Avec son fracassant « Les Chinois trichent sur tout », François Hollande laisse entrevoir son premier objectif diplomatique. Entre réalisme violent et pragmatisme économique.

C’est une petite phrase prononcée en cours de campagne, qui fait tache au moment de la prise de fonctions :
« J’en suis arrivé à un moment où je pense qu’il faut nommer l’adversaire. Je l’avais fait pour la finance, il faudra le faire pour les Chinois. »
C’est évidemment François Hollande qui parle, le 30 mars dernier, lors d’un déjeuner avec le journaliste Eric Dupin, chroniqueur sur Rue89, et qui la rapporte dans son livre paru cette semaine, « La Victoire empoisonnée » (éd. Seuil).
Désigner la deuxième puissance économique mondiale comme « adversaire » quand on s’apprête à prendre les rênes d’un pays plongé dans la crise et ayant un déficit abyssal de son commerce extérieur, c’est audacieux !
Et François Hollande – dont le nom se prononce en chinois « Ao-lang-de », « Brillante vertu mystérieuse » – a d’ores et déjà fait les gestes qu’il faut pour que son mandat démarre sur une autre tonalité.
Aux antipodes de cette déclaration fracassante, le Président tout nouvellement élu a rapidement reçu l’ambassadeur chinois à Paris, Kong Quan, pas vraiment un tendre dans l’appareil chinois, qui lui a remis un message du numéro un de l’Empire du milieu, Hu Jintao.
Le diplomate chinois a été très sensible au fait d’être le premier représentant étranger reçu par François Hollande à son QG de transition, même s’il avait déjà eu des conversations téléphoniques avec Angela Merkel, David Cameron et Barack Obama.
Sérénité chinoise
Paradoxalement, les responsables chinois se montrent très sereins vis-à-vis du vainqueur de la présidentielle, estimant que sa « normalité » plaide en sa faveur après la période Sarkozy où ils ne savaient jamais à quoi s’attendre avec un chef d’Etat impulsif.
Ils n’ont toujours pas digéré la guerre de Libye, conduite après un feu vert chinois et russe au Conseil de sécurité de l’ONU, largement outrepassé sur le terrain par les forces de l’Otan.
Quant à ses piques à la Chine pendant la campagne, les Chinois ont pris l’habitude d’être désignés comme boucs émissaires de la crise (la campagne américaine est autrement plus violente sur ce sujet) et, sur le terrain économique, ils y voient le souci légitime d’un dirigeant politique de défendre l’intérêt national. Un langage qu’ils sont capables d’entendre… et de combattre.
De fait, si l’on regarde de près la déclaration de François Hollande à Eric Dupin, il nuance l’attaque :
« Le problème, il est chinois. Ils trichent sur tout. Sur la monnaie, en matière de recherche. La difficulté, c’est que beaucoup de grandes entreprises vivent avec des contrats chinois. Ce sont elles qui empêchent que nous soyons plus fermes à l’égard des produits de ce pays. Mais il faudra ouvrir le conflit en ayant le soutien d’un certain nombre de pays européens. Là aussi, c’est compliqué. Les Allemands ont quand même beaucoup d’intérêts en Chine et d’autres pays, moins. »
Les leçons de la crise de 2008
Cette analyse est réaliste. François Hollande a, semble-t-il, tiré les leçons de la crise de 2008 entre la France et la Chine, déclenchée par les prises de position de Nicolas Sarkozy au moment de l’explosion de violence au Tibet, suivies de sa rencontre avec le dalaï-lama en Pologne.
Sarkozy s’est retrouvé tout seul, sans chercher à réunir les Européens pour faire face à la puissance chinoise. Il a été « puni », boycotté économiquement et politiquement pendant plus d’un an, jusqu’à ce qu’il accepte d’aller à Canossa, et de s’engager à ne plus rencontrer le leader tibétain exilé.
François Hollande place, dans ses propos, la question des relations avec la Chine au niveau européen, seul rapport de force possible avec la deuxième puissance économique mondiale qu’est devenue la Chine.
