On le sait peu, mais il y a en Chine des élections au suffrage universel tous les 5 ans, au niveau des districts. Cette année, grâce à Internet, plus de 100 candidats indépendants se présentent face au PCC, à leurs risques et périls. Éditorialiste et blogueur, Yao Bo est l’un d’entre eux.

En Chine, personne, ou presque, ne connaît le nom de Yao Bo. Mais sous son nom de plume, Wuyuesanren, c’est une véritable célébrité. Éditorialiste et bloggeur contestataire, il fait partie de ceux qui ont su utiliser Internet pour diffuser leurs idées et se faire connaître.
L’homme reçoit dans son petit appartement de la lointaine banlieue de Pékin, en dehors du cinquième périphérique. C’est dans ce district, Changping, qu’il s’apprête à concourir aux élections en tant qu’indépendant. Dans le système chinois, c’est le seul échelon où cela est possible.
S’il est élu, il deviendra représentant local au Congrès du Peuple, ce qui lui permettra d’être une force de proposition au niveau local, lors des réunions de la mairie du district.
Yao Bo n’était pas destiné à une carrière d’intellectuel. Élève peu brillant, il n’a même pas réussi son examen d’entrée au lycée. D’abord ouvrier dans l’électronique, c’est presque par hasard qu’il tombe dans le journalisme.
« Il y avait un appel à article. Je l’ai fait pour gagner de l’argent, j’ai réussi, et puis je me suis dit : tiens, je crois que je pourrais écrire« , plaisante-t-il, en préparant du thé.
La suite de sa carrière est chaotique : il devient journaliste, puis conseiller en investissement médiatique, un travail qui lui fera gagner « assez d’argent pour prendre [sa] retraite« . Enfin, il revient à l’écriture en tant qu’éditorialiste et blogueur influent.
Depuis six ans, il fait aussi un mi-temps de manager pour le site web du quotidien gouvernemental China Daily. Un travail dans lequel il assure n’avoir « aucun rapport avec le contenu du journal« , et qu’il avait accepté « pour aider un ami« .
Quand nous le rencontrons, Yao Bo vient d’ailleurs de démissionner, la veille, sur un coup de tête. L’homme est un impulsif, il marche à l’instinct.
Pressions sur les candidats indépendants
Pourtant, sa décision de participer aux élections est mûrement réfléchie. « J’y pensais déjà lors des dernières élections, en 2006, mais je n’avais pas assez de canaux d’expression et je n’étais pas encore assez connu« .
Et si la réputation qu’il s’est faite depuis, notamment sur Internet, lui permet d’obtenir les soutiens nécessaires à sa candidature, elle est surtout un moyen de se protéger.
« En Chine, je suis désormais plus célèbre qu’Ai Weiwei, qui n’est connu qu’à l’étranger, assure-t-il. Donc ils seront obligés de réfléchir à deux fois avant de m’arrêter« .
Car s’il est théoriquement légal de se présenter en tant qu’indépendant à ces élections, en réalité, ceux qui s’y risquent sont l’objet de pressions diverses et variées du parti unique, qui préfère garder la main sur ces postes pourtant peu influents.
C’est le cas de Liu Ping, qui a lancé la vague des candidatures indépendantes en se présentant aux élections anticipées dans un district de sa province du Jiangxi.
Ancienne ouvrière d’une entreprise d’État devenue « pétitionnaire« , elle verra sa candidature annulée arbitrairement, et sera enlevée par les autorités peu avant le scrutin, pour n’être relâchée que quelques jours après.
Yao Bo, lui, n’a pas encore été inquiété. « Ils savent que s’il me font quelque chose, je pourrais m’exprimer, et être entendu« . Mais il s’est tout de même équipé d’un téléphone portable spécial qu’il est impossible de placer sur écoute. Au cas où.
La déferlante des « candidats Weibo »
Depuis 1998, date à laquelle le premier candidat indépendant de l’histoire de la Chine moderne a été élu, ils ne sont pas nombreux à avoir suivi ce chemin, tant les obstacles posés par le PCC à ces trouble-fêtes sont dissuasifs.
Tous les cinq ans, quelques-uns réussissent à se faire élire malgré tout, comme l’avocat Xu Zhiyong, qui en est déjà à son second mandat dans le district de Haidian, à Pékin.
Mais cette fois, les indépendants disposent d’une arme qui rend leur neutralisation plus difficile. Il s’agit d’Internet, et en particulier de Weibo (le Twitter chinois), que beaucoup ont utilisé pour annoncer leur candidature.
