Vendre son sang pour survivre et finir par en mourir. C’est la tragique mais authentique histoire de milliers de paysans pauvres du Henan, auxquels Miaoyan Zhang consacre un film. Notre partenaire rue89 est partenaire de sa sortie en France.

Il est des vérités qui ne passent pas. Même en Chine, face à un des Etats les plus puissants au monde. Le « scandale du sang contaminé » chinois, né dans les années 90 des appétits financiers d’officiels chinois, a d’abord fait l’objet d’enquêtes journalistiques, d’un roman, et, aujourd’hui, d’un film de fiction, sorti ce mercredi en France.
« Black Blood », du réalisateur chinois Miaoyan Zhang, ne sera pas vu par le public chinois, sauf dans des circuits parallèles forcément limités. Ce film – qui était présenté à Cannes dans la programmation indépendante de l’Acid – montre une vérité dérangeante, l’envers du décor du miracle chinois, que les bénéficiaires de la croissance des trois dernières décennies n’ont pas envie d’entendre.
Comme des centaines de milliers de paysans pauvres, dans les années 90, Xiaolin a commencé à vendre son sang pour gagner quelques dizaines de yuans (quelques euros) indispensables pour améliorer la vie misérable de sa famille sur une terre ingrate. Des prises de sang à un rythme de plus en plus fréquent, compensées par des bols d’eau, devenus une véritable obsession pour rester solide.
Cette manne d’argent facile, sans se soucier de sa santé, se transforme en véritable addiction, en tourbillon de folie jusqu’à ce qu’un virus s’introduise dans le circuit du sang et sème la mort : le VIH.
Le personnage de Xiaolin a existé à grande échelle dans la province chinoise du Henan, au centre du pays, un territoire de quelque cent millions d’habitants, dont beaucoup de paysans pauvres.
J’ai enquêté, pour Libération à l’époque, dans les « villages du sida » du Henan au début des années 2000, lorsque les paysans qui avaient vendu leur sang quelques années plus tôt ont commencé à développer la maladie et à mourir par milliers.
Vent de folie
J’ai recueilli leurs témoignages la nuit, en échappant à la vigilance des dirigeants locaux, sur le vent de folie qui s’est emparé de leur région lorsque des cadres peu scrupuleux du Parti communiste, dont certains ont poursuivi de grandes carrières jusqu’au Bureau politique, ont lancé le business du sang.
Un paysan m’a raconté :
« Un homme ne pouvait pas se marier s’il ne vendait pas son sang pour gagner de quoi construire une maison, faire vivre une famille. Nous vendions notre sang tous les jours aux stations fixes ou itinérantes. »
Des milliers de paysans, sans doute des dizaines de milliers, on ne saura jamais, sont morts dans le dénuement et des souffrances atroces avant que les autorités ne consentent à reconnaître qu’il y avait eu désastre, et n’autorisent quelques soins, souvent chaotiques et détournés.
Le tout dans une impunité totale : personne n’a été sanctionné ou jugé pour ce désastre qui, en termes humains, est l’un des plus lourds depuis l’apparition du sida dans les années 80. Et plus personne n’en parle aujourd’hui, certains des activistes engagés dans la défense de ces victimes ayant dû s’exiler.
Un film exigeant
Cette histoire authentique est la toile de fond de « Black Blood », qu’il faut avoir à l’esprit quand on s’apprête à passer deux heures avec Xiaolin et sa femme.
C’est un film exigeant, grave, d’une esthétique sans concessions en noir et blanc, qui nous conduit pas à pas vers le désastre annoncé.
Maoyan Zhang, dont c’est le deuxième film après « Xiaolin Xiaoli », en 2007, poursuit une veine qui était celle du cinéma indépendant chinois, forcément underground, des années 90 et du début des années 2000 : une fresque sociale de la Chine en pleine transformation, loin des centres urbains qui en mettent plein la vue.
Puis, les uns après les autres, pas tous toutefois, les réalisateurs de cette nouvelle génération ont commencé à regarder du côté de la classe moyenne urbaine, du côté des nouvelles problématiques de la société urbaine, plus individualistes, moins sociales.
A la fois pour répondre aux attentes du « marché », mais aussi parce que les préoccupations sociales leur semblent moins pressantes dans la superpuissante Chine des années 2010.
Pour toutes ces raisons – la vérité historique sur le scandale du sang, l’œuvre cinématographique intransigeante, la fidélité aux engagements sociaux –, « Black Blood » est un film important.
INFOS PRATIQUES
Débats autour du film organisés en France :
Jeudi 24 novembre au Reflet Médicis, 3 rue Champollion, 75005 Paris. Débat avec Xavier Leherpeur, journaliste, critique de cinéma ;
Lundi 28 novembre au reflet Médicis. Débat avec Pierre Haski, cofondateur de Rue89 et auteur du livre « Le sang de la Chine, quand le silence tue ».
Mardi 13 décembre à L’Entrepôt, 7 rue Francis de Pressensé, 75014 Paris, avec Pierre Haski.
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Si un procès devait avoir lieu… pourquoi pas ?
ça s’est bien fait en France en1990
1990 comme l’année du scandale du Henan…
Les procès en responsabilité médicale pour contaminations (SIDA,hépatites,Creutzfelt-Jakob,..) ne s’attachent pas seulement à identifier l’origine de la contamination,le mode de contamination. Dans cette affaire du « sang contaminé » du Henan, ce n’était pas le sang lui-même qui était contaminé mais le matériel non jetable (ou non jeté!) utilisé pour prendre le sang ou le réinjecter aprés extraction d’éléments sanguins « nobles » (plaquettes et/ou globules rouges).
