On a tort de croire que la Chine digère toutes les idées et coutumes occidentales. Si il est bien un domaine pour lequel le pays s’est posé en exacte opposition à nos modes de pensée, c’est bien celui du bronzage.
En Chine, tout simplement, les filles cherchent à bronzer le moins possible. Les poètes chinois ont toujours évoqué une peau « pure comme du jade et transparente comme de la glace » pour définir la beauté absolue. Historiquement en effet, la blancheur de la peau témoigne d’une oisiveté signe de haut statut social et de richesse. Les travailleurs, eux, sont supposés avoir la peau brunie par le soleil. Si en Occident, la logique s’est inversée depuis longtemps et si désormais les blancs maladifs sont raillés par les vacanciers bronzés, la fascination pour le teint pâle est toujours d’actualité en Asie.
Cette spécificité a développé tout un marché de produit blanchissant. Maquillage, crèmes blanchissantes, produits de dépigmentation, mousses lavantes, masques … 90 millions de chinoises dépensent plus de 10 % de leurs revenus en produits de beauté, dont un tiers pour conserver une peau blanche. A Shanghai en particulier, elles déboursent 50 fois plus que la moyenne nationale.
Mais avant même de dépenser, les shanghaïennes apprennent à cacher leur corps de tout rayon bronzant. Chapeau, gants, ombrelles … Une chinoise soucieuse de son allure ne dénudera sa peau que si le ciel est couvert ou si la nuit est tombée ! En passe de devenir une grande ville de la mode et une métropole cosmopolite, Shanghai voit cependant cette conception dermatologique chamboulée par le point de vue occidental.
Depuis un certain temps, un débat anime la presse shanghaïenne. Avec l’été et les jours de ciel bleu, les ombrelles ont naturellement fleuri. Mais cette année, l’afflux de jeunes étrangers a développé de manière considérable les jardins assaillis d’occidentaux dénudés, venus se « dorer la pilule ». Ainsi, l’agence Chine nouvelle s’est fait l’écho d’un problème de voisinage survenu dans un parc résidentiel huppé de Shanghai. Les jours de ciel bleu, plusieurs mannequins résidant dans l’un des immeubles ont pris l’habitude d’exposer leur plastique alléchante dans des maillots de bain sommaires. Souhaitant parfaire leur bronzage, les demoiselles se sont cependant attiré les foudres des chinoises de bonne famille, scandalisées par tant d’indécence.
Même auprès des jeunes, l’incompréhension domine. Si la plupart des Shanghaïens ne voient aucun problème à ce que les étrangers veuillent brunir et se satisfont de cette mixité sociale, ils ne sont malgré tout pas encore prêts à imiter l’ouest. Si révolution il y a dans les coutumes des chinois, elle se fera par la grande bourgeoisie. En effet, les bikinis séduisent de plus en plus les chinois fortunés qui ont séjourné hors de Chine et ont goûté au luxe occidental. Les plus grandes icônes du cinéma chinois, de Zhang Ziyi à Gong Li, ont toutes été photographiées en tenue de bain pour de grands magazines étrangers. La haute couture de Shanghai est elle aussi de plus en plus déshabillée. Mais elle cible la même clientèle aisée que les luxueux produits blanchissants.
Ainsi, la mode chinoise dérive petit à petit. La shanghaïenne devra être blanche, mais s’habiller en tenue légère. S’exposer, puis dépigmenter sa peau à coup de crèmes aux prix exorbitants : un luxe que seules les plus riches pourront s’offrir. Dans la nature des choses, les coutumes s’adaptent. Plus que jamais, en Chine, la beauté est proportionnelle à la richesse.