La victoire à Roland Garros de Li Na provoque un débat sur le système d’entraînement des sportifs chinois. Véritable « usine à médailles », celui-ci est en effet géré par l’Etat, et ce n’est que pour s’en être extraite que la joueuse a pu réaliser cet exploit.

Li Na. Quasiment inconnu jusqu’à ce week-end, ce nom est désormais entré dans l’Histoire comme celui de le première chinoise à remporter le légendaire tournoi de Roland Garros.
Encensée par les médias gouvernementaux pour sa victoire (qui a fait la Une de la plupart des journaux officiels), la jeune femme a également réussi l’exploit de rassembler devant leurs écrans 95 millions de téléspectateurs, alors que les Chinois sont en général plus intéressés par le foot et le basket que par le tennis.
Et si jusqu’à aujourd’hui, ils étaient relativement peu à pratiquer le tennis, encore considéré ici comme un sport réservé aux élites, il y a fort à parier que la victoire de la « légende asiatique » (dixit le Quotidien du peuple) amène du monde dans les clubs. (Voir la vidéo)
« C’est un réel tournant, pour un sport dominé en grande partie par des joueurs européens, australiens et américains. C’est une source de fierté pour tous les Asiatiques, et cela peut servir de point de départ au développement du tennis chinois« , s’enthousiasmait hier Sun Jinfang, la directrice de l’Association Chinoise du tennis, dans Xinhua.
Le sport chinois, une « usine à médaille »
Mais dans ce concert de louanges, les médias gouvernementaux n’ont apparemment pas trouvé pertinent de revenir sur les démêlés passés de Li Na avec sa hiérarchie au sein de cette Association, émanation directe de l’Etat.
Cela révèle pourtant bien des choses, tant sur la personnalité de la jeune femme que sur le système d’entraînement des sportifs en Chine.
Car pour la deuxième économie mondiale, le sport est un véritable enjeu de soft power, une manière de s’affirmer sur la scène internationale qui mérite un investissement conséquent.
Comme le rappelait en 2008 le TIME, le sport chinois est régi par un système hérité de l’Union Soviétique, une véritable « usine à médailles » dans laquelle les sportifs sont traités comme des fonctionnaires, voire du personnel militaire, entièrement dévoué à l’obtention de médailles d’or et au maintien, en interne, d’un patriotisme fort.
Li Na l’anti-conformiste
Un système dans lequel Li Na ne s’est jamais vraiment sentie à son aise. « Tout était prévu à l’avance, et la seule chose que l’on pouvait faire était obéir« , déclarera-t-elle dans la presse.
Résultat : les conflits avec sa hiérarchie se sont multipliés au cours de sa carrière, et ont connu un point d’orgue en 2005, après que la joueuse ait dénoncé dans la presse les défauts de la bureaucratie du tennis chinois.
Elle s’était également plainte de l’absence totale de contrôle des joueurs sur les horaires, les façons de s’entraîner et sur l’argent des prix, dont 65% doit être reversé à l’Etat comme dédommagement de la formation dispensée.
A l’époque, la réaction de Sun Jinfang, directrice de l’Association Chinoise du tennis -aujourd’hui si mielleuse- avait été ferme : elle avait tout bonnement menacé Li Na d’être exclue de l’équipe pour les J.O de 2008.
« Li Na n’a pas vu ce que le pays a sacrifié pour son entraînement. Elle se compare juste aux joueurs étrangers. Ce genre de raisonnement de bas-étage n’est pas éthique, et prouve un manque de responsabilité et de compréhension de sa mission« , déclarait-elle alors à Sina. Elle s’intéresse seulement à l’argent des prix, mais n’a pas pensé à son devoir envers son pays« .
Ce n’est qu’après les Jeux Olympiques de 2008, auxquels elle participe finalement, que Li Na se met à s’entraîner à son compte. Comme quelques autres joueuses, elle bénéficie d’un arrangement avec les autorités qui lui permet également de ne plus reverser à l’Etat que 8 à 12% de ses gains.
Les éditorialistes se rebellent
Inutile de dire, donc, que depuis son éclat de ce week-end, les dirigeants du sport chinois mangent leur chapeau, d’autant que certains commentateurs ont profité de l’occasion pour critiquer le système en place.
« La clef du succès du tennis chinois est la professionnalisation et l’abolition de la bureaucratie« , affirme par exemple sur Weibo (le Twitter local) Liu Zhi Xiang, vice président du Liao Sheng Evening News.
« Nous n’avons pas besoin d’un Système National, nous avons seulement besoin d’une compétition juste et d’un environnement libre« , renchérit Chen Jie, du Beijing News.
Mais du côté officiel, on a vite écarté toute remise en cause du système actuel. « Il y a trop de groupes d’intérêts impliqués, a déclaré Pei Dongguang, de l’Institut Capital de l’Education Physique, à la BBC. Si nous abandonnons le système, comment toutes ces personnes feront pour trouver du travail?«
« Quand Li Na a gagné les Opens de tennis français, elle n’a pas couru autour du stade avec un drapeau chinois, elle n’a pas pleuré de joie pendant son discours et elle n’a certainement pas « remercié son pays » comme n’importe quelle personne qui est un produit du système l’aurait fait, ironise pour sa part un éditorialiste du quotidien libéral China Southern Daily. A la place, elle a simplement remercié son équipe, son public, le personnel et même les ramasseurs de balles. Elle a souhaité un bon anniversaire à un ami. Le côté humaniste de cela ne va sans doute pas bien avec la bureaucratie« .
Cette victoire pourrait donc bien être le triomphe de l’anti-conformisme. D’autant que, comme un clin d’oeil, elle est tombée le 4 juin, 22 ans après les événements de Tiananmen. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en ce jour sensible, aucune manifestation de joie n’a été observée dans les rues de la capitale.
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Mis à jour le 8 juin : c’est en 2008, et non en 2009 que Li Na a commencé à s’entraîner à son compte, et Sun Jinfang est une femme, pas un homme.
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On en apprend de belles!
Une de mes copines chinoises a éclaté de rire quand je lui ai demandé si on allait faire la fete pour la victoire » ce n’est pas le moment’ m’ at elle dit…
article extrêmement intéressant. Et pourtant je n’en ai habituellement rien à cirer du tennis, mais là, on voit très bien les implications politiques et sociales que peuvent révéler le sport et la compétition.
Par exemple, la phrase « Il y a trop de groupes d’intérêts impliqués » est hallucinante.
Cette phrase est aussi hallucinante :
« Si nous abandonnons le système, comment toutes ces personnes feront pour trouver du travail? » »
Ils ne peuvent pas le trouver honnetement leur travail ?
ça ne leur passe même pas par la tête !
Je dirais plutôt que c’est une question globale en Chine.
Si on rationalisait les tâches, par exemple bureaucratiques mais pas seulement, on pourrait aisément mettre à la porte plus de la moitié de la population « active » (hors paysans).
Cette phrase est plus qu’hallucinante, elle est vertigineuse si on pense au nombre de personnes qu’elle concerne.
Vous prenez un sacré raccourcis. Être peu efficace parce que travaillant dans un système qui ne l’est pas, est-ce malhonnête ?
Pour le moment, il me semble au contraire que, pour les chinois comme pour le monde, mieux vaut que la Chine aille le plus lentement possible dans cette logique du rendement.