Grâce à cet outil, ils peuvent se faire connaître du public et diffuser leurs idées en court-circuitant les médias officiels qui au mieux les ignorent, au pire, les dénigrent. Weibo leur permettant également de se fédérer, ils sont d’ores et déjà près de 150 à travers le pays, bien plus que lors de la dernière session, en 2006.
Pour Yao Bo, Internet est tout simplement « le plus beau cadeau que dieu ait jamais fait aux Chinois. Maintenant, le gouvernement n’a plus le monopole de la diffusion des informations, cela va dans les deux sens. Internet permet l’émergence d’une société civile et fédère les gens qui ont de l’énergie« .
Une candidature symbolique ?
Au niveau de ses opinions politiques, l’homme se revendique libéral, au sens où l’entendait Friedrich Hayek.
Il pense que la démocratie est un style de vie auquel les Chinois doivent s’habituer, et qu’il est erroné de dire que les jeunes d’aujourd’hui n’ont que faire de la politique. « Le problème, c’est que l’environnement ne permet pas aux gens de s’y intéresser« , regrette-t-il.
De fait, très peu de Chinois sont au courant de l’existence de ces élections : le PCC a fait en sorte qu’elles soient passées sous silence.
Si Yao Bo est élu à l’issue du scrutin qui aura lieu dans son district en septembre prochain, il fera des propositions pour la gestion des transports, demandera plus d’hôpitaux, plus de crèches, etc. Pourtant, pragmatique, il ne pense pas qu’il y arrivera, car « il y a trop de forces qui s’y opposent« .
Cependant, il veut utiliser sa candidature pour informer ses concitoyens de l’existence de cette petite brèche démocratique du système : « les gens se plaignent de ne pas avoir de droits. En réalité, ils en ont mais ils ne s’en saisissent pas« , soupire-t-il.
Démocrate convaincu, il veut, à travers sa candidature, commencer à faire bouger les choses, même à toute petite échelle. « Je ne sais pas si cela aura un effet, conclue-t-il. Mais il faut bien commencer quelque part » !
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bon courage yao bo!!! un debut de solution, une faille du systeme….
C’est vrais que ça se dit pas trop, qu’en Chine, il y a quand même des élections.
C’est une bonne chose, ça permet d’une part d’en faire pratiquer le principe à tous les chinois et d’autre part ça pourrait donner la possibilité de constituer une autre classe politique, comme dans l’exemple cité par cet article.
Ces élections se font à plusieurs échelons. Tous le système politique est concerné. Mais il a toujours un équivalent du PCC au même échelon, enfin un peu plus haut…
Ce que je ne sais pas, c’est qui est élu et qui est nommé au sein du PCC (je parle ici d’élections internes au parti). Là, c’est bien plus compliqué et on trouve de tout, y compris de l’achat de charges à la mutation systématique.
« Ces élections se font à plusieurs échelons. Tous le système politique est concerné. Mais il a toujours un équivalent du PCC au même échelon, enfin un peu plus haut… » — Ce que tu dis est faux, jean. De ce que j’en sais, et comme le dit cet article, ce n’est qu’à l’échelon des district (et des villes et villages qui ne sont pas sub-divisées en district) que ce genre d’élections au suffrage universel est possible. Selon Wikipedia : « The directly elected local people’s congresses form the foundation tier of the indirectly elected system of people’s congresses, each of which forms the legislature at the corresponding level of government. Each people’s congress then conducts an election for the next higher level of people’s congress, culminating in elections for the national legislature: the National People’s Congress (Quanguo Renmin Daibiao Dahui) ».
Et à part ça, ces candidats indépendants (en tout cas celui là) font plaisir à voir. Espérons qu’ils arrivent à diffuser leur message…
Oui, ça veut dire qu’au dessus du niveau district il resterait le niveau provincial et national qui sont élu par les élus de l’échelon au-dessous… C’est ça ?
Mais il y a quand même un congrès élu et non nommé. Toujours vrais ou bien je me plante ?
Il est vrais aussi que concrètement beaucoup de ces élus sont soit membre du parti soit sous influence…
Aux échelons supérieurs, les élus sont désignés par ceux de l’échelon d’en dessous… Qui sont tous du PCC, sauf une poignée d’indépendants dans tout le pays qui ne pèsent rien. Sans compter que ceux du PCC répondent sans doute aussi aux ordres ou aux exigences des cadres hauts placés qui savent qui ils veulent voir monter…
Désignés… élus plutôt. C’est un système d’élection pyramidale. Truqué bien entendu puisque comme tu le souligne, en l’état actuel des choses, le PCC est trop présent.
Mais si le PCC levait cette main-mise, le système permettrait une avancée démocratique.