Pour mieux comprendre les enjeux de l’affaire des Diaoyu/Senkaku qui oppose la Chine au Japon depuis septembre, voici la première partie d’un entretien avec Valérie Niquet. Docteur en sciences politiques, sinologue, japonologue, elle nous éclaire sur les causes sous-jacentes de cette crise.

ALC : Comment l’affaire des Diaoyu/Senkaku s’inscrit-elle historiquement? La rivalité Chine-Japon a-t-elle toujours existé?
V.Niquet : Le contentieux historique entre Chine et Japon existe puisqu’il y a eu les épisodes particulièrement durs de la seconde guerre mondiale. Le massacre de Nankin et l’occupation japonaise ont été extrêmement violents, et la mémoire de la guerre et de l’occupation est particulièrement profonde en Chine. D’autant que pendant très longtemps, au Japon, on a eu tendance à ne pas revenir sur cette période de l’histoire comme l’avait par exemple fait l’Allemagne, ce qui a été fortement reproché par les Chinois.
Aujourd’hui, la Chine cherche de plus en plus à s’affirmer comme une grande puissance et à retrouver sa place centrale en Asie. De ce point de vue, le Japon est le grand concurrent économique, mais aussi politique de la région. C’est pourquoi il y a eu les tensions en 2005 autour du Premier ministre Koizumi et de ses visites au temple Yasukuni, et qu’il y en a de nouveau, sur d’autres sujets, aujourd’hui.
De bonnes relations pendant la période communiste
Mais il faut se souvenir qu’en 1949, après la prise de pouvoir par les communistes, et jusqu’au début des années 90, les relations Chine-Japon n’étaient pas particulièrement tendues. La question de la mémoire, de l’histoire et des tensions nationalistes était paradoxalement moins importante à l’époque maoïste qu’aujourd’hui. En 1972, lors du rétablissement officiel des relations diplomatiques entre les deux, Mao n’avait pas du tout abordé la question historique.

Quant à la question des îlots Senkaku, elle n’était pas du tout mise en avant. Un chercheur a même retrouvé une carte chinoise faite dans les années 70 qui représentait la région avec l’archipel des Diaoyu/Tai nommé uniquement par son nom Japonais, Senkaku!
Mais les choses ont changé avec les réformes d’ouverture. Pour éviter que l’ouverture économique n’entraîne une réforme politique, le régime s’est replié idéologiquement et a remis en avant des thématiques nationalistes dans lesquelles le Japon a pris une nouvelle importance.
Aujourd’hui, il y a une interdépendance économique très forte entre les deux : la Chine est le premier partenaire économique du Japon, et celui-ci est le premier investisseur étranger (hors Hong Kong et Taiwan) en Chine. La Chine a donc besoin des investissements et des entreprises japonaises, qui sont très nombreuses sur son territoire. Mais on remarque que curieusement, les intérets économiques n’empêchent pas les tensions politiques.
Pourquoi ce vieux conflit est-il ressorti aujourd’hui? Les ressources gazières et poissonneuses de la région sont-elles vraiment l’enjeu?
Il y a en effet des resources gazières, un peu au nord des Senkaku, qui font l’objet d’une dispute. Mais je pense que ce conflit sur l’exploitation des ressources maritimes est plus le symptome de tensions profondes que leur cause réelle.
Entre 2005 et aujourd’hui il y a eu des rapprochements et une reprise des contacts progressives. En 2009 il y avait même eu la signature d’un accord sur l’exploitation de ces ressources gazières. On voit donc bien que le fond du problème n’est pas là, et que tout repose assez clairement sur la volonté d’appuyer ou pas sur le bouton des tensions.
Et puis, il y a une autre série d’evenement qui peut peut-être expliquer ce qui se passe aujourd’hui.
Un signal fort aux Etats-Unis
On l’a un peu oublié, mais le Parti Démocrate du Japon est arrivé au pouvoir en septembre 2009 sur un programme qui annonçait un rapprochement avec la Chine et une volonté de s’éloigner de l’allié traditionel américain.
