Le numéro 39 s’intéresse à l’appétit énergétique de la Chine, aujourd’hui deuxième consommateur d’énergie au monde après les Etats-Unis. Elle est aussi le premier producteur mondial de charbon et le deuxième en puissance électrique installée. Depuis le début des années 2000, Pékin doit affronter un bouleversement de sa demande énergétique. Un tournant à l’origine de nouvelles pressions sur l’environnement, de pénuries à répétition et d’une remise en cause de la réforme menée depuis 30 ans.
Le changement fut radical. Il a surpris autant la Chine que le reste du monde. En 2001, le pays représentait 10 % de la demande énergétique mondiale, tout en satisfaisant 94 % de ses besoins avec ses ressources domestiques.
Aujourd’hui, la part chinoise s’élève à 15 % de la consommation mondiale et Pékin doit se fournir sur les marchés internationaux pour son approvisionnement en pétrole, en gaz et même en charbon. Cette évolution a obligé la Chine et le monde à réévaluer la future demande énergétique globale.
Selon le nouveau scénario de l’Agence Internationale de l’Energie publié en 2006, la Chine représenterait plus de 20 % de cette demande en 2030, soit les besoins combinés de l’Europe et du Japon, et détronerait les Etats-Unis dans le classement mondial des pays consommateurs d’énergie.
Une demande bouleversée
Que s’est-il produit en si peu de temps? Entre 1978 et 2000, la Chine a connu une croissance annuelle moyenne économique de 9 % et une hausse de sa consommation énergétique située entre 3 de 4%. Après 2001, alors que la croissance a continué sur le même rythme, la demande a augmenté de 13 % par an.
Jusqu’alors, la réforme avait pourtant conduit à une autosuffisance énergétique. En desserrant l’étau sur le monde rural, Deng Xiaoping avait permis l’émergence d’entreprises villageoises fondées sur la manufacture légère. Peu à peu, l’économie cessait de reposer sur l’industrie lourde, grande consommatrice d’énergie.
Dans le même temps, avec l’autorisation de faire du profit et l’introduction limitée de la concurrence dans les Entreprises d’Etat mais aussi dans le secteur privé émergeant, cette même industrie lourde avait dû apprendre à maîtriser ses coûts énergétiques. Résultat : La production d’une unité de PIB exigeait 60% d’énergie en moins en 2000 qu’en 1978. Pékin était bien loin d’imaginer une surcroissance de sa demande énergétique.
Pourquoi un tel tournant ? Première explication : le boom de l’investissement dans l’industrie lourde dû à l’accélération du développement urbain au début des années 2000. Ce secteur représente plus de 60 % de la consommation énergétique de la Chine. Le pays fabrique désormais pour son marché intérieur davantage de produits fortement consommateurs d’énergie comme l’aluminium, le ciment ou l’acier utilisés pour la construction des routes et des immeubles. Enfin, les foyers chinois atteignent des niveaux de revenus leur donnant largement accès aux biens de consommation très gourmands en énergie, comme les climatiseurs et les voitures.
Le moteur de la demande devrait donc se déplacer. Si fabriquer de l’acier et du verre pour la construction des gratte-ciels et des galeries commerciales constitue l’un des défis énergétiques actuels de la Chine, illuminer, chauffer et climatiser ces espaces sera le défi de l’avenir. De même, le ciment et l’asphalte pour les autoroutes tirent la demande en énergie vers le haut.
Mais ces infrastructures préparent le terrain pour une demande générée demain, par la consommation des particuliers. Le nombre de véhicules de tourisme sur les routes a doublé depuis 2002 dépassant les 25 millions, avec plus de 6 millions de voitures vendues rien qu’en 2006.
Un défi pour l’avenir
Cinquième producteur de pétrole – mais avec seulement 2 % des réserves mondiales- la Chine n’est plus autosuffisante depuis 1993.
Consommant aujourd’hui 8 % du brut mondial (deuxième derrière les Etats-Unis), elle doit chaque année importer un tiers de ses besoins, et l’augmentation des prix du pétrole en 2005 a provoqué de graves pénuries de carburant. Pour sécuriser ses approvisionnements, le gouvernement chinois soutient résolument l’internationalisation des grandes compagnies pétrolières nationales : PetroChina, Sinopec, China Off Oil Company (CNOOC).
