Au milieu de l’océan de propagande, les journalistes d’investigation tentent de donner un nouveau rôle à la presse, avec face à eux la censure de Pékin et les menaces pour leur sécurité.

« Yulun Jiandu », c’est l’expression chinoise qui désigne « le contrôle par les médias ». Entendez par là une mission de surveillance du pouvoir incombant à la presse. Difficile de comprendre comment un tel concept peut avoir un sens dans un pays caractérisé par le contrôle inverse, celui des médias par les autorités.
Les unes du Quotidien du Peuple, mosaïquées de poignées de main entre officiels, ou les citations interminables de discours de ministres à la CCTV ne doivent cependant pas faire oublier qu’un journalisme vigilant, qui enquête et dénonce, existe en Chine, et que sa survie est d’autant plus respectable qu’elle est difficile.
Le « prédateur » de journaliste
Quand le nouveau patron de la CCTV explique que les journalistes se doivent d’être des « travailleurs de la propagande », ou de « bons porte-paroles » du Parti, des milliers d’internautes crient leur désespoir et raillent un discours d’un autre temps. Personne n’ignore pourtant que l’idéologie « socialiste aux caractéristiques chinoises » promeut la pensée unique plutôt que la liberté d’information.
Mais n’en déplaise à la télévision centrale, Pékin sait assouplir sa doctrine quand il y trouve son intérêt, et la liberté de la presse ne fait pas exception. Au gré de l’entrée de la Chine dans le 21ème siècle, les classes moyennes se sont ouvertes sur le monde, s’informent sur les problèmes de leur pays et revendiquent des outils pour les dénoncer. Les dirigeants ont du reconnaître ce concept de « contrôle par les médias »… pour mieux en fixer les limites.
Pas de remise en cause du système politique, pas d’attaques sur les projets majeurs du pouvoir central, enfant unique et autres grands travaux, et surtout l’obligation d’être sous la responsabilité d’un média agrée, qui concentre les pressions, et censure ses propres publications. Hu Jintao l’avait bien résumé en 2007 : le Parti accepte le Yulun Jiandu, s’il ne réclame pas son indépendance vis-à-vis du Parti.
Pour ceux qui dérogeraient à ces règles, la Chine n’a pas une réputation de tendresse: dénoncé par Reporter sans frontière comme l’un des plus féroce « prédateur » de la liberté de la presse, Pékin condamne et emprisonne pour « subversion » ou « divulgation d’un secret d’Etat » les journalistes s’écartant trop du troupeau et les patrons de presse à qui on en a confié la garde. D’après l’ONG Pen, ce n’est pas moins de 41 écrivains et journalistes qui sont derrière les barreaux pour avoir été trop loin dans leurs enquêtes.
De la viande avarié ou mal-logés
Le journalisme d’investigation s’est donc longtemps cantonné aux problèmes de qualité des produits alimentaires, avant de s’aventurer, à mesure que Pékin communiquait sur ces questions, sur les sujets de corruption locale ou d’abus des patrons d’usine. Ce sont aujourd’hui les problématiques foncières et environnementales qui sont à la brèche de ce journalisme, moderne et toujours naissant en Chine.
Une certaine presse, quotidiens de Canton ou mensuels nationaux, s’est même construit une réputation internationale sur ces reportages. Ils mettent en lumière les injustices très fortes du pays, en s’attardant souvent sur des cas humains, qui suggèrent les problèmes systémiques sans les dénoncer de manière trop frontale.
Ces enquêtes comblent en partie les attentes d’un public qui n’accorde aucune confiance aux médias officiels, et permet à Pékin de mieux contrôler ses provinces, en mettant à jour les agissements des gouvernements locaux. Même les papiers censurés finissent sur les bureaux d’officiels de haut-rang plutôt qu’à la poubelle.
Autre bénéfice pour les autorités : le journalisme d’investigation dynamise toute l’industrie médiatique, explique David Bandurski dans son livre Investigative Journalism in China. Un essor contrôlé qui peut servir les plans de conquête du « soft power » chinois.
