Avec ses 250 millions de microblogueurs, Weibo est le passage obligé de l’information en Chine et un espace privilégié pour le débat. L’année 2011 se doit d’être vue de l’œil de Weibo… suite et fin.

Suite et fin de notre rétrospective 2011 vu par Weibo… (Lire le premier et le deuxième épisode)
Septembre. Mariage en ligne. Politique, Société, Insolite et Culture, Weibo couvre toutes les rubriques, y compris les pages People. Elles y sont même bien représentées, et font la une du réseau de microblogging quand il s’agit d’un mariage de célébrités. Xie Na est présentatrice télé, Shang Jie star de la chanson, ils sont tous les deux jeunes, beaux et riches, et se sont passé la bague au doigt sous les applaudissements de millions de weibonautes.
Leur mariage fait d’ailleurs partie des 10 sujets les plus suivis de l’année sur Weibo, ce qui en fait du même coup un des événements people les plus retentissants au monde en 2011. Pourtant, passées les frontières chinoises, personne n’a jamais entendu parler de ce couple, qui s’est rencontré lors d’une émission de télé crochet animée par l’une et remportée par l’autre. Une belle histoire et un beau mariage : album-photo aussi public qu’impressionnant, cérémonie à Shangri-la, dans le Yunnan, et parterre de stars en guise d’invités, de quoi faire rêver les Chinoises et les Chinois.
Ordinaire, artistique, stupide. Cela a commencé comme n’importe quel autre phénomène internet : des weibonautes ont posté quelque chose de drôle, les autres ont imité, et celui-ci est devenu le « mème » le plus répandu ces derniers temps sur Weibo, rapporte Ministryoftofu. Le concept ? Trois photos collées les unes aux autres présentant des jeunes gens en pleine action : l’un fait les choses normalement (putong qingnian), le deuxième les fait de façon plus « artistique » (wenyi qingnian) le troisième de façon stupide (erbi qingnian). Les Chinois n’ont pas les Lolcats, mais maîtrisent aussi l’humour geek…
Brigitte Weibo. Les microblogs s’attaquent aux stéréotypes : les Chinois ne mangent pas de chien. Pas tous en tout cas, et beaucoup préfèrent voir dans l’animal un compagnon plutôt qu’un steak. Wang Lingyi n’a eu aucun mal à mobiliser les internautes pour sa cause : faire annuler un festival de dégustation de chien. Son appel au boycott a tout de suite été reposté 55 000 fois.
Il reproche aux organisateurs d’inventer le caractère « traditionnel » de ce rassemblement à des fins commerciales et de maltraiter les 5 à 10 000 chiens qui y sont mangés chaque année. Les festivaliers ont en effet l’habitude de choisir leurs bêtes vivantes et de les « exécuter de différentes manières » avant de les faire cuisiner. Sous la pression du net, la ville organisatrice de Jinhua a dû céder, mais reste amère : « certains villageois ont expliqué qu’ils avaient un attachement émotionnel à ce festival qui s’est transmis de génération en génération, et d’autres ont suggéré qu’il soit listé comme héritage culturel de la ville ». Weibo 1, émotion culinaire 0.
Octobre : Zombie du Parti. Mort ou Vivant ? Depuis plusieurs années déjà, des rumeurs courent en Chine sur l’état de santé de Jiang Zemin. Weibo les amplifie, chacun des internautes y allant de sa « preuve » que l’ancien président est disparu. Absent des festivités communistes majeures depuis le début 2011, le doute est de plus en plus fort pour les weibonautes, malgré les démentis de Pékin. La mort des leaders chinois a toujours été un sujet très sensible en Chine, surtout depuis 1989, quand les évènements de la place Tiananmen avaient débuté par un rassemblement d’hommage à un dirigeant disparu.
