhender les phénomènes internes aux pays arabes, et en particulier à comprendre la dynamique des révolutions qui ont commencé en Tunisie en décembre dernier (ils ne sont pas les seuls, suivez mon regard…).
La Chine a en fait mené un double jeu pendant ce conflit, votant ou s’abstenant au Conseil de sécurité de l’ONU -où elle dispose d’un droit de véto-, ce qui a permis l’entrée en guerre des pays de l’Otan, tout en ménageant le régime de Kadhafi et … en établissant des contacts avec le CNT.
Pendant le conflit, Pékin a exprimé un agacement croissant face à l’escalade menée par les pays de l’Otan, estimant -à juste titre, il faut bien le dire- que ces pays outrepassaient le mandat qui leur avait été donné par l’ONU. Nicolas Sarkozy a essuyé ces critiques chinoises lors de sa visite à Pékin, en pleine guerre.
Sur le web chinois, fait observer un diplomate en poste à Pékin, les critiques vis-à-vis des Occidentaux étaient encore plus vives, exerçant ainsi une pression sur le gouvernement chinois pour durcir le ton.
Les Chinois prennent très mal, aujourd’hui, les accusations de Tripoli. Le Global Times, un quotidien officiel à tendance nationaliste, a qualifié d’« immatures » les mises en causes du CNT :
« Bien que le CNT ait remporté une victoire militaire, il doit faire la preuve de sa capacité à créer un régime stable et responsable. »
Dans un message plus large, l’éditorial ajoute :
« Contrairement à des pays plus prompts à intervenir dans les affaires internationales, comme les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France, la Chine et la Russie sont plus susceptibles de rester neutres sur la scène mondiale. La Libye, pour devenir un membre respecté de la Communauté internationale, devrait apprendre à traiter correctement les différentes types de puissances de ce monde ».
Global Times, dont nul ne doute qu’il exprime un point de vue officiel, met en garde le CNT que s’il ne « protège pas correctement » les intérêts de la Chine en Libye, « il en paiera le prix ».
Une grave crise de la diplomatie chinoise
C’est assurément la plus importante crise diplomatique dans laquelle se retrouve la Chine depuis son nouveau statut non déclaré de superpuissance. Elle est significative du fait que la diplomatie chinoise actuelle est exclusivement dictée par l’intérêt de l’économie du pays, de sa voracité en matières premières et sa nécessité d’ouvrir des marchés.
Toutes les puissances de ce monde agissent évidemment en fonction de leurs intérêts, mais disons que la Chine le fait plus crûment, sans l’habillage humaniste des démocraties occidentales…
Dans l’actuelle tourmente des révolutions arabes, ce positionnement est mal équipé pour faire face à des situations très changeantes dans lesquelles les peuples ont l’initiative. La France a expérimenté à ses dépens, en Tunisie, son incapacité à sortir de son tête-à-tête avec les dictatures, mais a vite effectué le nécessaire virage, au point d’entendre Nicolas Sarkozy employer la semaine dernière un lyrisme libertaire inimaginable au début de l’année.
La Chine va assurément tenter de réexaminer sa posture et son attitude pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Le cas de la Syrie risque de la placer dans une nouvelle situation inconfortable, avec la montée des pressions internationales sur le régime Assad, qui, comme Kadhafi, bénéficie de la bienveillante « neutralité » chinoise. Une neutralité qui est perçue, par les opposants au despote comme un soutien à celui qui les fait massacrer.
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Les intérêts des démocraties occidentales s’accommodent tout aussi bien du maintien que de la chute d’une dictature, de l’ingérence comme de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays tiers. La Chine n’a pas cette flexibilité, et manie en revanche la menace de la perte de l’accès à son marché intérieur ou de ses subventions.
Face à la Libye aujourd’hui, comme à la Norvège l’an dernier, ces menaces sont creuses : l’une comme l’autre sont solvables grâce à leur pétrole. C’est la Chine qui en a besoin, pas l’inverse. S’ajoute à cela que le futur régime libyen n’aura guère de motivation pour respecter la Chine qui soutenait Kadhafi.
On a quand même le bon rôle dans tout ça! Parce que finalement, on a pas fait moins que les chinois quand Kadhafi etait au pouvoir : on lui déroule le tapis rouge a Paris, etc.. La seule différence c’est qu’on a eu la chance de pouvoir retourner notre veste et aider les rebelles qui ne voulaient plus de Kadhafi, chose que la Chine aurait bien eu du mal a faire puisque censée être « neutre ».
La Chine commence a ressentir ce que signifie être la 2eme puissance économique mondiale… Des choix elle va devoir en faire dans le futur, être neutre généralement ne marche qu’un temps!
不管黑猫白猫,能抓老鼠就是好猫 – 邓小平
Le gouvernement Chinois a fait pour Kadaf ce qu’il aurait fait ET FAIT chez lui, réprimer à tout va (comme au Tibet en en Mongolie) !! Un peu du genre : tuer-les tous, dieu reconnaîtra les siens.
Les dirigeants chinois qui ont pris des décisions pour la Libye vont-ils avoir droit à une rééducation type MAO en son temps ?
Cela ne leur fera pas de mal aux Chinois de ce ramasser, ils apprendront que rien n’est acquis même avec les poches pleines de fric.
MOI… je
C’est marrant de voir à quel point cette affaire est une conséquence du 11 septembre. La Chine n’aurait jamais été dans cette position là avant…