Deux cadres dirigeants d’une société de sécurité ont été mis en examen pour avoir détenu illégalement des pétitionnaires dans des « prisons noires » pour le compte de gouvernements locaux. Ce problème sensible est revenu sur le devant de la scène chinoise au travers de cette sombre affaire, révélée par des journaux indépendants, puis reprise par la presse officielle.

Les « prisons noires » ne sont pas vraiment une nouveauté en Chine. Mises en place illégalement, elles permettent aux gouvernements provinciaux ou locaux de placer en détention illégale les « pétitionnaires » de leur juridiction.
Les « pétitionnaires » sont ces personnes, qui, abusées par leurs gouvernements locaux, se rendent à Pékin déposer plainte (shang fang 上访), selon un système hérité de l’époque impériale.
Véritable baromètre de l’harmonie sociale, les pétitionnaires, qui attendent parfois des mois devant le bureau des pétitions de la capitale, représentent une menace pour leurs autorités locales : celles-ci seront punies par Pékin si trop de plaintes sont enregistrées contre elles.
Les gouvernements locaux ou provinciaux ont donc tout intérêt à ce que les plaignants n’arrivent jamais au bureau des pétitions.
Conséquence : en Chine, « intercepter » les pétitionnaires est devenu business lucratif.
Une centaine de personnes détenues dans une pièce
Cette semaine, le Southern Daily et Caijing, deux publications indépendantes, ont révélé les pratiques obscures de l’entreprise de sécurité Anyuanding.
Créée en 2004, l’entreprise avait vu son chiffre d’affaire tripler en 2008, date à laquelle elle avait « diversifié son activité ».
Elle était devenue la cliente des bureaux des autorités provinciales à Pékin, et s’était spécialisée dans l’interception des pétitionnaires.
Selon les enquêtes du Southern Daily et de Caijing, les plaignants étaient abordés par des employés de la société qui prétendaient qu’un logement les attendait. Ils étaient ensuite amenés « dans des hôtels ou des maisons en banlieue », où ils étaient dépossédés de leurs biens, et enfermés.
« C’était dans la cour d’une ferme, raconte au journal Yang Peigeng, un homme de 75 ans qui avait été enfermé pendant un mois. Près de 100 personnes, hommes et femmes, vivaient dans la même pièce; nous étions très peu nourris« .
Pour chaque personne « interceptée », Anyuanding facturait aux gouvernements locaux 300 yuans par jour de détention, plus des frais supplémentaires en cas de rapatriement.
Le gouvernement intervient
Bien que les « prisons noires » soient depuis longtemps un véritable secret de polichinelle en Chine, le gouvernement a toujours nié leur existence, à quelques exceptions près.
En 2009, le viol d’une pétitionnaire par son détenteur avait défrayé la chronique, et cette semaine, l’affaire Anyuanding a également été « officialisée », après ce qui ressemble à des hésitations des autorités.
Selon le New York Times, après la publication de son papier, la rédaction de Caijing a d’abord reçu des pressions policières, pour ensuite se voir présenter des excuses par le nouveau chef de la police de Pékin, Fu Zhenghua.
Peu après, deux hauts responsables de l’entreprise étaient mis en détention par le Bureau de la Sécurité Publique, accusés de « détenir des personnes illégalement, et d’activités commerciales illégales ».
Parallèlement, le quotidien officiel China Daily publiait un article sur le sujet.
La preuve que le gouvernement central commence à se préoccuper du problème? Pas forcément.
Interrogé par l’AFP, Phelim Kine, de l’association Human Right Watch, qui a publié un rapport sur le sujet, estime que « le problème ne se limite pas à une entreprise. Il implique un réseau d’officiels du gouvernement, de forces de sécurité, un grand nombre de voyous en civil et des dizaines de lieux aménagés rien qu’à Pékin« .
« L’affaire Andingyuan est si sinistre et dommageable qu’il semble que les autorités du Bureau de la Sécurité Publique n’aient pas eu d’autre choix que d’intervenir et d’enquêter« , a estimé Xu Zhiyong, un avocat connaisseur du problème des « prisons noires », interrogé par le New York Times.
Mais si la question des prisons noires est inquiétante, qu’ils soient « interceptés » ou pas, rares sont les pétitionnaires qui arrivent à obtenir justice. Selon des estimations, moins de 2% des plaintes déposées au Bureau des Pétitions entraînent une intervention légale.
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