Cette fois-ci, pas de fermeture, comme au Tibet l’an dernier. Les autorités ont décidé de laisser la presse étrangère accéder à Urumqi, une stratégie nouvelle dont ne bénéficient pas les médias chinois.

Le gouvernement chinois apprend il de ses erreurs passées ? Alors qu’il avait essayé de fermer toutes les vannes de l’information lorsqu’avaient éclaté les émeutes de Lhassa, il a choisi de laisser les journalistes étrangers se rendre à Urumqi pour traiter des violences qui s’y sont déroulées.
« Nous adoptons une politique d’ouverture et de transparence vis-à-vis des médias sur l’incident du 5 juillet. Nous fournissons aide et assistance aux médias locaux et étrangers pour leurs travaux au Xinjiang avec l’espoir que les médias internationaux couvriront l’incident d’une manière objective et juste » a déclaré Qin Gang, porte-parole du ministère des affaires étrangères, mardi 7 juillet.
Un tour organisé
48 heures après le début des manifestations, une visite guidée des lieux incendiés et pillés était organisée. Un organisme, mis en place au cours des derniers mois, propose même d’assister les journalistes dans leur travail, le « China Media Culture Centre ». Dans un mail envoyé aux correspondants étrangers, il promet de « fournir une assistance efficace et pratique conforme à la politique chinoise lors des interviews ». Ses responsables disent n’avoir aucun lien avec les autorités mais disposent néanmoins du listing de l’ensemble des journalistes étrangers accrédités en Chine.
Comprenant qu’il fallait nécessairement montrer quelque chose, le gouvernement a choisi de présenter sa version des faits et d’accueillir les journalistes étrangers pour leur faire passer le message.
La leçon du Tibet
« Ils ont appris du Tibet. En bloquant les reporters étrangers à l’extérieur, ils avaient subi un retour de flamme, cette fois-ci, ils ont adopté une attitude plus pro-active » estime Yuen-Ying Chan, directrice du Centre d’études du journalisme et des médias de l’Université de Hong Kong. « Peut-être qu’ils ont appris, peut-être aussi qu’ils se sentaient plus confiants cette fois-ci sur ce qui s’est passé là-bas » dit-elle.
Cette fois-ci, la communication d’état a décidé de prévenir plutôt que de guérir, d’essayer d’imposer son message plutôt que de voir publiés des articles sur le blocage de la presse étrangère, qui ternissent l’image que le pays veut donner de lui-même au monde extérieur.
Faut-il y voir une réelle ouverture des autorités, désormais convaincues qu’il est dans l’ordre des choses que la presse fasse librement sont travail, ou une tentative visant à orienter dans le « bon » sens les médias étrangers ?
Ouverture ou manipulation ?
« Cela relève des deux. La couverture médiatique est plus ouverte, mais cela est fait pour manipuler les médias, pour faire passer le message de l’Etat, estime Yuen-Ying Chan, cela n’empêche pas pour autant qu’il y a des effets positifs: la région est restée accessible aux journalistes étrangers. »
Le gouvernement a également réalisé qu’il était devenu impossible d’essayer d’imposer un écran noir sur une information dès lors qu’elle prend de l’ampleur.
L’émergence rapide de réseaux de socialisation et d’échange d’informations tels que Twitter, Facebook et leurs équivalents chinois et la démocratisation des appareils photo ou des téléphones équipés d’appareils font de chaque citoyen une personne capable de transmettre une image ou toute autre information.
La pression de l’internet
« En un an même, les sites web de réseaux sociaux se sont développés. Les choses ont changé si vite. Internet a donné plus de place à l’information transmise par le public » dit Yuen-Ying Chan.
Reste à savoir si cette nouvelle stratégie de communication de crise fonctionne. Bien sûr, les médias occidentaux restent encore sceptiques quant aux informations fournies par Pékin. Mais la réactivité semble néanmoins porter ses fruits. Lors des émeutes de Lhassa, la presse étrangère n’avait donné aucun crédit au bilan humain fourni par les autorités chinoises. Dans les jours qui suivirent les émeutes, à défaut de chiffres crédibles fournis par le gouvernement, les médias étrangers reprirent largement ceux donnés par les Tibétains en exil, hostiles à Pékin.
Ainsi peut-on lire dans un article du New York Times daté du 16 mars 2008, soit 2 jours après le début des violences à Lhassa que : « Les autorités chinoises ont nié avoir tiré sur les manifestants, mais les chefs tibétains en Inde ont dit à des agences de presse samedi qu’ils confirmaient que 30 Tibétains étaient morts et qu’ils avaient des récits non confirmés faisant état de plus de 100 (morts) ».
Un message chinois qui passe mieux
Deux jours après les manifestations d’Urumqi, en revanche, le même journal publiait cette fois-ci les chiffres fournis par Pékin, dans un article sur les divisions ethniques en Chine et notamment sur les relations entre Ouïghours et Chinois: « Cette dynamique (la colonisation du Xinjiang) pourrait avoir posé les fondations des émeutes de samedi, au cours desquelles 156 personnes ont été tuées et plus de 1000 blessées lorsque des Ouïghours en colère ont attaqué des civils Han et se sont opposés aux forces de l’ordre au travers de la ville ».
