A qui va échoir, ce jeudi, le prix Nobel de littérature ? Cette année, le sujet fait grand bruit en Chine. Et pour cause : sur les deux principaux écrivains pressentis pour recueillir le prestigieux titre, l’un est Chinois. Il s’agit de Mo Yan, qui dépeint dans ses livres la Chine contemporaine avec beaucoup de franchise et de liberté.
Accessoirement, le fait que l’autre grand nom pressenti pour le prix Nobel soit celui de Haruki Murakami, un Japonais, ajoute un peu de piment au suspense, compte tenu de la tension diplomatique entre les deux pays.
Mais c’est aussi l’occasion pour les internautes chinois de se livrer à un exercice d’autocritique douloureux. Le prix Nobel, c’est un peu le moment où la Chine prend acte du poids encore faible qu’elle joue sur la scène intellectuelle internationale. En témoigne ce jeu de questions/réponses qui circule sur les sites de microblogging et mérite d’être restitué dans son intégralité :
Q : Des Chinois ont-ils déjà gagné le prix Nobel ? R : Oui, mais ils étaient de nationalité étrangère
Q : Des citoyens chinois ont-ils déjà gagné le prix Nobel ? R : Oui, mais ils étaient de République de Chine (c’est-à-dire de Taiwan, la « province rebelle » considérée comme faisant partie du territoire national mais qui est, de facto, indépendante du pouvoir de Pékin)
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Fort !
Petits commentaires finalement intéressants.
D’abord, un rappel. Le prix Nobel n’est pas attribué à un pays. Il est attribué à une ou plusieurs personnes ou une organisation (humanitaire en général). Le fait que quelqu’un soit d’une certaine nationalité n’est qu’une facette de cette personne. Il a une religion ou des positions religieuses (chrétien, bouddhiste, musulman, athée…), des caractéristiques génétiquement transmissibles (peau noire, chauve, groupe sanguin et rhésus…), un passé (ancien élève d’une université…). En cas de prix Nobel, on va privilégier tel ou tel aspect:
Yang Zhengning est né en Chine, ancien élève de Beida (ou Qinghua, je ne me rappelle plus), particulièrement vert pour son grand âge…
Salam est musulman, pakistanais…
Einstein est allemand, puis suisse, puis américain, juif, moustachu…
C’est toujours l’aspect national qui est privilégié dans la plupart des média (ce qui laisse place à des dérives chauvines regrettables).
Passons à la première réponse d’un internaute. « chinois de nationalité étrangère » dit-il. Vaste problème! S’il était d’abord de nationalité chinoise, puis de nationalité américaine, il a obligatoirement prêté serment et renoncé à son allégeance envers la Chine (en tant que pays). Il est donc américain (mais une université chinoise dans laquelle il aurait étudié peut être fière de son ancien élève). Les Chinois au plus haut niveau continuent de faire des contresens sur ce plan. L’actuel ambassadeur des Etats-Unis en Chine, ancien gouverneur de l’Etat de Washington est souvent perçu par des cadres de haut niveau comme ayant une complicité involontaire avec la Chine, car d’origine chinoise. Erreur, il est pleinement américain!
Il est connu que l’attribution des prix Nobel est un casse-tête international. Il faut éviter de donner l’impression que l’on favorise telle ou telle position, telle ou telle nation etc…et il y eu des loupés célèbres (ni la théorie de la relativité restreinte, ni la théorie de la relativité généralisée n’ont été récompensées par un prix Nobel !) En littérature les choix discutables ne manquent pas. En ce qui concerne le monde chinois, le prix Nobel de Pearl Buck fut évidemment une erreur (comme disent les méchantes langues, les deux catastrophes américaines en Asie furent Pearl Harbour et Pearl Buck…mais je ne reprends pas cette méchanceté à mon compte).
Il reste le problème de la faible présence de la Chine dans les listes de nobélisés. C’est un phénomène troublant. Les prix Nobel de littérature ou de la paix doivent récompenser des personnalités marquantes, donc d’une façon ou d’une autre contestataires d’un certain ordre établi. La société chinoise ne favorise pas ce genre de personnalité. Même pour les sciences dures, une forte personnalité apparait comme dérangeante. Prenons l’exemple d’un astrophysicien comme Fang Lizhi. Le Parti aimerait bien avoir des savants révolutionnaires dans le domaine des sciences mais pas ailleurs! Hélas pour le Parti, quand une personne est dérangeante, elle est dérangeante partout (ex Albert Einstein).
Et plus généralement dans le domaines des sciences, quelle est la place de la Chine? Pourquoi ne trouve-t-on pas dans nos librairies en France des manuels fondamentaux traduits en français à partir du chinois, alors que les manuels de l’Américain Pauling faisait autorité en chimie, que les manuels soviétiques de Landau et Lifchitz (physique théorique) étaient mondialement connus et traduits dans toutes les langues?…Au delà des paroles ronflantes, quelle est la vraie place de la science dans la société chinoise? Certains ouvrages scientifiques sont publiés à …mille exemplaires (pour un pays de un milliard trois cents millions d’habitants!
Un historien des sciences chinois faisait remarquer qu’à la fin de l’Empire agonisant des Qing, alors que tout le monde savait qu’il fallait s’ouvrir aux nouvelles sciences venues de l’Occident, aucune matière scientifique ne figurait dans les examens impériaux. Cinquante ans plus tard, la Révolution Culturelle et autres luttes contre la pollution spirituelle ont confirmé la formidable résistance qu’oppose la société chinoise à la pénétration des idées scientifiques. Les choses ont-elles changé en profondeur ou simplement en surface?