1975 dans une commune rurale du Sud de la Chine. La Révolution culturelle touche à sa fin, un an avant la mort de Mao, pour un an encore Grand Timonier d’une Chine qu’il a portée en ébullition. De notre partenaire Rue 89.

Wang Xiaoshuai, un réalisateur chinois indépendant agé de 45 ans, à qui on doit déjà plusieurs réalisations marquantes – « Beijing Bicycle », devenu un grand classique, ou « Shanghai Dreams » (en compétition officielle à Cannes en 2005) –, raconte cette époque à travers le regard d’un enfant de 11 ans qui lui ressemble beaucoup.
L’individualisme nié
Wang Han, cet enfant qui arbore fièrement son foulard rouge de « pionnier » communiste, vit intensément cette enfance bercée par la révolution. Un événement bouleverse sa vie : avec ses camarades, il assiste à la chasse à l’homme d’un meurtrier, avant d’être lui-même happé par cette histoire qui oppose la loi à la morale.
Dans ces années turbulentes, Wang Han a la chance d’avoir un père qui lui inculque quelques valeurs fortes, notamment en passant par la peinture, celle des fleurs qui donnent son titre au film, dont aucune n’est semblable à l’autre, symbole de l’individualisme nié par le tourbillon révolutionnaire.
Dans une Chine qui considère l’histoire récente comme un immense tabou inviolable, surtout d’un point de vue intime, le film de Wang Xiaoshuai sonne juste, avec une sensibilité remarquable, sans angélisme ni fausse naiveté.
Cet enfant de la Révolution culturelle, c’est la génération des quadras d’aujourd’hui, marqués par des événements qui les dépassaient, mais leur a forgé le caractère. Cela permet, aussi, de comprendre la Chine actuelle.
bande-annonce de « Onze fleurs »
De passage à Paris fin avril, Wang Xiaoshuai a répondu à nos questions.
Rue89 : Quelle est la part autobiographique dans « Onze fleurs » ?
Wang Xiaoshuai à Paris, avril 2012 (Pierre Haski/Rue89)
Wang Xiaoshuai : Dans la première partie du film, il y a de nombreuses scènes liées à des expériences personnelles. Mon père m’a enseigné la peinture, nous étions quatre copains de classe inséparables comme dans le film, et j’ai eu une mésaventure de chemise emportée par la rivière : je n’osais pas rentrer à la maison…
J’ai aussi un souvenir, en compagnie de mes camarades de classe, d’avoir vu un fuyard poursuivi. Nous l’avons vu se faire arrêter, avec l’aide de profs et de certains élèves. Le fuyard m’a regardé fixement un instant. Ça m’a marqué.
Comme dans le film, encore, mes parents avaient été déplacés de Shanghai vers l’intérieur pendant la Révolution culturelle. Ma mère était ouvrière et son usine avait été délocalisée. Mon père, qui enseignait à l’Institut théâtral de Shanghai, a suivi. Après la Révolution culturelle, mon père est entré dans l’armée pour pouvoir revenir dans une grande ville avec sa famille, et nous avons vécu à Wuhan.
Mais ce film est une fiction, je le dis clairement.
Pourquoi revenir aujourd’hui à cette période historique ?
C’est un projet et un scénario que je porte depuis que je suis réalisateur. Mais à l’époque, il y avait trop de difficultés : je n’aurais pas été soutenu. En Chine, parler de tels événements avec un point de vue personnel, ça ne se fait pas ! Ou très rarement. On n’accorde pas d’importance à une telle approche. Et on m’aurait dit que ce n’est pas assez commercial.
Pour moi, au contraire, c’est ce vécu personnel dans l’Histoire avec un grand « h » qui m’importe.
J’ai toujours espéré pouvoir réaliser ce film. Aujourd’hui, après « Shanghai Dreams », je me sens plus fort et, avec le soutien de la France, j’ai eu cette opportunité de monter ce projet.
La Révolution culturelle a marqué une génération et pourtant, il y a peu de création sur ce thème : trop sensible ?
Au début des années 80, il y a eu plusieurs films sur cette période. Mais d’un point de vue très global sur la société. Mais il n’y a jamais eu de films plus personnels sur la Révolution culturelle.
Ma génération est celle des années 60, nous étions trop petits pour être actifs dans les « événements », mais cette période nous a marqués. Je l’ai vécue à 10-11 ans, et ça a façonné ma perception de la société. C’est assez fort pour en parler.
C’est donc le point de vue d’un enfant sur son époque. Aujourd’hui, personne n’ose faire ça, à la fois à cause de la censure et du marché.
Qu’est-ce qui vous a marqué de cette époque ?
