Avec l’arrestation du capitaine d’un bateau chinois la semaine dernière près d’une série d’îles disputées, le sentiment anti-japonais a trouvé un nouveau prétexte à se développer dans la population chinoise. L’ambassade du Japon à Pékin a demandé à ses ressortissants de faire preuve de prudence, alors que des manifestations populaires sont attendues demain dans les grandes villes chinoises.

Ces jours-ci, les événements de mars 2005 sont sans doute dans les mémoires de tous les japonais de Chine.
A l’époque, le révisionnisme historique observé dans des livres d’histoire japonais, notamment autour du massacre de Nankin par les troupes de l’empire lors de la seconde guerre mondiale, avait provoqué de nombreuses -et parfois violentes- manifestations.
A Pékin, Chongqing, Shanghai, Canton, Shenzhen comme dans bien d’autres villes, des manifestants mécontents avaient défilé dans les rues, certains s’attaquant aux ambassades, aux consulats, aux supermarchés ou aux restaurants japonais.
Depuis, les relations entre les deux pays s’étaient progressivement améliorées.
Les leaders japonais avaient arrêté de visiter le temple Yasukuni, où sont enterrés les corps de grands criminels de la deuxième guerre mondiale, et les visites de touristes chinois au Japon avaient été facilitées, au plus grand bonheur des marques de luxe de l’archipel.
Une rapide montée en tension
Il n’aura pas fallu plus d’une semaine et demi pour que ces progrès soient réduits à néant, du moins temporairement.
Le 7 août, l’arrestation, près des îles contestées de Diaoyu (Senkaku pour les japonais), du capitaine d’un bateau de pêche et de son équipage par les autorités japonaise a suscité une vive réaction de Pékin.
Qualifiant de « ridicule, illégale et invalide » l’enquête menée par le Japon sur la collision du bateau de pêche avec ses gardes côtes, la Chine, qui considère la zone comme sienne, a convoqué à cinq reprises l’ambassadeur du Japon à Pékin.
Malgré les menaces de « répercussions » de Pékin, les autorités japonaises sont pour l’instant restées inflexibles sur leur volonté de juger le capitaine selon leurs propres lois.
Et si l’équipage a finalement été relâché, le capitaine demeure en détention, et la justice japonaise décidera dimanche d’une éventuelle condamnation.
« Notre humiliation nationale ne pourra jamais être oubliée »
« C’est un obstacle aux relations bilatérales, a déclaré la porte parole du ministère des affaires étrangères, Jiang Yu, lors d’une conférence de presse, hier. Le Japon devrait immédiatement relâcher le capitaine s’il veut éviter de mener plus avant la détérioration des relations bilatérales« .
En guise de « détériorations », pour le moment, plusieurs rencontres au sommet ont été annulées par la Chine, et le sentiment anti-japonais, apaisé depuis quelques temps, a soudain resurgit, sur le Web comme dans la rue.
« Je déclare personnellement la guerre au Japon, écrit un internaute sur le forum de Netease, dont le site Chinasmack a traduit des commentaires. Toutes les formes de présence japonaise, y compris leurs vies de merdes, seront sujettes à des attaques dans la mesure de mon pouvoir« .
« Notre humiliation nationale ne pourra jamais être oubliée, renchérit un autre. En tant que personne ordinaire, tout ce que je peux faire est d’être en colère et de boycotter les produits japonais. Si il y a une guerre, en tant qu’officier de réserve, je n’hésiterais pas« .
Dans la vie réelle, une manifestation a déjà eu lieu devant l’ambassade du Japon à Pékin (photo ci-dessus), et un individu non identifié a attaqué une école japonaise à Tianjin, dimanche dernier.
Et ce n’est pas fini. Depuis le début de la semaine, le bruit court sur la toile chinoise que des rassemblements de protestation contre ce que le gouvernement a soigneusement présenté dans ses médias comme une « atteinte à la souveraineté nationale » auront lieu demain dans plusieurs grandes villes.
Ce jour marquera le 79e anniversaire de « l’incident de Mukden », qui avait déclenché l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931. Ce sera également la veille de la révélation par le Japon de sa volonté de condamner (ou pas) le capitaine, qui risque jusqu’à trois ans de prison.
Le gouvernement derrière les manifestations
Certes, ces manifestations ne sont pour l’instant que des rumeurs, et nul ne peut affirmer que les mécontents seront nombreux dans la rue demain.
Mais le quotidien japonais Asahi a révélé mercredi que les autorités chinoises, pourtant peu friandes de rassemblements populaires, avaient autorisé la tenue de manifestations samedi, à la demande de la Fédération de Défense des Diaoyu.
Les autorités ont démenti, ainsi que la fondation. Mais toutes deux n’ont pas exclu la tenue de rassemblements « spontanés », prévus notamment à Pékin, Shanghai et Shenyang.
Savantes utilisatrices du sentiment nationaliste en leur faveur, les autorités chinoises se sont par ailleurs montrées tout à fait claires dans la presse concernant leur point de vue sur ces rassemblements.
Dans un édito du quotidien gouvernemental en anglais Global Times, on lit qu’en réponse à cette « humiliation nationale« , les chinois devraient « protester de façon ordonnée, sans attaquer les citoyens japonais ou endommager leurs propriétés« , et que « quelle que soit la date où le Japon relache le capitaine, le mal est déjà fait, et la Chine doit faire quelque chose en retour« .
Les citoyens chinois « exprimeront leur point de vue de manière rationnelle et sensible« , a quant à elle déclaré Mme Jiang Yu, hier.
Les manifestations semblent donc bienvenues pour les autorités, car elles leurs permettraient de faire d’une pierre deux coups.
D’une part, marquer l’opinion publique japonaise, et pouvoir, en cas d’actions futures, se prévaloir d’un soutien populaire.
D’autre part, cela sera une excellente occasion pour le gouvernement de relâcher un peu de la colère qui couve chez le peuple chinois… en la canalisant vers le voisin japonais.
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