Pour certains, c’est une évidence, le Parti ment par crainte des réactions. En juillet, une télévision hong-kongaise annonce sa mort, les autorités nient et censurent son nom sur internet. Les suspicions gonflent. Jusqu’au jour où un Jiang Zemin bien vivant, quoi qu’un peu fatigué, fait son apparition dans une réunion du PCC. La rumeur ne dégonfle pas complétement : il n’a pas parlé, personne ne l’a approché, et si c’était un acteur ? La confiance règne…
Crise morale. Une fillette de deux ans heurtée par une camionnette, trois fois écrasée par une roue, 18 fois ignorée par des passants… Les caméras de surveillance captent la scène, la vidéo fait le tour de Weibo. Quand la petite Yue Yue meurt quelques jour plus tard, des millions d’internautes écrivent leur tristesse et leur colère. Pour beaucoup, la Chine a « atteint son plus bas niveau moral », et les commentaires déferlent par centaines de milliers pour dénoncer tous les maux qui rongent la société. Éducation, justice, système de santé, et problèmes sociaux, les weibonautes dénoncent en bloc ce qui « déshumanise » leur société. La solution ? Des campagnes de câlins, organisées sur les microblogs, mais surtout un appel au gouvernement qui se prépare aujourd’hui à créer un devoir légal d’assistance.
A la suite de cette affaire, beaucoup d’autres sont révélées via Weibo, et de plus en plus de vidéos de surveillance finissent sur le réseau. Certaines alimentent la crise morale, d’autres la désamorcent, comme celle de cette petite fille qui, elle, a été secourue :
Le roi des pommes. « Steve Jobs est parti », et Weibo s’est endeuillé début octobre. Preuve de la place du numérique dans la société chinoise, ce sont des dizaines de millions de messages qui sont postés quasi instantanément. Hommages pleins d’émotion et de respect, ces flots de bougies pixelisées feront de cette disparition un des dix sujets qui ont fait le plus réagir les microblogs cette année. « La première fois que la mort d’un étranger est si difficile », note un internaute, la première fois aussi qu’on pleure un patron américain en Chine.
Pan Dollar. Pan Shiyi ne tire pas sa réputation de Weibo. Co-fondateur de la compagnie Soho, grand trust immobilier chinois, c’est un des milliardaires les plus en vue du pays. Ce qui ne l’empêche pas de tenir un microblog, où il partage son actualité et ses idées. Comme cette proposition faite à Apple : vendre ses iPad et iPhone à moins de 1000 RMB pour permettre à « des millions » de Chinois d’en acquérir, et « honorer la mémoire de Steve Jobs ». La remarque fait grincer des dents les weibonautes en plein deuil, rapporte le WantChinaTimes. « Déplacé », jugent beaucoup de commentaires, et une contre-proposition émerge: « Quand Pan Shiyi disparaîtra, Soho pourrait proposer des appartements à moins de 1000 RMB le mètre carré, des milliards de personnes lui en seraient reconnaissantes ».
« Pan1000 », comme on le surnomme désormais sur le net Chinois a plus tard retiré son commentaire et s’est excusé. Il continue toutefois d’être l’objet d’attaques et de moquerie sur son Weibo, notamment pour son post d’un billet de « Panbi » à son effigie. « Opération publicitaire », « insuffisant pour acheter un appartement à Pékin », ont commenté les internautes et un officiel a dénoncé une utilisation « inappropriée » de l’image du yuan. On ne rigole pas de tout avec Weibo.
Novembre. Inégalité routière. Un des pouvoirs de Weibo est de faire durer une actualité que les autorités voudraient bien oublier. Quand un accident de bus scolaire (64 élèves dans un minibus 9 places) tue 19 enfants, les internautes les pleurent, mais pas seulement. Au cours des semaines qui suivent, ils font ressortir tous les faits divers qui se rapportent à la sécurité dans les transports scolaires. En moins d’un mois, trois accidents similaires sont révélés, soit au total 34 élèves décédés.
