Avec ses 250 millions de microblogueurs, Sina Weibo est le passage obligé de l’information en Chine et un espace privilégié pour le débat. L’année 2011 se doit d’être vue de l’œil de Weibo… de janvier à avril

1er janvier 2011, visite traditionnelle de Hu Jintao à la “Chine d’en bas”. L’exercice est bien rôdé : une madame-tout-le-monde fait visiter son 45 m² pékinois au président devant les caméras de la CCTV . Le loyer ? 77 yuans par mois, 9 euros, elle peut se le permettre, tout va bien “grâce au Parti et au gouvernement”.
Sur les microblogs, les Chinois s’esclaffent et enquêtent : Mme tout-le monde serait en fait officier de police, elle n’habite pas l’appartement, mais le sous-loue pour quelques 2000 yuans par mois.
Ce sera le premier succès Weibo de l’année, premières gouttes d’une cascade de commentaires drôles, graves, polémiques ou insolites, patriotes ou subversifs qui se déverseront sur le twitter chinois à une cadence effrénée. Et pour comprendre cette année en Chine, rien de tel qu’une revue de la cuvée Weibo 2011. Elle ne manque pas de caractère(s)… Premier épisode (lire le deuxième et le troisième)
Janvier : la colère des lapins
A l’occasion du nouvel an lunaire et de l’entrée dans l’année du lapin, les weibonautes s’échangent cette vidéo musicale. Lait contaminé, démolitions forcées,violences policières, et désespoir généralisé, ce dessins animé incite les « petits lapins » chinois à se rebiffer contre les tigres en uniforme. Un délire subversif qui ne durera pas longtemps, la vidéo est censurée fin janvier, avant même de fêter le nouvel an chinois.
« Je ne crois plus en… ! »
Weibo, c’est un réseau mais aussi un langage pour parler aux autres utilisateurs. Outres les abréviations, pour écrire plus vite ou éviter la censure, les internautes chinois connaissent leurs « mèmes » sur le bout de doigts. La première de ces phrases-blagues qui peuvent se décliner à plaisir nait à l’annonce de la séparation du couple d’acteurs Yao Chen et Ling Xiaosu, le 28 janvier. « Zai ye bu xiangxin aigingle », « Je ne crois plus en l’amour ! », commente un fan. Toute au long de l’année, on retrouvera cette expression sous tous les sujets et à toutes les sauces : une ligne de plus dans le petit dictionnaire Weibo.
Février : Les moteurs de recherche à chair humaine
On a rarement accès à 250 millions de personne dans la vie de tous les jours, mais sur Weibo, c’est instantané. Pour rechercher son fils, kidnappé 3 ans auparavant, Peng Gaofeng ouvre 13 microblogs différents et se fait assister dans ses recherches par d’autres internautes (voir notre reportage vidéo). Le but ? Faire circuler la photo de l’enfant, et espérer que quelqu’un le reconnaisse. Le 1er février, on le prévient qu’il aurait été repéré dans la province du Jiangsu. Peng y part quelques jours plus tard, accompagné du journaliste Deng Fei, qui informera le pays sur l’état des recherches en direct… sur Weibo.
Crises de nerfs, démêlés avec la police locale, embûches mais enfin retrouvailles : « Le monsieur qui pleure, c’est mon père, je m’en souviens » dit l’enfant. Pour la première fois, Weibo a réuni une famille.
Les « renrou sousuo », les moteurs de recherche à chair humaine, avaient certes fait parler d’eux auparavant, plutôt en mal, mais c’est grâce à l’histoire de Peng Gaofeng que la Chine se rend compte de leur réel pouvoir. Les weibonautes ne sont pas seulement mis à profit pour retrouver des enfants perdus, mais aussi pour chercher des preuves contre un officiel corrompu, recenser les enfants des rues, ou traquer l’accusé d’un délit. La communauté s’organise, et même la police en profite.
Février : Gan Lulu et le Weibo-poubelle
Publier une vidéo sur internet pour trouver une femme ou un mari est une pratique plus que commune en Chine. Que les parents s’occupent de ces démarches n’est pas bien rare non plus. Qu’une mère filme sa fille à sa sortie de douche en tenue d’Eve, ca devient beaucoup moins fréquent. C’est pourtant ce que la mère de Gan Lulu a posté sur Weibo, faisant « accidentellement » de sa fille la star Weibo de l’année.
La vidéo tourne beaucoup sur le net chinois, certains crient au coup monté, mais qu’importe, Gan Lulu fait son chemin dans les médias et atterrit dans la célèbre émission « Lady Guagua », qui a vu passer la plupart des « stars Weibo ». Sur le plateau de télé, la mère et la fille s’insultent, se battent, bref, se donnent en spectacle et créent encore le buzz, toujours sur Weibo. Depuis, Gan Lulu a décroché des contrats publicitaires, et fait fortune sur son activité de microblogueuse et de mannequin. Merci qui ? Merci maman.
Et aussi en février : Des poissons rouges enflamment le net Chinois
Mars : Rumeurs salées
Séisme au Japon, secousses dans les supermarchés de Chine. Les internautes craignent que le nuage radioactif de Fukushima n’arrive dans leur ciel, et les très nombreuses discussions autour de la catastrophe parlent du risque que présentent les épinards ou les poissons de mer.