Déprime et hommages posthumes
Aujourd’hui, une minorité active, faite de journalistes, d’universitaires ou de lecteurs-bloggers animent un mouvement de réflexion sur le rôle de presse. Ils voudraient pousser plus loin les limites du possible pour les journalistes, assurer la pérennité et la croissance de leurs droits et mettre en place des mécanisme assurant leur sécurité.
Expression récente de ces aspirations, un article du China Youth Daily, paru à l’occasion de la Journée Internationale des Journalistes, le 8 novembre. Les rédacteurs de ce quotidien, publié par la Ligue des Jeunes Communistes, ont tenu a “rendre hommage à leurs collègues qui se battent sur les lignes de front du journalisme de vigilance”. Ils souhaitent ainsi « pouvoir dire au public : quand on bat des journalistes, ce n’est pas seulement une injustice pour eux ou pour leur organe de presse, mais c’est aussi une injustice pour l’intérêt et la volonté public. »
L’appel est d’autant plus poignant qu’il est accompagné d’une étude de cas : celui de Deng Cunyao, journaliste à la Télévision du Fujian, attaqué le 18 octobre 2010 au couteau à la sortie de son bureau, en représailles à des sujets trop critiques.
Car outre la censure, le journaliste d’investigation peut se faire rapidement des ennemis en Chine : fonctionnaires corrompus ou industriels malhonnêtes ne reculent devant aucune forme d’intimidation pour ne pas voir leurs affaires exposées au grand jour. Or le droit Chinois, peu moderne et mal appliqué n’offre que très peu de protection au journaliste et à ses proches. D’où un dilemme, mis en lumière par Yu Deging, en commentaire de l’article du China Youth :
“Comment se faire le protecteur de la justice sociale et de l’intérêt des moins aisés quand on est pas capable de protéger les membres de sa famille?”
Absence de sécurité, frustration de la censure, sans parler de revenus plus que modeste pour une charge de travail énorme… De quoi en décourager plus d’un. Parmi les journalistes qui ont choisi l’investigation, 13 % seulement pensent poursuivre sur cette voie pendant les cinq prochaines années et 40 % ont décidé de s’arrêter, révèle une étude universitaire Hong-kongaise.
Les atouts de la distance
Pourtant, leur existence est vital pour la presse du pays : « Les journalistes d’investigation sont des pionniers ; les stratégies qu’ils mettent en oeuvre et leurs méthodes de travail sont utiles pour tout le monde« , explique le Pr. Zhang, du département média de l’université de Fudan.
Leurs espoirs, ils ne peuvent pas les confier au gouvernement, qui depuis le début 2011 s’oriente même vers une restriction de leurs droits, mais ils peuvent désormais compter sur l’appui des internautes. Mieux connectés, entre eux et sur le monde, ils s’assurent des enquêtes plus efficaces, un lieu de publication plus libre et un gain en visibilité synonyme de sécurité.
D’ailleurs, les reportages censurés atterrissent souvent pour quelques temps sur le web, avant d’être effacés, ou sont parfois publiés dans d’autres provinces, grâce aux connexions entre professionnels. Les démolition du Shandong paraitront dans un journal de Hainan, la pollution pékinoise sera dénoncée à Chegdu. Dans cet immense pays qu’est la Chine, la distance crée de la liberté, une des raisons peut être à ce que Canton, plus proche d’Hong-kong que de Pékin, ait la presse la plus dynamique du pays.
Outre les problèmes de répression et de menace que les journalistes chinois subissent au quotidien, un défi de taille les attend : trouver une compagne. Les Chinoises ont jugé : le journalisme fait parti des profession qui vous condamne au célibat.
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Moi je lis le global times, et certains reportages sont pas mal foutus. Bon ca reste bien orienté chinois, c’est sût, mais dans la manière, c’est pas si dégueu.
… A force de passer juste au dessus de la barre …
Faut pas exagèrer, c’est comme le Canada Dry, ca a la couleur du journalisme, pour faire croire au peuple qu’il y a une liberté de la presse. Je trouve le Global Times encore plus vicelard que le Quotidien du Peuple, qui, lui, au moins, annonce la couleur…