Pour les diversifier, elle achète 25 % de ses importations en Afrique et 60 % dans les pays du Golfe. Sa production domestique de gaz étant insuffisante, la Chine aménage un réseau de 50000 kilomètres de gazoducs reliant l’Asie centrale et la Russie aux grandes cités de la côte orientale.
Charbon et électricité
Bien que le pétrole et le gaz retiennent davantage l’attention internationale, le charbon et l’électricité restent le pivot de la sécurité énergétique chinoise. Le charbon représente encore les deux tiers de la demande. Avec 13% des réserves mondiales, la Chine est de loin le principal marché au monde, deux fois plus grand que les Etats-Unis. La production électrique est assurée à 71 % par des centrales thermiques au charbon, 26 % par des complexes hydro-électriques, 2 % par des centrales nucléaires et 1 % par des énergies renouvelables (solaire et éolienne).
La part du nucléaire (deux centrales actuellement en service et cinq en cours de construction) va connaître un bond dans les quinze prochaines années : le gouvernement projette de construire quinze nouvelles centrales. Bien qu’un foyer chinois consomme en moyenne treize fois moins d’énergie qu’un foyer américain, la production annuelle d’électricité (440.000 mégawatts, quatre fois la production française) est insuffisante face à la croissance continue de la demande intérieure (14% par an).
Lorsque la demande a bondi à partir de 2002, le pays a connu des pénuries de charbon et des coupures de courant. Ce qui a créé un sentiment d’insécurité énergétique, qui inquiète bien davantage que la dépendance aux importations de pétrole.
Un environnement sacrifié
Les prix de l’énergie en Chine, autrefois largement subventionnés, ont convergé avec les prix internationaux durant les trente dernières années. Mais cette convergence apparente est fondée sur l’externalisation des coûts environnementaux. Seuls 15 % des sites de production de charbon sont équipés d’un système de désulfuration des gaz de combustion (DGC), destiné à éliminer le dioxyde de soufre généré par la combustion de gaz fossiles employés dans les centrales.
La mise en place du DGC réduit de 4 à 8 % l’efficacité de la production. Si la Chine généralisait ce système, les tarifs augmenteraient de 15 à 20 %. Depuis 2000, les émissions annuelles de dioxyde de soufre, principal responsable des pluies acides, ont augmenté de 30 %.
Le SO2 aurait causé plus de 60 milliards de dollars de dommages économiques directs en 2005. Sans oublier les dommages plus difficiles à quantifier : problèmes respiratoires, mortalité prématurée, déclin de la qualité de l’eau et de l’air.
Plus grave, aucun système n’existe en Chine pour les autres polluants créés par les centrales au charbon : rien n’est fait pour atténuer les émissions de dioxyde d’azote, le mercure et surtout le dioxyde de carbone, dont la Chine est en passe de devenir le premier émetteur mondial devant les Etats-Unis.
Le passage du charbon aux énergies propres reste encore une gageure. Les nouveaux projets hydroélectriques rencontrent à la fois des résistances politiques sur le déplacement de population (plus de 23 millions de personnes déplacées déjà) et sur le déclin des ressources en eau. Au regard des prix de l’électricité, le gaz naturel n’est pas encore une source de carburant concurrentielle, en l’absence de pénalités anti-pollution plus sévères ou d’une demande accrue des consommateurs, particuliers et entreprises.
L’énergie éolienne est certes devenue compétitive, grâce en particulier à la « Loi sur l’énergie renouvelable » en vigueur depuis janvier 2006. La Chine est l’un des plus gros marchés au monde pour les turbines éoliennes. Mais avec moins de 1 % du total des installations électriques, l’éolien demeure marginal.
Les pénuries chroniques compliquent encore la situation. Les compagnies chinoises s’en remettent alors à la technologie qui leur permettra de distribuer le maximum d’électricité dans le réseau dans le temps le plus court. Autrement dit, le charbon. L’équation est implacable: dans la perspective d’une croissance économique reposant sur une énergie abondante et peu chère, le charbon restera la principale ressource énergétique du pays.
A l’avenir, l’impact de la consommation chinoise sur le reste du monde dépend donc de la transition vers un modèle énergétique moins gourmand et surtout mieux géré. Cette évolution, tout juste entamée par la Chine, suppose des réformes audacieuses, en particulier une politique de réalité des prix de l’électricité pour intégrer l’ensemble des coûts de production, notamment environnementaux. Elle suppose également une prise de conscience de la population chinoise et une mobilisation des consommateurs. Un défi pour la Chine qui est aussi un enjeu pour le monde entier.
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