Peut-être que le pouvoir chinois avait alors cru qu’il obtiendrait ce qu’il souhaite depuis toujours, c’est à dire que le Japon se sépare des Etats-Unis. Il aurait ainsi pu se rapprocher de l’empire du milieu et devenir l’allié de la Chine dans une sorte de grand pôle asiatique, avec une Chine leader et un Japon en soutien.
Mais les choses ont évolué un peu différemment, et on voit aujourd’hui que les Japonais restent extrèmement attachés à l’alliance avec les Etats-Unis.
Les Chinois avaient aussi cru qu’à cause de la crise économique, les Américains seraient plus en retrait dans la région asiatique. Or on s’aperçoit que l’administration Obama montre au contraire ouvertement sa volonté que les Etats-Unis soient très présents dans la région : en juillet, Hillary Clinton a affirmé que les Etats-Unis avaient un « intérêt direct » à la sécurité dans la région.
Donc les Chinois, après avoir beaucoup espéré « avoir la voie libre » en Asie, s’aperçoivent que les choses ne sont pas si simples. Etre agressif et créer des tensions avec le Japon est donc un moyen de donner un signal fort aux Etats-Unis, pour montrer que si on empiète trop sur ses zones d’intérêt dans la région, la Chine a la possibilité de créer des crises régionales.
Docteur en sciences politiques, sinologue et japonologue, Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et membre du comité scientifique du Conseil supérieur de la Formation et de la recherche stratégique.
A lire aussi : Chine-Japon : l’entente impossible? Entretien avec Valérie Niquet (2/2)
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Je suis circonspect devant les réponses de Valérie Niquet.
Sur la première question, historiquement il aurait été intéressant de rapeler que ces iles étaient chinoises, bien qu’inoccupées, avant 1895 et que c’est suite à la défaite de la Chine face au Japon que ce dernier en a profité pour poser ses affaires sur ces cailloux. Après la seconde guerre mondiale, ces iles ont été occupés par les américains, puis rétrocédés au Japon. Il parait que la Chine ne les a pas revendiqués à l’époque, ça me semble quand même un peu gros.
Bref, c’est comme si en 18 l’Alsace et la Lorraine n’avait pas été rendus à la France : on aurait eu les boules, je crois.
Sur le temple Yasukuni, le « c’est pourquoi » donnant comme raison « véritable » de la colère chinoise des raisons de concurrence politique et économique, et donc comme si ce que Koizumi avait fait ne méritait pas tant de colère, me pose problème : imaginez Angela Merkel déposant une gerbe sur la tombe de Goebels ou consort, et on en reparle.
En 1972, il y a eu clairement une volonté d’apaisement, exactement comme entre la France et l’Allemagne, et dans ce cadre il n’était pas anormal de ne pas souffler sur les braises du passée, ni d’un coté ni de l’autre. Mais quand les Chinois ont vu que cela n’engendrait pas de repentir japonais comme cela a été le cas en Allemagne, il me semble normal qu’ensuite la sauce se soit gâtée.
Autre exemple: « on voit aujourd’hui que les Japonais restent extrêmement attachés à l’alliance avec les Etats-Unis. »
Euuuhhh, moi j’ai plutôt l’impression (notamment en lisant ALJ) que les Japonais (le peuple) n’en veulent plus du tout de la main-mise des Américains sur leur sol, notamment avec les histoires de bases américaines et de soldats violeurs impunis, et que c’est par impuissance face aux Américains que le gouvernement japonais doit ravaler son honneur et se trainer comme un toutou. A moins que « extrêmement attachés » fasse référence à une laisse, je trouve fort de café de formuler les choses comme cela.
Non, ces iles sont bien japonaises. Il n’y a que les japonais qui n’ont JAMAIS changé d’opinion. Pour la Chine et Taiwan, ces iles étaient … japonaises avant 1970, c’est juste marqués sur leurs cartes de l’époque respectives. C’est quand on a trouvé des ressources naturelles à cet endroit que la Chine et Taiwan ont changé d’avis. Tout ça est comme le dit l’article.