D’autant que les relations économiques extérieures sont du ressort de la Commission européenne, et pas des Etats-membres, sauf à suivre la voie du retrait préconisée par Marine Le Pen.
Si un certain « protectionnisme » social ou environnemental, voire un « Buy European Act » comme cela a été évoqué, devaient être introduits, il ne pourraient l’être qu’au niveau de l’Union, pas d’un Etat-membre qui n’en aurait ni les compétences réelles, ni la force de frappe.
Le fait que le nouvel élu ait choisi comme conseiller diplomatique un spécialiste de la Chine, le diplomate de carrière sinisant Paul Jean-Ortiz, ancien ministre conseiller à l’ambassade de France à Pékin, et dernièrement directeur d’Asie au Quai d’Orsay, plaide pour une approche plus réaliste du dossier.
Du traité budgétaire au bras de fer avec Pékin
François Hollande aura-t-il la capacité de porter cette demande au niveau européen ? C’est ce qu’il affiche dans ses propos de mars à Eric Dupin. Mais la réponse dépendra beaucoup du rapport de force dans l’Union qui sortira de la partie qui s’engage autour du Traité budgétaire et du volet croissance.
Si le président français réussit son pari de réorienter le cœur de la politique européenne dans les prochaines semaines comme il s’y est engagé, il n’en aura que plus de poids pour pousser l’Europe dans la direction non pas tant du « protectionnisme », mot trop connoté, mais du « juste échange », comme le veut l’euphémisme de rigueur au PS.
Les Chinois le savent et ils sont, de ce point de vue, très attentatifs à ce qui se passe à Paris, et à ce qui se passera dans les prochaines semaines au sein des 27. Particulièrement entre Paris et Berlin, entre Hollande et Merkel.
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http://www.echinacities.com/china-media/masters-of-deception-how-chinese…
Les industries d’autres pays européens, dont l’Italie, sont victimes des tricheries commises par les compagnies chinoises.
http://french.peopledaily.com.cn/Economie/7767020.html
Cela dit les entreprises privées chinoises s’organisent collectivement pour pénétrer le marché européen. La réciproque pour les entreprises françaises, sans parler des entreprises européennes, sur le marché chinois n’est pas encore en vue.
Pragmatisme… je veux bien. Mais avec un premier ministre qui s’est à de multiples reprises livré à des actes hostiles à la Chine (cf sa demande de hisser le soi-disant drapeau tibétain sur l’assemblée nationale au passage de la flamme olympique en 2008, et sa réception en grande pompe du Dalai Lama à Nantes), on peut douter. Les Chinois ont-ils oublié cela, ou ne l’ont-ils pas vu ? Tapez « Ayrault-Dalai » sur Google, et vous comprendrez… et il n’est pas le seul au PS dans ce cas. On a eu un Sarkozy instable et imprevisible, ce qu’on a maintenant vaut-il mieux ? On verra…
Voilà un extrait du discours qui avait été tebu par Ayrault pour la réception à Nantes du Dalai lama en 2008 :
« Le combat qui est le vôtre depuis 50 ans pour que soient garantis aux Tibétains leurs droits; le combat pour la défense des Droits de l’Homme et de la démocratie, c’est un combat que nous faisons nôtre. Le message que nous voulons adresser au peuple et au gouvernement chinois est celui qui est inscrit dans l’esprit de l’Edit de Nantes.
La violence et la répression doivent faire place au dialogue et à la réconciliation. Le Tibet a une histoire spécifique, une culture propre qui doivent être respectées. Il ne s’agit pas de mener un combat d’arrière garde pour une indépendance qui serait signe d’un retour vers le passé, mais au contraire de trouver les bases d’un nouveau partenariat fondé sur une large autonomie du Tibet.
En exprimant le voeu que la Chine et ses représentants acceptent un dialogue pacifique avec les représentants du Tibet, nous n’entendons pas insulter le peuple Chinois, au contraire, nous souhaitons soutenir les initiatives pour la réconciliation et la paix. L’Europe a été si souvent le théâtre de conflits en son sein et à l’intérieur de chacune de ses nations, et l’actualité vient de nous le rappeler avec cruauté, qu’il serait inconvenant de vouloir s’ériger en donneur de leçons, mais l’heure est venue de soutenir toute initiative pouvant faire progresser le dialogue et le respect des Droits de l’Homme, partout dans le monde.
