Le président américain et sa secrétaire d’Etat recevront tous deux le dalaï lama, en visite à Washington. Après la vente d’armes à Taïwan et le discours d’Hillary Clinton sur internet et les libertés, l’administration Obama suscite la colère chinoise. Réactions en vidéo.

Barack Obama agace la Chine. Après que sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton ait demandé au gouvernement chinois d’enquêter sur les attaques contre Google et l’ait indirectement visé en évoquant les états qui bafouent « les droits fondamentaux des usagers d’internet, après que le Congrès américain ait donné son aval à la vente d’armes à Taïwan« , le président américain reçoit, ce jeudi 18 février, le dalaï lama.
Il n’y a qu’à piocher dans les nombreuses déclarations officielles pour constater à quel point le gouvernement chinois désapprouve l’accueil que réserve le dernier prix Nobel de la Paix à celui que Pékin qualifie de temps à autres de « chacal en robe bouddhique », lui aussi titulaire du Nobel. Son opposition est « constante et claire », « résolue » et a déjà valu aux Etats-Unis des « représentations solennelles ». A ne pas négliger non plus, l’agacement des Chinois eux-mêmes. « Si on est amis, il ne faut pas qu’il sert la main par devant, et donne un coup de pied par derrière » dit un Pékinois filmé par Aujourd’hui la Chine (voir les réactions en vidéo en bas d’article). Trop souvent en effet, le courroux chinois est présenté comme étant le simple point de vue des leaders transposé sur une opinion publique téléguidée. Or si les médias et relais d’opinion chinois sont loin d’être indépendants, le sentiment populaire anti-américain est bien réel lorsqu’adviennent des brouilles de ce type.
Obama prend des pincettes sur le Tibet
Pourtant, Obama a pris soin de passer de la pommade à la Chine. Le président américain a été le premier en 18 ans à ne pas recevoir le dalaï lama de passage à Washington début octobre. Le porte-parole du département d’Etat Robert Gibbs expliquait alors que de « bonnes relations sino-américaines aident les Tibétains ». Barack Obama préférait se rendre d’abord en visite à Shanghai et Pékin, avant que son administration n’aborde les sujets qui fâchent : vendre des batteries de systèmes anti-missiles Patriot et autres armes à Taïwan et recevoir le leader des Tibétains en exil. Selon le New York Times, Washington craignait alors que l’invitation en Chine de M. Obama ne soit purement et simplement suspendue.
Cette fois-ci, l’ « entretien privé » aura lieu dans la salle des Cartes de la Maison Blanche et non dans le plus solennel Bureau ovale et à l’abri des caméras, là encore pour heurter un peu moins la Chine. Est-ce un hasard de calendrier, la visite d’une semaine du dalaï lama en Amérique se déroule alors que les Chinois sont en vacances en famille pour célébrer l’entrée dans l’année du Tigre et ont l’esprit à autre chose, et que les conférences de presse du ministère des Affaires étrangères sont suspendues.
La Chine a déjà menacé de conséquences. Début février, Zhu Weiqun, un vice-ministre et membre du Comité central du Parti soulignait qu’une telle rencontre, en violation avec le droit international, serait « irrationnelle et nuisible ». « Si un pays décide d’agir ainsi, nous prendrons les mesures nécessaires pour l’aider à réaliser cela » a-t-il prévenu.
La stratégie du cracheur de feu
Les Etats-Unis sont loin d’être le seul pays à faire face à une Chine devenue extrêmement irritable sur la question tibétaine. « La Chine a changé sa position sur le Tibet du fait du choc causé par la rencontre publique avec le président Bush en 2007 » écrit Robert J. Barnett, directeur du Programme d’études sur le Tibet contemporain de l’Université de Columbia, dans une note publiée par le Council on Foreign affairs. Le président conservateur avait remis au dalaï lama la médaille du Congrès et l’avait pour la première fois reçu à titre public et non privé.
« La Chine avait alors « placé le Tibet au rang de ses « intérêts vitaux » et commencé des efforts bien plus agressifs pour empêcher les rencontres d’étrangers avec le dalaï lama », écrit M. Barnett.
« Sa stratégie du « cracheur de feu » a été un succès de premier plan : depuis le début de cette campagne, les leaders d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Allemagne et le pape ont refusé de rencontrer le dalaï lama ; la Grande Bretagne a publiquement renoncé à reconnaître le Tibet comme ayant été autonome par le passé ; et la France s’est retrouvée forcée de déclarer par écrit son « opposition au soutien à l’indépendance du Tibet sous quelque forme que ce soit », explique le chercheur.
« L’an dernier, seulement deux chefs d’état ont rencontré le dalaï lama – les premier ministres de la République tchèque et du Danemark (les Danois s’étant par la suite vus contraints à une déclaration publique selon laquelle ils s’opposent à l’indépendance tibétaine, souligne, Robert J. Barnett, comparé à 21 au cours des quatre dernières années ».
Pour les leaders de la première puissance mondiale, il eût été encore plus délicat que pour les autres de courber l’échine. D’autant que les Etats-Unis se sont déjà sentis méprisés par la Chine à Copenhague et n’ont pas réussi à obtenir d’elle l’approbation de nouvelles sanctions contre l’Iran à l’ONU.
Reste donc à voir si le gouvernement chinois mettra ses menaces à exécution.
En pleine crise, un porte-avions américain à Hong Kong
Déjà, les médias d’Etat chinois ont prôné des sanctions contre les entreprises américaines dont les armes seront transférées à Taïwan, dont Boeing. Et la Chine a annoncé la suspension de ses échanges militaires avec les Etats-Unis. De nouvelles taxes ont été imposées sur l’importation de volailles américaines, pour montrer que tous les dossiers sont liés et rappeler à une Amérique en crise à quel point elle a besoin de la Chine. Cette dernière est d’ailleurs repassée au second rang des créanciers de l’état américain, derrière le Japon, signe qu’elle ne veut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier américain.
Malgré ces signes inquiétants, les deux états et leurs dirigeants savent à quel point ils sont interdépendants et joueraient perdant-perdant en s’enfonçant dans une crise durable. Début février, le ministre des Affaires étrangères Yang Jiechi était à la Conférence de Munich sur la sécurité. Il en a certes profité pour râler à nouveau contre les ventes d’armes à Taïwan et la rencontre avec le dalaï lama, il s’agissait néanmoins de sa première visite à ce forum qui doit servir à nourrir le dialogue stratégique.
Signe que les échanges se poursuivront malgré les coups de froid, le ministère des Affaires étrangères chinois a donné son aval à l’escale d’un porte-avions nucléaire américain, l’USS Nimitz, dans le port de Hong Kong. Pendant que le dalaï lama sera reçu à la Maison Blanche, ses 5000 membres d’équipage seront donc, eux, en territoire chinois