Jeune photographe de presse, Elisa Haberer vit et travaille à Pékin. Ses récents travaux interrogent l’art du portrait, la représentation et l’image de soi. Portrait d’Elisa Haberer en partenariat avec Connexions, le magazine de la Chambre de Commerce et d’Industrie Française en Chine (CCIFC).

La jeune cinéphile qui claquait tout son argent de poche dans les salles obscures, a un jour résolument opté pour la photo « un médium plus pratique et plus simple », synonyme d’autonomie et de liberté.
Son goût du cadre et de la lumière se double d’un intérêt pour l’économie et la sociologie, elle veut « raconter des histoires en images ».
Diplôme en poche, elle a 22 ans en janvier 2000, quand elle prend un aller-simple pour Bombay.
Elle se fixe un but « devenir photographe de presse » et se fait une promesse « être à Sydney pour les JO ».
Depuis l’Inde, elle rayonne dans toute l’Asie du Sud-Est et gagne Sidney où elle décroche son premier « travail officiel » : sa série sur les jeux paralympiques est publiée dans le Sydney Morning Herald.
A son retour en France, un an plus tard, avec « une tonne de pellicule », elle demande un rendez-vous à Christian Caujolle, le directeur de la célèbre agence photographique Vu.
Elle voudrait partir en Corée du Sud d’où elle est originaire et où elle n’a jamais mis les pieds. Vu n’a pas de correspondant à Séoul, Caujolle lui propose la place, elle part aussitôt.
Elle rentre en France l’année suivante, dans un contexte tendu : Caujolle n’a pas de poste disponible et l’agence Sygma (l’autre grande agence photo) vient d’être rachetée par Corbis, la banque d’images contrôlée par Bill Gates. Mais l’agence américaine, qui cherche des jeunes, donne carte blanche à Elisa.
C’est dans ce contexte, qu’à l’automne 2002, elle part pour son premier reportage en Chine, un sujet sur les inondations à Changsha pour Géo Allemagne. Elle arrive à contretemps, en pleine décrue, mais est conquise par le pays et ses habitants. Elle reviendra, c’est certain.
Mars 2003. La guerre en Irak éclate, Elisa veut y aller. Mais Corbis refuse de financer un séjour jugé « trop coûteux ».
Peu de temps après, elle devient indépendante et, au début de l’année 2005, elle choisit Pékin,comme camp de base. Très vite, Le Monde, Géo, L’ Equipe Magazine et bien d’autres médias lui prennent des sujets ou lui passent des commandes.
C’est dans le genre du photo-documentaire qu’elle s’illustre. Dans la lignée de Dorothea Lange et de Walker Evans, ses « maîtres », elle tente de capter l’humanité dans ses problématiques sociologiques. Sa fresque sur le sport en Chine publiée par le magazine L’Equipe pendant les Jeux de Pékin, présente une galerie de portraits, des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des professionnels et des amateurs.
Derrière les rites et les pratiques se révèlent notamment la nécessité de se maintenir en bonne santé liée aux faibles revenus et à l’absence de système de prise en charge, aussi bien que l’émergence d’une société de loisirs.
Souvent, c’est à travers une histoire particulière, qu’elle rend compte du sort de toute une partie de la population. On la suit dans la tournée quotidienne du Docteur He, « médecin aux pieds nus », sur les routes de campagne dans le nord du Sichuan (Le Monde 2), ou plusieurs jours dans un village de l’Anhui pendant les préparatifs du mariage arrangé entre Ding Zhifa et Cai Xingui, deux jeunes migrants rentrés au village pour la cérémonie avant de repartir travailler à Pékin (Géo Magazine). Plus récemment, elle nous entraînait dans un road-movie en pays Kham avec une « Traversée risquée du Tibet oriental » (Géo).
Elle dit ne pas se sentir « photographe de rue », ses projets et ses envies se construisent au fil de ses lectures et de ses rencontres. Elle a actuellement en tête un travail sur la classe moyenne.
Depuis plusieurs mois, c’est une réflexion sur l’image de soi et le portrait qui la mobilise, un genre photographique récurrent dans son parcours. Son mémoire de maîtrise portait sur la photo de famille et elle a publié plusieurs portraits, d’artistes pour la plupart : ceux des écrivains Ma Jian et Mu Zimei, celui du légendaire rocker Cui Jian, entre autres.
Intitulée « Me byYou» (Moi par l’autre), sa dernière exposition a présenté un travail d’un genre nouveau, une sorte de « portrait interactif ».
La photographe a demandé à différentes personnes (de l’ambassadeur de France en Chine, au couple qui tient le pressing en bas de sa rue) de poser pour elle dans un studio. Après la séance de pose, chacun, photographe et modèle, a fait son choix parmi cinq clichés. La série des cinq est présentée, puis les deux photos sélectionnées sont exposées côte à côte, en grand format.
Un jeu de décalage ou similitude naît qui déclenche toute une série de questions : que s’est-il passé pendant la prise de vue qui a fait tant rire celle-là ? Pourquoi celui-ci a-t-il choisi une représentation de lui-même si conventionnelle et, tel autre, au contraire, si inhabituelle ? Y-a-t-il une photo plus révélatrice que l’autre ? Pourquoi et comment les corps et les visages expriment-ils des émotions si différentes d’une seconde à l’autre ? Qui sommes-nous vraiment ?
Se dessine des portraits multiples, doublés du sentiment, pour le spectateur, d’entrer dans les coulisses du studio et d’entr’apercevoir le lien particulier qui a réuni, le temps d’une pose, l’artiste et son modèle.
Avec ce travail, E. Haberer revient à l’essence de la photographie et nous rappelle que le génie propre de cet art est un certificat de présence à un instant « t ». « La photographie ne dit pas (forcément) ce qui n’est plus, mais seulement et à coup sûr ce qui a été » écrivait Roland Barthes dans La Chambre claire.
Le site de la photographe : www.elisahaberer.com
Le site de Connexions : http://www.connexions.ccifc.org/