Des rumeurs circulent sur Weibo concernant la protection qu’apporterait le sel au consommateur, et la probabilité que la production nationale soit à terme contaminée… Résultat : les stocks de sel de la côte Est sont dévalisés en quelques heures, créant au passage des scènes d’émeutes dans les magasins.
La rumeur avait tout faux mais prouve que les Chinois font plus confiance à Weibo qu’à leur gouvernement. D’ailleurs quand les télés officielles appellent au calme, la course au sel s’amplifie, « Je suis sorti chercher du sel après 21 heures, il se trouve qu’il n’y en avait déjà plus. Shanghai est maintenant complètement en rupture de stock de sel. Tragique. », commente un internaute.
Les Weibo peuvent donc créer la panique, et le gouvernement les prend en grippe : il faut assurer la « véracité » des informations transmises en ligne. Le début d’une longue croisade contre les « rumeurs » accusées de tous les maux, qui aboutira à de nombreuse arrestations de microblogueurs, et à la fin annoncée de l’anonymat sur les réseaux sociaux.
Avril : jugement virtuel
Weibo suit de près le procès de Yao Jiaxin, un habitant du Shaanxi de 21 ans, réputé fils de bonne famille. Les faits ne font que peu de doutes : l’homme a renversé une jeune mère avec sa Chevrolet. Peu confiant dans les réactions de cette « paysanne avec qui il serait difficile de discuter », il la poignarde, pour l’empêcher de relever son numéro de plaque d’immatriculation. Ces faits, il les reconnaît mais la question qui se pose, c’est celle de la peine de mort.
Yao Jiaxin, c’est tout ce qui ne va pas dans le pays : un « riche de seconde génération », né dans l’opulence et le pouvoir, petit-fils d’un gradé de l’armée, qui se croit au dessus des lois, écrit-on sur le net. L’affaire rappelle à beaucoup de micro-blogueurs celle de Li Gang, l’année passée. Le chauffard s’en était tiré avec 6 ans de prison, « grâce à ses relations » marmonne-ton toujours : Weibo se le jure, Yao Jiaxin, lui, ne s’en tirera comme ça. Toutes les frustrations sont investies dans cette affaire, et les autorités prennent soin d’apporter du crédit à l’opinion des internautes. Pas de censure des débats, un large écho dans la presse, et même des sondages organisés sur internet. Sur Sina Weibo, 90% des utilisateurs se prononcent pour la peine capitale, la justice se laisse influencer : Yao sera éxécuté.
Le tribunal n’aura pas tenu compte du fait que Yao s’est présenté de lui-même à la police pour avouer son crime, et se concentrera sur l’aspect « odieux » de son forfait. En juin, une fois le coupable exécuté, l’avocat de la famille de la victime avouera avoir lancé des rumeurs sur weibo : la famille de Yao Jiaxin n’était en fait pas si riche et son grand-père touche une retraite de quelques 900 yuans par mois. Seulement quelques remords sur la plateforme de micro-blogs, le cas Yao Jiaxing restera un symbole de victoire populaire.
Les 5 bandes du jeune pionnier
Une écharpe rouge, le sourire plein de fierté et la coupe de cheveu proprette, il pose pour des photos dignes des albums de famille du Parti Communiste… Huang Yibo, à seulement 13 ans, deviendra cette année la tête à claque préférée de Weibo.
La photo de ce jeune pionnier (les scouts communistes) arborant 5 bandes à son bras, là ou la hiérarchie devrait s’arrêter à 3, a fait le tour du net en Chine. Encore une fois, les weibonautes veulent en savoir plus et retrouvent des reportages sur le garçon : accro à la CCTV dès 2 ans, il « dévore » le Quotidien du Peuple à 7, et trouve le temps de tenir un blog. « Pour améliorer la nation et le monde, et aider à ramener la Chine vers son âge d’or », précise-t-il. Ce pionnier modèle se veut exemplaire, Weibo le surnommera l’élément « le plus prometteur de l’armée des 5 mao » (les commentateurs payés par la propagande pour répandre la bonne parole sur internet), rapporte le Wall Street Journal.
Les commentaires sarcastiques pleuvent : « n’oublie pas d’écouter des chants rouges tout les jours », « il a dû boire un peu trop de lait contaminé », « il n’aura aucune créativité, mais saura cirer les pompes comme il faut », traduit ChinaSmack. Un peu dur pour un garçon de 13 ans, mais qui sait, il prendra peut-être sa revanche quand il sera à la tête d’un ministère.
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Ne manquez pas les épisode 2 et 3 de notre « année Weibo », cette semaine sur Aujourd’hui la Chine
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Très intéressant, ce récapitulatif !
Je me questionne par contre sur « la fin annoncée de l’anonymat sur les réseaux sociaux ». Cet anonymat a-t-il existé ?
Sur QQ, on ne peut pas s’inscrire sans produire un numéro de carte d’identité.
Qu’en est-il pour Weibo ?
On peut s’inscrire sur QQ avec un faux numéro.
Qu’en sera-t-il demain ?
chapeau, beau boulot !
mamounette
Pourquoi ne pas étudier la faisabilité d’un traité d’entente cordiale entre la France et la Chine
http://fabricemorisseau.blogspot.com/2011/12/strategie-dentente-cordiale…