A cause d’un séisme, les internautes chinois se sont retrouvés coupés du monde pendant une journée, et cette nouvelle a été largement commentée sur le réseau des réseaux. Ils ont peut-être eu le temps de réfléchir à la démocratie, qui fait l’objet d’un livre d’un intellectuel proche du régime, Yu Keping.
Un tremblement de terre de magnitude 7,2 au large de Taiwan a sectionné 6 cables optiques sous-marins servant à relier la Chine au réseau internet. Mercredi 27 décembre dès le matin, la plupart des sites étrangers étaient inaccessibles, ainsi que des services internet hébergés outre mer comme le fameux logiciel de messagerie instantanée MSN, largement utilisé par les Chinois tant à la maison qu’au bureau. Beaucoup d’internautes criaient leur désespoir sur les forums, ne pouvant plus accéder aux informations internationales et dialoguer avec leurs contacts. Le site portail Sohu a créé un mini site spécial sur le sujet, qui témoigne de la gène ressentie par les surfeurs chinois.
Une journaliste du Quotidien de la Jeunesse de Pékin a même téléphoné au service de presse pour demander si cet accident affectait le travail à l’ambassade, comme elle préparait un dossier sur ses conséquences.
La démocratie est une bonne chose…
Yu Keping, chercheur à l’Institut de recherches contemporaines du Bureau de traduction des oeuvres marxistes du Comité central, et professeur dans de nombreuses universités prestigieuses, a sorti un livre d’entretiens intitulé « La démocratie est une bonne chose », en octobre 2006. Les médias cultivés s’en sont largement fait l’écho. Le Xuexi Shibao en a par exemple publié une synthèse. Il justifie la démocratie de manière nuancée, s’appuyant notamment sur la petite phrase du président Hu Jintao prononcée le 21 avril 2006 lors d’une conférence de presse à l’université de Yale : « il ne peut y avoir de modernisation sans démocratie ». Selon la synthèse du Xuexi Shibao, la démocratie est faite pour le peuple, et ne déplait qu’aux mauvais cadres, dont elle menace le pouvoir. Elle aurait aussi des défauts, augmentant le coût des politiques, diminuant l’efficacité de l’administration, mais resterait le « moins mauvais des régimes », et « le meilleur qu’ait inventé l’humanité ». Elle ne pourrait pas tout résoudre, mais tirerait sa valeur de la garantie des droits de l’homme, bien fondamental de l’humanité. Ses « coûts amers », comme sa limitation du développement économique et ses risques d’encouragement au séparatisme ne lui serait pas uniquement imputables, la responsabilité en incombant plutôt aux politiciens.
L’article conclut que la démocratie a besoin de conditions particulières, de la sagesse des peuples et des dirigeants, mais qu’elle constitue une tendance universelle. Pour Yu Keping, il faut savoir s’inspirer de l’expérience étrangère sans la singer, et l’adapter aux conditions chinoises. Après « une économie socialiste de marché aux couleurs de la Chine », le prochain slogan sera t-il « une démocratie aux couleurs de la Chine »?
De nombreux commentaires sur cet ouvrage ont paru sur internet. Selon l’un d’eux, le titre même « la démocratie est une bonne chose » montre que certains pensent le contraire. En Chine, presque personne n’oserait affirmer publiquement que la démocratie est une mauvaise chose, car elle se trouve au coeur de la pensée marxiste, de la théorie des trois représentativités de l’ancien président Jiang Zemin, et de la « société harmonieuse » prônée par le président Hu Jintao. Mais à la fois les autoritaristes, ceux qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts et ceux qui sont uniquement préoccupés par l’action à court terme s’y oppose, d’après l’auteur du commentaire.
Le blog de Xiao Feng s’en fait également l’écho, et rappelle que les drames qu’a connu la Chine sous l’ère Mao, « grand personnage mais qui avait ses moments d’imbécilité » auraient pu être évités si un contrôle démocratique avait été en place. Il constate que la démocratie a commencé à être mise en place dans les campagnes, et cite le premier ministre Wen Jiabao, qui aurait dit qu’il croyait que le peuple chinois était capable de gérer un village, et donc un faubourg, et donc un district, et donc une ville, et donc une province… Un des commentaires posté sur le blog rebondit sur cette idée, et se plaint que l’influence d’un système démocratique dans les villages est trop faible, et appelle de ses voeux l’élargissement des élections aux villes et aux districts.