Les gouvernements locaux communiquent sur les améliorations récentes et futures et expliquent la vétusté des bus par des problèmes de budget. L’argument ne fait pas mouche sur le net, et les weibonautes dénoncent avec colère ses incohérences. Non seulement certaines villes offrent des bus scolaires « à l’américaine » à leurs seuls professeurs, mais Pékin fait aussi cadeau des bus scolaires à la Macédoine. « Traîtrise » crient certains, et même le Global Times le reconnaît : Weibo sait dénoncer les problèmes de gouvernance, et Pékin doit faire avec.
Pékin couleur sépia. Quoi de plus énervant que de se réveiller un matin avec la gorge qui gratte et un voile gris-jaune qui recouvre la ville ? Quoi de plus facile que de partager sa mauvaise humeur sur son Weibo… Alors que la capitale semble avoir connu son année la plus polluée depuis les Jeux, plusieurs millions de messages ont été postés chaque jour sur Sina ou Tencent pour dénoncer ce phénomène « de plus en plus sérieux », ou critiquer la politique de l’autruche menée par les responsables locaux. Et il n’y a qu’à consulter les forums d’Aujourd’hui la Chine pour comprendre que tout le monde est concerné…
Décembre. Les irréductibles. Weibo a beau avoir été le plus large espace d’expression et de débat en Chine en 2011, Pékin garde le doigt sur l’interrupteur. Malgré la couverture médiatique internationale, la révolte des « irréductibles » villageois de Wukan n’a pas été un des « hot topics » du réseau. Et pourtant, la longue rébellion de ce village de pêcheurs du Guangdong avait de quoi intéresser les internautes. Protestant contre des expropriations puis contre le meurtre d’un de leurs leaders, les habitants ont, au plus fort de leur combat, vidé le village de tous les représentants des autorités, se sont auto-gérés en état de siège pendant une dizaine de jours et ont finalement réussi à obtenir un compromis de Pékin.
Si des photos et commentaires ont été échangés sur le sujet, il ne s’est jamais propagé à grande échelle. Rapidement, tous les termes associés ont été censurés : Wukan, Lufeng, Shangwei, Amnesty International, confrontation… Les weibonautes savent réagir, mais Pékin les suit à la trace : WK, 9.21, « corbeaux robustes » et autres surnoms du conflit sont eux aussi censurés, rapporte le ChinaDigitalTimes. A l’image d’Ai Weiwei, lui aussi peu présent cette année sur Weibo, les dissidents doivent se trouver d’autres terrains de combat, même si la réactivité de la plateforme permet parfois de faire circuler des informations très vite… avant que le « Ministère de la Vérité » ne colmate les fuites.
Le départ d’un ami. A chaque mort son éloge, celle de Kim Jong-Il ne sera pas glorieuse en Chine. La crise de « surmenage » du dirigeant Nord-coréen a certes fait réagir les internautes, avec 10 millions de messages dans les premières 24h, mais les posts ne se sont pas limités à de simples hommages. Certains émoticônes pleurent, mais beaucoup d’autres rient, saluent la fin d’un dictateur et s’interrogent avec malice : « Vous connaissez des officiels chinois qui meurent de surmenage ? Les nôtres meurent parce qu’ils mangent trop, non ? ». Kim Jong-Il est mort à 69 ans, comme Saddam Hussein ou Kadhafi avant lui, qui d’autre a 69 ans ? Hu Jintao, lui, les a eus le 21 décembre, font remarquer certains…
Microblogs plus nombreux et plus fournis, officiels et stars chinoises de plus en plus présents, internautes plus attentifs… l’année 2012 sera Weibo ou ne sera pas. Meilleurs vœux de la part de toute la rédaction !
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interessante retrospective, qui est à l’image de notre monde : parfois grave, parfois légère et drôle ! le net chinois apparait plutôt porteur d’espoir, on en a besoin pour cette nouvelle année : qu’elle apporte la paix , du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest..
mamounette