虎齒 : je ne dis pas que ces iles ne sont pas japonaises… actuellement. Je dis juste qu’elles étaient chinoises avant 1895, où la Chine les a perdues suite à la défaite face au Japon. Et qu’elles n’ont pas été rétrocédées quand à l’inverse le Japon a perdu lors de la seconde guerre mondiale.
Pour le « changement d’avis », il faut faire attention, j’ai clairement l’impression que les choses sont plus complexes. Après la seconde guerre mondiale, il faut bien se rapeller que la Chine a connu une guerre civile, et qu’à l’époque il n’y avait personne pour signer des traités internationaux ou revendiquer ce genre de choses (ou plutôt il y avait trop de personnes: KMT et PCC). Le Traité de San Francisco a donné le contrôle de ces iles aux Américains, qui ensuite les ont évidemment rétrocédés au Japon (guerre froide oblige). Le problème est que la Chine n’était pas signataire et pas même présente pour négocier ce traité, car il n’était pas clair de savoir du KMT ou du PCC qui était le gouvernement légitime.
Ensuite ces histoires de droit maritime sont complexes, et je préfère largement croire Jean-Pierre Cabestan, chercheur au CNRS, que Madame Niquet, membre d’un think tank (c’est ce qu’est la Fondation pour la recherche stratégique, ce qu’oublie de préciser ALC) et d’un « conseil supérieur » purement sarkozien dirigé par un incompétent notoire.
Jean-Pierre Cabestan explique bien que la Chine s’est faite couillonnée par sa méconnaissance du droit occidental, que maitrisait très bien les Japonais. Et mon opinion personnelle est que ce problème n’a pas de solution. Il dit aussi que les revendications chinoises et taïwanaises ont commencés dès la fin des années soixante, pas des années 90.
Pour les cartes, ce n’est pas une preuve absolue du positionnement politique sur une question, on le voit bien pour le Tibet : la plupart des cartes occidentales montre le Tibet comme partie de la Chine, pourtant la plupart des pays occidentaux soutiennent le Dalaï lama et son « autonomie élargie » qui ne laisserait concrètement rien à la Chine.
Sur l’article, j’ai un autre reproche, sur la phrase « il faut se souvenir qu’en 1949, après la prise de pouvoir par les communistes, et jusqu’au début des années 90, les relations Chine-Japon n’étaient pas particulièrement tendues. «
Ben en réfléchissant un peu et en cherchant un peu sur ‘Ternet, j’ai trouvé que c’était pas la joie, Madame Niquet ballait totalement la guerre froide (la Chine avait un traité avec l’URSS, et le Japon étant sous « protection » américaine, à votre avis ça a donné des gros bisous ?), et oublie par exemple l’affaire du drapeau chinois mis en berne à Nagasaki (dans ce document très intéressant, page 10, marquée 114), qui a notamment provoqué la cessation des échanges commerciaux entre les deux pays pendant plus de 4 ans. Une broutille…
juste une précision sur la présence des étasuniens au Japon. Bien sur les japonais dans une grande majorité ne le supporte pas. mais je gouvernement japonais accepte les bases car il craint une future et éventuel attaque des Chinois
Et ce n’est surtout histoire d’être tenu en laisse…
Le gouvernement japonais n’a surtout pas le choix. Sinon, il aurait tenu sa promesse électorale. Au final, il doit assumer une part de l’aversion nippone pour la présence militaire.
Quand à une attaque des Chinois, c’est du fantasme. La problématique de défense du Japon vis-à-vis de la Chine reposera de plus en plus sur des « petits » empiètements de ci de là (comme cette histoire de bateau de pêche) contre lesquels l’armée US n’est d’aucun recours.
Si les US sont au Japon, ce n’est pas pour protéger le Japon. C’est ce que les Japonais ont compris…
Zong kui (?!?), même si le gouvernement japonais craignait une attaque des Chinois, il n’aurait pas besoin des Américains pour y faire face. Le Japon a la quatrième armée du monde, et pourtant cette armée est fortement défensive. Autant dire que même si les USA essayait des les attaquer (les Japonais), ils s’y casserait les dents. Alors la Chine… Actuellement elle n’a même pas de porte avions (le premier sera prêt en 2014-2015), et même quand il sera prêt, la Chine n’a pas tout le reste pour qu’il soit menaçant (par exemple un porte avions a besoin de pleins d’autres plus petits navires (frégates) autour de lui, pour le ravitaillement, le déminage, anti-sousmarin, anti-aérien, etc.).