Un autre aspect -essentiel pénalement- dans de tels procès est d’établir quel était -à l’époque des faits (ici en Chine antérieurs à 1990)- l’état des connaissances scientifiques exigibles de la part de ceux qui effectuaient ces pratiques.
Ainsi, la juridiction sera plus sévére avec un spécialiste hospitalo-universitaire qu’avec un simple généraliste. Tout medecin doit entretenir ses connaissances, c’est même exigé, mais ce qui est exigé c’est un entretien « normal » des connaissance. On ne reprochera pas à un généraliste de méconnaitre une publication super spécialisée, alors qu’on en fera le reproche à un grand patron lui-même hyperspécialisé.
En Chine -au moment de faits 1985/90- quel était le niveau de connaissance des modes de contamination du VIH ? Quel était le niveau de compétences éxigible de chacun des maillons ?
Pour son opinion publique, les pouvoirs publics minimisaient le probléme du SIDA en Chine.
Mais je pense que le probléme n’était pas méconnu du monde médical hospitalo universitaire qui a (et avait) de forts liens avec son homologue américain.
De même, les médecins des centres de transfusion sanguine qui réalisaient l’extraction des plaquettes ou glogules rouges étaient conscients des risques.
L’usage de matériel stérile avait du etre recommandé, voire mis à disposition…(?)
Les responsabilités pourraient se situer selon moi au niveau des structures qui -sur place dans les pauvres campagnes- prélevaient et réinjectaient le sang. Ces petites structures n’étaient pas médicalisées, ni médecin ni probablement de vraie infirmiere, juste des personnes capables de placer une perfusion, inconsciente du danger, peut-etre malhonnete (détournement du matériel stérile)… défaillance humaine,on dit …
Ensuite c’est le juge qui décide s’il faut faire payer le pauvre bougre en fin de chaine ou les responsables de l’opération pour n’avoir pas su faire passer les directives et surveiller toutes les étapes de la procédure.
Ceux qui travaillent en Chine savent que les médecins, les ingénieurs chinois sont de haut niveau. Les plans, les procédures sont de bonne qualité
Mais souvent c’est tout en aval que « ça péche »… Au niveau de la réalisation elle-même.
Petit personnel ouvrier mal formé, approximatif, pas bien sérieux, pas vraiment perfectionniste. Est-ce la conséquence de l’emploi d’une main d’oeuvre de paysans-ouvriers ? nombreuse, frugale mais non formée, non spécialisée ?
Le problème se pose dans tous les pays émergents: formation universitaire d’élites mais difficultés pour élever l’ensemble des compétences de tous les intervenants (cadres intermédiaires,agents de maitrise, ouvriers spécialisés, ouvriers, employés)
La Chine a su progresser ces 20 derniéres années au contact (entre autre) des entreprises occidentales, en particulier dans la haute technologie, je pense qu’elle aurait tort de croire qu’elle peut se dispenser maintenant des façons de travailler des occidentaux. Elle a encore à apprendre de l’Occident au niveau de la formation, de la motivation des ouvriers et assimilés.
Et je dis ça parce que, on l’aura compris, j’aime la Chine et les Chinois !
@ fang fang 25/11/2011 :
C’est tout à fait le fait de la réinjection du sang une fois que ce qui intéressait avait été prélevé, incroyable d’avoir entendu à l’époque ce qu’ils avaient fait.
Ne poussez pas, au début des années 90 il était très bien su les conséquences du sang non chauffé et transfusé !
Cela a été fait en toute connaissance de cause : du j’en foutisme ! Rien d’autre si ce n’est le gain d’argent.
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Il est surprenant de vous lire, car au début de votre commentaire vous écrivez :
« quel était -à l’époque des faits (ici en Chine antérieurs à 1990)- l’état des connaissances scientifiques exigible »
Et plus loin :
« …les médecins des centres de transfusion sanguine qui réalisaient l’extraction des plaquettes ou globules rouges étaient conscients des risques. »
ILS SAVAIENT !! Mais n’ont tenu compte de RIEN !!
Là-bas aussi avant comme maintenant, le fric pourri tout.
MOI… je
je me suis mal exprimé et j’ai plusieur fois repris mon commentaire ! (mais j’etais déjà bien long !)
je voulais dire que les medecins des centres de TS avaient la connaissance scientifique des modes de transmission, qu’ils avaient probablement mis en place un protocole de collecte. Par contre ils sont (présumés!) coupables de ne pas avoir controlé sa réalisation pratique sur place, au plus profond du Henan; et SURTOUT de ne pas avoir testé le sang qu’ils recevaient. OUI, j’aurais du écrire qu’Ils avaient connaissance de l’existence du risque…. et on sait ce qui s’est passé.
Avaient ils un interet financier personnel ? et de quelle façon ? On peut etre coupable sans obligatoirement que ce soit par interet financier. Dans ce cas je n’en sais rien. Sûr que ce serait des circonstances aggravantes
En effet c’est plus clair.
L’ont-ils fait par intérêt ? Il n’y a qu’eux qui peuvent le dire, mais le diront -ils si c’est le cas ? J’en doute fort.
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Le plus désolent, c’est que ce fut l’exploitation de la misère pour collecter du sang et de le réinjecter celui-ci sans précaution une fois pris « plaquettes et/ou globules rouges ».
Actuellement, les paysans sont toujours pauvres, mais en plus ils sont malades à en mourir !
Quel va être la suite pour les responsables ? Est-ce que ce sera réellement les responsables qui seront condamnés et non des sous-fifres ?
J’ai comme un doute envers la justice chinoise bien qu’une candidate à la présidentielle Française l’ait porté aux nues !
MOI… je