Grand spécialiste de la Chine, Jean-Philippe Béja revient sur la frénésie répressive qui sévit actuellement en Chine, que beaucoup d’observateurs estiment être la pire depuis le massacre de Tiananmen, le 4 juin 1989.

ALC : Quel est le bilan du mouvement répressif qui s’est abattu sur la société civile chinoise depuis que les « révolutions du jasmin » ont ébranlé le monde arabe?
Jean-Philippe Béja : D’abord, je ne pense pas que ce retour en arrière ait commencé à ce moment-là, même s’il est indéniable qu’il s’est accéléré. Pour moi, cela a commencé avec les Jeux Olympiques et la répression au Tibet, puis avec la condamnation de Liu Xiaobo à 11 ans de prison.
Quant au bilan, il est difficile à établir, car beaucoup de gens ont été arrêtés sans qu’on le sache, notamment dans les districts reculés. Mais on estime qu’entre les disparitions, les assignations à résidence et les arrestations (dont certains ont déjà été relâchés), on arrive au moins à 100 ou 120 personnes.
C’est une répression tous azimuts avec toutes sortes de gradations dans l’intimidation, qui utilise une nouvelle méthode déjà expérimentée sur l’avocat Gao Zhisheng.
On les prend, on les garde un mois ou deux et quand ils ressortent, ils ne parlent pas. On a obtenu leur silence par des pressions psychologiques, peut-être des sévices physiques.
Je rappelle par ailleurs que la femme de Liu Xiaobo, Liu Xia, est toujours assignée à résidence, et ce depuis le mois d’octobre dernier.
C’est donc un vaste mouvement dirigé vers toutes sortes d’activistes. Comme le disait récemment Jiang Yu, la porte-parole du ministère des affaires étrangères, la loi ne s’applique pas pour certaines personnes.
Beaucoup d’observateurs estiment que la période actuelle est la pire depuis le massacre de Tiananmen, il y a 22 ans. Qu’en pensez vous, et quel parallèle établissez-vous entre les deux?
Je suis assez d’accord avec cela.
Deux choses ont inquiété une partie des dirigeants en mai-juin 1989.
D’abord, l’émergence d’une organisation autonome au sein de la société, et la perspective d’un éventuel dialogue du PCC avec eux.
Mais surtout, l’attitude de Zhao Ziyang, qui voulait régler cela par l’ouverture et la démocratie. Cela a été pris comme une tentative de scinder le parti, ce qui était inacceptable.
La répression était donc une façon de fermer la porte à toute scission.
Aujourd’hui, on est à la veille d’une succession [en 2012, Hu Jintao et Wen Jiabao laisseront leur place à Xi Jinping et Li Keqiang, ndlr], et le pays est en proie à une agitation sociale dont le traitement divise les dirigeants : Il semble bien qu’une partie d’entre eux plaide pour commencer à discuter de réformes politiques.
J’en veux pour preuve les opinions contradictoires exprimées dans les médias gouvernementaux.
On le voit aussi dans le temps qu’ont mis les autorités à décider de la sanction de Liu Xiaobo, ainsi que ce qui arrive en ce moment même à Ai Weiwei : leurs cas mettent longtemps à se régler, car en interne, des forces s’affrontent.
Cependant, je suis plus réservé sur les déclarations pro-démocratie de Wen Jiabao. Je ne pense pas qu’il soit le « Zhaoziyang de 2011 » : il fait des déclarations sans que cela ne l’engage, pour son image historique.
Mais même si les arcanes des instances dirigeantes sont extrêmement obscures, il est sûr qu’il y a des tensions à l’intérieur du parti, et que certains estiment que le tout répressif n’est pas une façon d’assurer la stabilité, ou de maintenir l’oligarchie en place.
Pensez vous que la régression actuelle est temporaire? La situation est-elle appelée à durer?
C’est difficile à dire. Il me semble que cela est lié en même temps à la situation internationale, avec les révoltes arabes, et intérieure, avec la succession qui approche.
La seule chose que l’on peut affirmer, c’est que le consensus de l’après 4 juin, « développement économique, mais pas de réformes politiques », est en train de s’effriter.
Mais il semble que l’approche d’une passation de pouvoir disqualifie pour l’instant les idées des réformateurs. De plus, il y a beaucoup d’intérêts en jeu, ne serais-ce que du côté de la sécurité intérieure, dont le budget est désormais supérieur à celui de la défense.
Pour le reste, je connais bien la Chine pour travailler dessus depuis longtemps, c’est pourquoi je ne me prononce jamais sur ce qui s’y passera au-delà de deux ou trois jours!
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Spécialiste de la Chine, Jean-Philippe Béja est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), de l’université Paris VII (chinois), du Centre de Formation des Journalistes (CFJ), de l’université du Liaoning (littérature chinoise) et a obtenu un doctorat en études asiatiques à l’université Paris VII. Il fut directeur scientifique du Centre d’Etudes Français sur la Chine Contemporaine (à Hong Kong) de 1993 à 1997 et directeur de la rédaction de Perspectives chinoises et China Perspectives. Il dirige des thèses à l’Institut d’études politiques (IEP) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris.
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Les gouvernements plus ou moins dictateurs font toujours la même chose, de la répression sur la population lorsqu’elle ose relever la tête !
Incroyable, la populace OSE lever la tête, quel manque de reconnaissance envers tous les dictateurs ?
Moi… JE
Les réponses de Jean-Philippe Béja ne cessent de temporiser et de relativiser les affirmations à l’emporte-pièce du journaliste.
Richane
…Mais encore? Que voudrais tu qu’il fasse? Qu’il fasse des affirmations sur ce qu’il est impossible de prouver? Personne ne sais ce qu’il se passe dans les hautes sphères du Parti, même les plus grand spécialiste comme lui sont obligé de faire des suppositions; et pour ma part, je trouve que ce qu’il dit semble assez juste.
Un proverbe dit que « l’on ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif ».
Je me rends compte aujourd’hui que cela est également vrai pour deux ânes.
Richane