Nantes accueille depuis 2004, tous les deux ans, le Forum mondial des Droits de l’Homme dont la dernière édition s’est déroulée début juillet. C’est pour nous une manière de soutenir le combat des femmes et des hommes qui croient à l’universalité des Droits humains inscrits dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dont nous fêtons cette année le 60ème anniversaire. C’est aussi une tribune offerte à ceux qui souhaitent faire connaitre leur combat, les défenseurs des droits de l’Homme en Chine y sont régulièrement invités et cette année nous avions l’honneur d’accueillir Wei Jingshen, président du comité pour la démocratie en Chine.
Vous avez reçu le Prix Nobel de la Paix en 1989, un de vos prestigieux prédécesseurs, Aristide Briand, qui a été à l’initiative de la création de la Société des Nations, ancêtre de l’Organisation des Nations Unies, était Nantais. Grand pacifiste, il fut précurseur du rapprochement Franco-allemand en proposant une union politique entre les deux pays dès le lendemain de la 1ère guerre mondiale et rêvait de rendre la guerre illégale. Il aurait certainement approuvé la manière avec laquelle vous défendez la paix dans le monde et la cause du peuple tibétain. »
On peut y relever trois éléments :
– Ayrault ne prône pas l’indépendance du Tibet, mais le dialogue des autorités chinoises avec les Tibétains et leurs représentants ;
– Ayrault refuse aux Européens le droit de se poser en donneurs de leçons ;
– Ayrault reconnaît dans le combat des Tibétains le même impératif de reconnaissance des libertés, de respect des différences de tolérance des cultures que celui qui sous-tendait l’Edit de Nantes (dont on sait qu’il a été ensuite révoqué par Louis XIV, avec les conséquences catastrophiques que l’on sait sur la France).
Que les Européens n’aient pas le droit de donner les leçons, je suis bien d’accord… encore que l’honnêteté commande de reconnaître que l’Europe est tout de même, dans son ensemble, une terre de relative liberté de pensée, de paroles et d’actes. Il n’en demeure pas moins que le fait d’accueillir le Dalai Lama en grande pompe à Nantes, et de hisser le soit-disant drapeau du Tibet libre sur la façade de sa mairie témoigne, sinon d’une certaine maladresse, d’une méconnaissance certaine de ce qu’est la Chine. Tout comme sa demande de faire de même au fronton de l’Assemblée Nationale. Faire et vouloir faire ainsi, n’est-ce pas également une certaine façon de vouloir faire la leçon à la Chine ? De chercher à l’humilier, à se crisper, plutôt que de l’encourager au dialogue ? M. Ayrault méconnaît de façon évidente la mentalité chinoise, mais il n’est pas le seul… quant à faire du Dalai Lama un apôtre des droits de l’homme, il y aurait de quoi rire, si ce n’était pas aussi triste. Certes, la situation au Tibet est sans doute loin d’être parfaite que certains veulent bien le dire, mais le Dalai Lama n’est pas non plus un ange… qui oserait contester de bonne foi que, sous son règne et celui de ses prédécesseurs, le Tibet était un Etat féodal où régnait le servage, et que lui même n’a pas fait grand chose pour y remédier ? Je conseille à M. Ayrault, et aux autres rêveurs et idéalistes bien au chaud chez eux avec leurs certitudes sous le bras, de lire des auteurs comme Alexandra David Neel, dont on ne saurait remettre l’honnêteté en doute. Et ils verront que le Tibet n’était pas le paradis que certains imaginent… quand bien même il reste encore beaucoup à faire dans le Tibet d’aujourd’hui. Encourager le dialogue, l’ouverture, comme une partie de son discours le souligne, à l’évidence oui. Mais je doute fort que le Dalai Lama soit la personne adéquate pour cela, et que de le recevoir ainsi et de se livrer à une provocation inutile en hissant le drapeau d’un soit-disant Etat indépendant n’est peut-être pas la meilleure façon d’y arriver. La Chine est un Etat souverain, et que l’on soit d’accord ou non, le Tibet en fait partie, fait reconnu par l’immense majorité de la communauté internationale. Le dialogue n’a rien à gagner à ce genre de provocations inutiles. A-t-on jamais vu la Chine accueillir en grande pompe des représentants indépendantistes de certaines régions françaises ? Pas que je sache… le ferait-elle que ce serait une erreur, et qu’alors la France serait parfaitement en droit d’être mécontente. Alors pourquoi faire aux autres ce que nous mêmes ne voudrions peut-être pas que l’on nous fasse ? M. Ayrault est désormais aux commandes, c’est un homme intelligent… à lui de voir s’il pourra ou voudra à nouveau faire ainsi ! Pour le bien des relations franco-chinoises, souhaitons que non…
Je suis tout a fait d’accord avec cette analyse.
