Par souci humanitaire pour Haïti et pour ne pas enfoncer un président taïwanais plutôt conciliant, la Chine n’utilise pas les secours portés à Haïti pour avancer diplomatiquement dans la région face à son rival.

Soucieuse de préserver le réchauffement en cours avec Taïwan, la Chine ne devrait pas chercher à utiliser la crise humanitaire en Haïti pour tenter de ramener le pays des Caraïbes dans son giron diplomatique, selon des analystes. Huit policiers chinois, dont quatre participaient à la force de stabilisation des Nations unies (Minustah), sont morts lors du séisme. Leurs dépouilles ont été accueillies mardi avec tous les honneurs à Pékin et une cérémonie officielle pour ces « héros » aura lieu mercredi.
Après le séisme, Pékin a débloqué une aide d’urgence de 30 millions de yuans (3 millions d’euros) et envoyé une équipe de secouristes. Et la Croix Rouge chinoise a offert à son homologue haïtienne un million de dollars. Sur le terrain, elle a proposé de travailler en coopération avec Taïwan, qui a décliné.
Dans le passé, la Chine avait utilisé les crises qui ont agité Haïti – un des 23 pays à toujours reconnaître Taïwan, île rebelle selon Pékin – pour prendre position face à son rival. Membre du Conseil de sécurité de l’ONU dotée du droit de veto, elle avait notamment accepté en 1994 de ne pas faire obstacle au retour d’exil du président Jean-Bertrand Aristide, soutenu par les Américains. Mais elle avait posé comme condition l’ouverture réciproque de bureaux de représentation commerciale, vue comme une première étape avant la normalisation. Sa participation à la Minustah, avec 125 policiers, relevait aussi d’une démarche politique.
Une Chine de plus en plus forte sur la scène internationale a ainsi progressivement récupéré ces dernières années un certain nombre de pays qui s’étaient rangés du côté de l’île nationaliste en 1949. Mais l’arrivée au pouvoir à Taïpei du nationaliste Ma Ying-jeou, partisan du resserrement des liens avec Pékin, a changé la donne. « Depuis 2008, il y a une trêve diplomatique, non écrite bien évidemment, mais elle est respectée. Depuis l’élection de Ma, Taïwan conserve ses 23 pays », explique Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à la Hong Kong Baptist University.
Plusieurs pays latinoaméricains étaient ainsi tentés de passer du côté de la République populaire, mais Pékin leur a demandé de patienter. « Pékin a exercé de la retenue et n’a pris aucun allié diplomatique à Taïwan, même si trois ou quatre pays, dont le Nicaragua et le Panama, qui sont plus riches et plus grands que Haïti, l’ont approché depuis un an et demi », explique Pan Hsi-tang de l’Université Tamkang de Taïpei. « Il n’y a pas d’arrière-pensée politique » à l’aide chinoise lui fait écho Jean Walnard Dorneval, représentant du bureau de développement commercial de Haïti à Pékin. « La réponse de la Chine après le séisme répond à une nécessité humanitaire, pour contribuer aux efforts des Nations unies, soutenir les Haïtiens et sauver les siens ».
« Comme Ma subit une certaine pression de la part de l’opposition (taïwanaise, hostile au rapprochement), le continent ne veut pas réduire avec trop de force l’espace diplomatique de Taïwan », analyse Xu Tiebing, expert des relations internationales à l’Université des communications de Chine à Pékin.
Mais cela ne signifie pas qu’à l’avenir, la Chine ne cherchera pas à tirer son épingle du jeu, selon Brian Bridges de l’Université Lingnan de Hong Kong. « Il est très probable que le fait que la Chine soit impliquée à ce stade dans l’envoi d’aide humanitaire et d’experts de la gestion des tremblements de terre, puis vraisemblablement plus tard dans la reconstruction, lui donnera sûrement un avantage diplomatique à l’avenir ».