Comme l’espérait probablement Pékin, l’article du quotidien de référence américain reprenait les chiffres fournis par les autorités chinoises, invérifiables pour les journalistes étrangers, sans préciser qu’ils étaient issus d’une source officielle.
Après avoir annoncé initialement qu’il n’y avait eu que 3 victimes, les autorités ont rendu public un bilan de 156 victimes. Les médias, dans leur soif insatiable de publier des informations, ont largement repris ce bilan, certes avec scepticisme et en y adjoignant le bilan fourni par les Ouïghours en exil, mais en mettant au premier plan le bilan de Pékin. « Le gouvernement a annoncé très vite le nombre de victimes, les médias l’ont repris. Ils les ont pris au mot » dit Yuen-Ying Chan.
Une ouverture limitée
Les vieux réflexes n’ont pas disparu pour autant. Les autorités ont coupé internet et bloqué certains téléphones portables dans la ville d’Urumqi pour limiter la circulation d’informations non contrôlées. Facebook est également bloqué depuis plusieurs jours.
Car en jouant l’ouverture, le risque était pour le gouvernement chinois de voir sur les écrans du monde entier des images imprévues, comme celles de manifestants ouïghours indésirables lors de la visite d’Urumqi organisée par les autorités.
Du coup, l’ouverture n’est que partielle. Plusieurs cas dans lesquels les autorités ont empêché la presse étrangère de travailler ont été signalés. Le Club des correspondants étrangers en Chine a publié un communiqué dans lequel son président Scott McDonald souligne que « détenir et harceler des journalistes pour avoir rapporté des informations est mal ». « Nous appelons les autorités à permettre aux journalistes de faire leur travail sans contrainte » poursuit-il.
La presse chinoise sous surveillance
Les plus importantes barrières pourtant n’ont pas été imposées aux médias étrangers mais à la presse chinoise qui, elle, ne bénéficie pas du tout de l’ouverture.
Dans les médias locaux, l’ordre a été donné de relayer l’information au second plan et dans la version fournie par Pékin.
Ainsi, depuis leur déclenchement dimanche 5 juillet, les événements d’Urumqi n’ont jamais été évoqués au cours des 10 premières minutes du Xinwen Lianbo, journal télévisé de la CCTV, le plus regardé de la planète. Mardi 7 juillet, alors que des manifestations de Ouïghours avaient eu lieu dans la matinée et que des Hans étaient descendus dans les rues pour se venger, il n’était pas question du Xinjiang au cours du premier quart d’heure du JT du soir. Lorsque, finalement, le présentateur évoqua la Région autonome, c’était pour lancer un reportage sur un médecin de campagne chinois soignant les Ouïghours dans des villages reculés et remercié par ses patients et leurs familles pour ses généreux services.
Le lendemain midi, alors que Hu Jintao venait de quitter l’Italie où il devait assister au sommet du G8 du fait de la gravité de la situation, le journal de la CCTV du midi n’évoquait pas son départ mais préférait relater les échanges fructueux que le président avait eu la veille avec son homologue italien.
Lorsque des images ont été diffusées, elles l’ont été après un choix méticuleux, au service d’un message : les violences ont été fomentées de l’étranger, par le Congrès mondial ouïghour, et relèvent du terrorisme.
Censure toujours de rigueur
Toute tentative de diffusion d’une vision alternative des causes des émeutes meurtrières est censurée. Sur les sites les plus populaires du pays, comme Sina et Sohu, les événements ne sont évoqués que pour souligner que les familles des victimes chinoises seront indemnisées par le gouvernement et que les violences ont été orchestrées de l’étranger.
Lorsque des blogueurs tentent de faire part d’une autre version des faits, leurs écrits sont censurés. Ilham Tohti, responsable du blog uighurbiz.cn et professeur d’économie à l’Université centrale des minorités de Pékin a été arrêté.
Il avait relayé des informations sur les émeutes. « Les autorités ont arrêté un auteur indépendant qui publiait simplement des informations sur son blog. Nous pensons que son arrestation est le résultat direct du rôle qu’il a joué pour informer la communauté ouïghoure en Chine et à l’étranger » explique l’organisation Reporters sans Frontières dans un communiqué.
Une politique risquée
En faisant le pari d’un début d’ouverture vis-à-vis de la presse étrangère tout en maintenant une poigne de fer sur l’information à l’intérieur du pays, le gouvernement chinois prend des risques. Car le deux poids deux mesures a peu de chances de séduire les journalistes chinois, qui accèdent à une information mondialisée.
« Tout cela est très ironique. Finalement, le gouvernement chinois donne plus aux étrangers qu’aux Chinois » juge Yuen-Ying Chan. « Mais cela va également faire grimper les aspirations des journalistes chinois, qui vont dire « pourquoi eux et pas moi ». Et à terme, cela lèvera un peu les barrières pour tout le monde » espère-t-elle.