Chacun a dans sa vie un moment qui le marque à vie. On ne sait jamais quand ça sera. 1976, [mort de Mao et fin de la révolution culturelle, ndlr] a ainsi marqué beaucoup de gens. Pour moi, cette transformation ne ressemblait à rien de ce que j’avais vécu jusque-là dans ma vie.
J’ai été fortement influencé par mon père, jusqu’à aujourd’hui. Il influence encore ma manière de réaliser mes films. Quand j’étais tout petit, alors que ma mère se laissait emporter par les événements politiques, mon père restait toujours en recul. Il était toujours fier de ne pas avoir été influencé par ces événements.
Il m’a appris à peindre car c’était pour lui un moyen de rester indépendant. C’est une leçon que j’ai retenue. Ce qui se dit entre un père et un fils dans de tels moments est très important.
Quelle place y a-t-il pour le cinéma d’auteur en Chine ?
Il n’y a aucun espace pour moi. Ce film sortira en Chine, mais dans de toutes petites salles, à côté des blockbusters comme « Titanic ». En Chine, aujourd’hui, on ne refuse plus la sortie d’un film comme le mien, mais on le met en concurrence avec « Titanic » ou un blockbuster chinois ! Il y a une pression permanente, du producteur au réalisateur, pour que les films soient des réalisations à grand spectacle.
Comment résister ?
Cette pression est de plus en plus forte. Pour continuer à faire des films indépendants, le seul moyen est de réduire les coûts au maximum. Nous sommes nombreux à ne pas savoir comment nous allons faire. Nous sommes confrontés à une force importante qui cherche à nous faire disparaître rapidement.
Dans le même temps, il y a de plus en plus de gens qui réalisent l’importance d’avoir un cinéma d’auteur, et le public se rend compte progressivement que le cinéma ne se réduit pas à Hollywood et quelques navets.
On voit même des gens qui se rendent compte que le cinéma d’auteur permet de résister à Hollywood. Il y a un peu d’espoir.
Vous avez fait un film intitulé « Chongqing Blues », du nom de la ville dont Bo Xilai, le dirigeant communiste récemment déchu, était le patron. Sa chute ferait un bon scénario de polar, non ?
L’histoire de Bo Xilai montre que la réalité est plus forte, plus formidable que tout ce que nous pouvons imaginer. Nous, Chinois, vivons une réalité absurde. Mais on ne peut pas raconter ça au cinéma. Et pourtant, tout le monde adorerait un tel film !
Merci à Pascale Wei-Guinot pour la traduction.
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le film évoque la Révolution Culturelle, mais l’article évoque surtout les difficultés de diffusion face à des blockbusters comme Titanic. Le probléme n’est pas spécifique à la Chine, c’est commercial et non politique.
J’ai (re)vu ces jours çi Titanic en 3D à S….. Je ne sais pas si les 11 fleurs passaient au même moment dans le complexe cinématographique trés moderne (architecte Nouvel). Il y avait beaucoup de monde pour Titanic, mais on sait tous que le public Chinois est friand des grands films spectaculaires. Et la plupart des (jeunes) spectateurs découvraient le film.
Pour évoquer à mon tour la Révolution Culturelle, que j’ai « vécu » étudiant pré-soixantehuitard, les jeunes générations de Français ne s’imaginent pas à quel point cette période sanglante, brutale, destructrice, injuste, a été en son temps perçue comme admirable et exemplaire par l’intelligentsia Française de l’époque.
Nos beaux esprits de l’époque brandissaient admiratifs le Petit Livre Rouge, approuvaient les défenestrations, les destructions de temple (surtout au Tibet), d’églises, les mises au pilori, les vies brisées, les autodafés, etc tous celà leur paraissait for-mi-da-ble !.
On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs, détruire le patrimoine était l’espoir de jours nouveaux, la religion est l’opium du peuple etc etc
Ma propre future, Educ Nationale, était partie en Chine sympatiser avec ce mouvement; enthousiamée par le coup de balais annonciateur de jours meilleurs.
Et à cette époque c’était trés difficile dans le milieu universitaire d’emettre des doutes sur la spontaneïté de ces événements, tant les manifestations étaient ou grotesques ou cruelles.
En ce temps là, la mode n’était pas à critiquer la Chine, et surtout pas Mao.
Les violences aveugles et injutes, les famines, ça ne dérangeait personne !
J’ai de l’amertume contre certains intellos (ou leurs héritiers) admirateurs et prosélytes de la Révolution Culturelle, et qui maintenant vomissent en bloc la Chine.
Certains ont la mémoire courte ou s’en arrangent.