Je suis absolument sidere par le messianisme dont fait preuve la plupart de nos elites, de nos medias, et aussi de notre peuple de France.
Ce messianisme serait peut etre encore defendable si il reste coherent. Or il ne l’est pas : on essaie de dicter aux Chinois la facon dont il faut vivre et gouverner mais jamais aux Saoudiens par exemple. On se demande pourquoi d’ailleurs.
Le systeme de deux poids deux mesures dont nos elites ne cessent d’en user est absolument ecoeurant.
Les Droits l’Homme, tels qu’ils ont été proclamés dans la Déclaration du 26 août 1789, n’ont pas été définis pour un usage externe. Ils n’ont pas pour vocation de fixer les objectifs de la politique étrangère, mais de s’assurer que les libertés sont garanties par les institutions internes et leur fonctionnement.
En ce sens, il est tout à fait « logique » de constater, en politique étrangère, deux poids de mesures, en fonction des intérêts de la France. Ce qui est criticable pour la France, c’est de prétendre se poser en donneur de leçons.
Du reste, ce que nous avons constaté, en Europe, c’est que la souveraineté des Etats ne pouvait pas être conçue comme absolue. Pour que les Etats puissent coexister, encore faut-il qu’ils partagent certaines valeurs. En particulier, il est aujourd’hui contesté que les Etats puissent massacrer leurs propres populations, ou pratiquer des discriminations inacceptables, en étouffant des peuples entiers, en dégradant leur environnement, et en faisant disparaître leur langue, leur religion et leur culture, au seul prétexte de leur souveraineté. Cette souveraineté ne saurait excuser les crimes commis par l’Etat envers sa propre population, y compris envers les minorités.
Quant aux régions françaises, je crois que la question est dépassée. Alors que l’Europe se construit, et se trouve à un tournant, la question est plutôt de savoir comment intégrer les peuàples européens qui ont rejoint l’Union, comment en intégrer d’autres, et quelles relations établir avec les peuples européens qui ne veulent pas faire partie de l’Union ?
De ce point de vue, il existe une différence radicale entre l’Europe et la Chine, au sens où la Chine s’est construite comme un Empire, en intégrant de force des peuples qui n’ont jamais demandé à devenir Chinois, alors que l’Europe se construit sur une base volontaire, et une négociation.
Quelle idée de comparer Chine et Europe de ce point de vue.
L’une est un pays et l’autre une expérience tout à fait unique.
Il est légitime de comparer la Chine à l’Europe pour plusieurs raisons évidentes :
– dans la mondialisation, l’Union européenne s’est dotée d’une politique commerciale commune, d’une politique concurrentielle commune et d’une politique agricole commune ;
– La politique européenne relative au changement climatique permet de disposer d’un effet levier d’envergure mondiale ;
– La démographie européenne est comparable au poids démographique de la Chine ;
– Historiquement, l’Europe partage des éléments de civilisation communs, comme la Chine est elle-même une civilisation ;
– La zone euro est dotée d’une monnaie commune ;
– Les politiques industrielles européenne représentent des enjeux d’envergure mondiale : aéronautique, espace, énergie, télécommunications,
– La création d’un brevet européen unique permet de protéger les innovations à l’échelle européenne.