Une centaine d’employés de Wintek, premier producteur mondial d’écrans tactiles, sont tombés malades après que leur usine de Suzhou ait décidé de nettoyer les écrans avec du N-Hexane. 44 sont encore hospitalisés.

La pomme est-elle empoisonnée, se demandent les médias chinois. Un reportage diffusé ce week-end par la télévision d’état dénonce de nombreux cas d’intoxication dans une usine de Wintek à Suzhou, dans la province du Jiangsu. L’entreprise taïwanaise fournit des écrans tactiles, notamment pour Nokia et Apple.
L’usine de Suzhou a utilisé du N-Hexane, un produit chimique toxique pouvant causer la mort, à la place d’alcool pour nettoyer les écrans, à partir d’août 2008. Le produit était en effet beaucoup moins cher et plus efficace que l’alcool utilisé jusqu’alors. Les équipes de l’inspection sanitaire ont découvert que la concentration de N-Hexane dans l’air ambiant dépassait largement les normes. Selon la télévision chinoise, 49 personnes ont souffert d’avoir travaillé au contact du N-Hexane. En réalité, un peu plus du double, admet un haut responsable du groupe.
« Au total, environ 100 employés ont été concernés. Le diagnostic de 62 de ces 100 personnes a montré qu’elles avaient été affectées par le N-Hexane », explique James Chen, vice-président de Wintek, à Aujourd’hui la Chine. 44 employés sont encore à l’hôpital, selon lui.
« Nous avons appris cela en août dernier » précise M. Chen, selon qui Wintek a aussitôt arrêté d’utiliser le N-Hexane, revu son système de ventilation et organisé un examen médical pour ses employés travaillant dans la partie de l’usine où le produit était utilisé.
« Nous avons fait une erreur là-dessus »
Le N-Hexane est un produit qu’il est légal d’utiliser, poursuit M. Chen, mais en respectant certaines conditions de travail, notamment en matière de ventilation de l’air. « Le N-Hexane est un produit chimique utilisé dans cette industrie. Mais oui, nous n’avons pas fourni de bonnes conditions de travail à cette période dans notre usine et nous avons fait une erreur là-dessus », reconnaît le vice-président de Wintek.
Zhang Lisheng, vice-manager de Wintek Chine, explique dans le reportage de la CCTV qu’il s’agissait d’une décision personnelle du patron de l’usine, prise sans fournir d’informations particulières aux employés sur la dangerosité du produit. Les travailleurs n’ont pas reçu d’équipements plus adaptés et ne portaient que de simples masques de protection minimalistes. Contrairement à ce que requiert la loi, aucune demande préalable d’utilisation d’un tel produit n’a été formulée auprès des autorités en charge de la sécurité au travail.
Ces informations font suite à une grève qui a paralysé l’usine en janvier. Des rumeurs selon lesquelles les bonus du Nouvel an chinois seraient suspendus cette année avaient provoqué la colère des employés, environ 2000 d’entre eux s’étant mis en grève, selon la China economic review. Les grévistes entendaient également protester contre le licenciement d’une employée intoxiquée au N-Hexane, selon cette même source.
L’usine de Suzhou de Wintek n’est pas la seule dans laquelle les travailleurs se plaignent de leurs conditions de travail. Du 15 au 17 avril 2009, environ 7000 employés d’une usine Wintek de Dongguan s’étaient mis en grève pour protester contre des heures supplémentaires obligatoires sous-rémunérées, y compris lors des fêtes, des réductions de salaires sans négociations, un manque de représentation des intérêts des ouvriers dans l’usine et des intoxications alimentaires dans les cantines.
Le 21 mai 2009, une manifestation avait eu lieu devant les bureaux d’Apple à Taïwan pour dénoncer des licenciements abusifs. Le 17 décembre 2008 en effet, plus de 600 ouvriers d’une usine de Taïwan du premier fournisseur mondial d’écrans tactiles, dont des femmes enceintes et des travailleurs en fin de carrière, avaient été mis à la porte sans préavis, selon les syndicats. Wintek expliquait alors qu’il fallait réduire les effectifs suite à la baisse des commandes mais, au même moment, le groupe embauchait ou proposait aux licenciés des contrats précaires, toujours selon les syndicats taiwanais.
Dans un communiqué transmis à ALC, Nokia dit avoir eu connaissance des allégations d’utilisation du N-Hexane à partir de juillet 2009 et avoir commencé à enquêter immédiatement. L’usine travaille bien pour Nokia. « Wintek est l’un de nos fournisseurs, et l’usine de Suzhou fournit des composants pour nos téléphones. Nous interdisons toute utilisation de produits chimiques illégaux. Le N-Hexane n’est pas utilisé dans le processus de fabrication de nos produits ou de leurs composants » explique le groupe dans un communiqué. Nokia souligne s’être mis d’accord (avec Wintek) sur un plan de développement sur la santé et la sûreté dans l’usine de Suzhou et précise que des mesures correctives ont été prises depuis.
Nokia encourage ses fournisseurs à aller plus loin, Apple muet
« Bien que nous ne puissions pas faire de commentaires à la place de Wintek, nous pouvons dire que notre approche consiste à travailler avec nos fournisseurs non seulement pour qu’ils respectent toutes les lois et réglementations en vigueur, mais aussi pour les encourager à aller plus loin que (ne l’exige) le droit dans des domaines tels que la gouvernance, les droits humains et la gestion environnementale, et respectent nos standards internationaux » poursuit le numéro un mondial des téléphones portables
L’usine de Suzhou travaille-t-elle également sur les écrans tactiles des iPhone, iPod Touch et iPad d’Apple ? Le fournisseur taiwanais aurait été sélectionné par Apple pour participer à la production de sa nouvelle tablette. Wintek ne parle pas de ses clients, répond James Chen. Et, conformément à sa politique du secret bien gardé, Apple n’a pas répondu à nos questions.