Pour le tenu en laisse, c’est parce que j’ai lu que pendant les années 60, suite à des protestations de Taïwan qui avaient fait interrompre des fournitures de matériel industriel par le Japon à la Chine, les Chinois s’étaient fâchés et avait traité les Japonais de 走狗 ( = chien qui court = laquais) des Américains. Superbe ambiance (« pas particulièrement tendu », dit-elle…) .
galanga: toujours pas d’accord avec toi. En 1895, ces iles appartenaient certainement au Japon. Voir wikipedia, version anglaise, comme je l’ai déjà dit.
tous: je pense que vous êtes excessifs sur la relation entre japonais et américains. Qu’il y ait des mouvements de protestation ou de colère, Ok, mais une aversion, je n’y crois pas.
Par contre, c’est assez incroyable de dire qu’il n’y a aucun risque d’attaque chinoise dans le futur. Certes, les chinois communistes sont des lâches dans la guerre, mais ils investissent à fond dans l’armement, et dans leur navy. Alors dire qu’il ne se passera jamais rien, c’est franchement très naif.
D’accord, il ne faut jamais dire jamais.
Mais à ce niveau d’anticipation, la probabilité que cette attaque soit due à la présence US au Japon est tout aussi imaginable, dans le futur… Genre la Chine qui libère le Japon ;-))
(Tiens, maintenant les messages de réponse sont bien placés)
Pour wikipedia, il faut se méfier et vérifier les sources. Hier j’ai vu que des affirmations (fausses, notamment « les relations Chine-Japon n’étaient pas particulièrement tendues ») de Mme Niquet, extraites de cet article de ALC, avaient déjà été introduites dans le wikipedia français. J’ai « corrigé » du mieux que j’ai pu, en me basant sur des documents fait par des japonais ou des américains (comme ça, pas de soupçon).
ici en l’occurrence, ce qui est sur wiki anglais est vrai, et c’est aussi ce que j’ai dit : les iles sont passées sous contrôle japonais en 1895. Avant, elles étaient chinoises (wiki [en] : « China has claimed discovery and administration between 16th century or earlier until 1895 »), mais les Chinois n’avaient pas de présence dessus, ce qui introduit un problème, MAIS compte-tenu du droit occidental (Jean-Pierre Cabestan résume cela très bien).
Dire qu’il n’y a aucun risque d’attaque chinoise (ce n’est pas moi qui ait dit cela) est évidemment absurde. La connerie humaine est universelle. Par contre il faut se méfier de la « propagande » occidentale actuelle qui essaye de faire croire que la Chine est en train de s’armer « à fond ». Il faut rapporter cela au PIB, et encore plus à l’étendu de territoire et de côtes à couvrir. Le budget de l’armée chinoise, même en prenant les chiffre officieux des « experts » occidentaux (supérieur à ceux déclarés), représente beaucoup moins que celui par exemple (au hasard…) de… la France. Wikipedia Français dit pour 2010 : Chine : 1.5% du PIB, France : 2.5% du PIB. C’est 4.4% du PIB pour les USA (2007), en se rapellant que les USA ont un PIB plus de trois fois supérieur à celui de la Chine.
L’augmentation importante du budget ces dernières années est à considérer en regardant d’où les Chinois partaient, c’est à dire de très loin. Voir cet article de ALC.
Pour protéger ses ravitaillements de matières premières (notamment depuis l’Afrique et l’Amérique du Sud), il est primordial pour la Chine de se doter d’une Marine suffisamment forte (cf. remarque sur la connerie humaine). Sinon n’importe quel pays occidental (USA, France, GB, Russie…) pourrait bloquer les navires allant vers la Chine quand il le souhaite.