Laura Ling et Euna Lee ont publié le récit de leur arrestation à la frontière séparant la Chine et la Corée du Nord. Elles soutiennent que les gardes-frontière nord-coréens ont pénétré en Chine, une version démentie par Pékin.

Les journalistes américaines détenues 140 jours en Corée du Nord sont rentrées aux Etats-Unis il y a un mois grâce à la visite inattendue à Pyongyang de l’ancien président américain Bill Clinton. Il restait depuis un seul détail à clarifier: de quel côté de la frontière Laura Ling et Euna Lee ont-elles été interpellées ? Question d’importance au regard des relations sino-coréennes et qui aurait dû trouver une réponse avec la publication du récit des deux journalistes, qui vient d’être publié.
On connaît donc désormais la version des faits des trois parties au contentieux: celle de la Corée du Nord, celle des deux Américaines et enfin celle de la Chine. Elles divergent de manière significative et les faits établis manquent cruellement pour se faire une opinion.
« Entrée illégale » en Corée du Nord
Côté nord-coréen, les explications sont restées vagues. Le 30 mars, l’agence de presse d’état annonçait qu’elles étaient inculpées pour avoir pénétré illégalement en territoire coréen depuis la Chine. « L’entrée illégale de journalistes américains et leurs actes hostiles ont été confirmés par des preuves et par leurs déclarations » expliquait alors l’agence KCNA. Aucune information sur le lieu exact de l’arrestation. Il était d’ailleurs peu probable que la Corée du Nord annonce ouvertement avoir violé la frontière qui la sépare de son plus important soutien diplomatique.
Il a donc fallu attendre que Laura Ling et Euna Lee publient leur version du récit de leur arrestation sur le site d’information qui les emploie, Current TV. Les deux femmes reconnaissent avoir pénétré en territoire nord-coréen, mais très brièvement. « Nous n’avons pas passé plus d’une minute sur le sol nord-coréen, avant de faire demi-tour » expliquent-elles, avant de préciser : « Nous étions largement revenues en territoire chinois quand les soldats (nord-coréens) nous ont appréhendées ».
Traînées par les gardes-frontière coréens depuis la Chine
Quoi qu’il en soit, les deux jeunes femmes ont donc fauté, elles ne le contestent pas, l’intransigeance des autorités nord-coréennes faisant le reste. Mais elles soutiennent avoir été arrêtées en Chine par des gardes-frontière coréens, ce qui suppose qu’ils ont eux aussi franchi illégalement la frontière qui sépare la RPDC de la Chine.
Pire elles expliquent avoir été traînées en territoire nord-coréen par les garde-frontière. « Nous avons essayé de nous accrocher de toute notre force aux buissons, au terrain, à n’importe quoi qui nous maintiendrait sur le sol chinois, mais nous ne faisions pas le poids face aux soldats déterminés » racontent-elles. Laura Ling et Euna Lee évoquent même la possibilité d’avoir été piégées par leur guide.
Si le récit des deux journalistes est vrai, l’interpellation en territoire chinois constituerait un nouveau défi à la tolérance dont fait Pékin fait preuve envers son allié, qui a déjà particulièrement tiré sur la corde ces derniers mois en réalisant un essai nucléaire et plusieurs tirs de missiles.
Démenti chinois
La Chine, de son côté, a démenti cette version. « Selon les informations des autorités compétentes, celles-ci n’ont pas estimé la situation conforme à ce que vous décrivez », a répondu le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mme Jiang Yu, lors d’un point presse où elle était interrogée sur cette affaire, jeudi 3 septembre. En clair, pour la Chine, l’arrestation n’a pas eu lieu sur son territoire et les soldats coréens ne sont pas intervenus de son côté de la frontière. Cela sous-entend que les deux journalistes auraient arrangé la vérité pour alléger leur responsabilité.
Deux possibilités donc: les deux journalistes ont un peu enjolivé leur récit pour paraître moins fautives ou la Chine ne souhaite pas froisser son voisin qui, depuis un mois semblait un peu plus disposer à coopérer.
Au lendemain de l’arrestation, Reporters sans frontières soulignait que rien ne permettait d’affirmer avec certitude que les deux journalistes avaient été arrêtées en Corée du Nord comme le prétendait Pyongang. « Selon plusieurs sources présentes à la frontière chinoise, des gardes nord-coréens auraient traversé la frontière Tumen pour les arrêter alors que l’équipe était en train de filmer depuis la rive chinoise » soulignait l’organisation de défense de la liberté de la presse. « Cette pratique est courante : dans un documentaire « On the border » réalisé à la frontière par des journalistes sud-coréens, on voit des garde-frontière nord-coréens traverser la frontière et accoster en Chine, sans être inquiétés » précisait RSF. Si la pratique est courante, il est étonnant que la Chine la tolère.
Il est désormais peu probable que les deux journalistes se dédisent et encore moins probable que la Chine ou la Corée du Nord reviennent sur leurs versions des faits. Le mystère reste donc entier.