L’histoire de Zhang Shanwu, double champion du monde universitaire de gymnastique à 18 ans et mendiant dans le Hebei à 28 ans passionne le pays et soulève des questions sur sa politique sportive.

Une enfance difficile, des rêves de gloire, une chute spectaculaire et une happy-end en construction. Les Chinois se passionnent pour l’épopée de Zhang Shangwu, qui frôla les sommets dans sa carrière de gymnaste avant de toucher le fond et de mendier dans le métro pékinois.
Et comme souvent en Chine, derrière l’histoire humaine, il y a les tares du système. La presse mais surtout les internautes se livrent aujourd’hui à un réquisitoire contre la politique sportive du gouvernement, dont Zhang est une victime exemplaire.
Rêve rompu
L’histoire de Zhang Shangwu était pourtant vouée à l’oubli.
Entré dès l’âge de 5 ans dans un centre d’entrainement de la province du Hebei, il vit au rythme d’une formation quasi-militaire, intensifiée par sa sélection en équipe nationale, 7 ans plus tard. Il quitte alors définitivement l’école : l’enfant est doué, mais la compétition entre les gymnastes chinois est rude.
Comme il l’explique au Beijing News, on lui demande en 2001 de “se faire passer pour un étudiant”, et ainsi de participer aux Jeux Mondiaux Universitaires.

Âgé de 18 ans, il en ramène deux médailles d’or, une par équipe et une aux anneaux : pas encore une consécration, mais la promesse d’une carrière éclatante.
L’espoir est grand et il tombera de haut. Quelque mois plus tard, l’athlète se rompt le tendon d’Achille, rate la sélection pour les JO d’Athènes et se fait reléguer en équipe provinciale du Hebei. Il y reste trois ans, et, toujours marqué par sa blessure, prend sa retraite en 2005. Il a alors 22 ans.
Il reçoit seulement 38000 yuans (4000 euros) en guise de rémunération et de pension. Car l’objectif de Pékin, ce sont les médailles olympiques. Et pour ceux qui ne sont pas aptes à ramener les breloques au pays, le traitement est dur : l’indifférence la plus totale. Les sportifs sont laissés là où l’espoir d’être le meilleur les abandonne.
100 yuans par mois
La dure loi du sport, pourrait-on dire. Sauf que les intéressés n’en sont qu’à moitié conscients de ces réalités. Formés depuis très jeunes à rester concentrés sur leurs objectifs, les questionnements sur l’après carrière arrivent souvent trop tard.
Ce n’est donc qu’après sa blessure que Zhang a commencé à y réfléchir. Il se disait qu’il pourrait partir étudier à la Beijing Sport University. Il n’y est jamais allé, mais l’a représentée lors des Mondiaux universitaires… « Et tu crois que c’est pour ça qu’il vont t’accepter? », l’ont recadré les officiels de l’équipe.
Rétrogradé au niveau provincial, le gymnaste insiste et demande à ses entraineurs le droit de suivre des cours à l’école du sport. « Refusé », explique-t-il aujourd’hui.
Manque de plans, manque de compétences, demandes d’emplois refusées, errance, la reconversion s’avère difficile pour le jeune retraité. Il faut dire qu’en plus de ne pas être éduqué et de souffrir de blessures qui lui interdisent les travaux les plus laborieux, Zhang ne mesure qu’1m52.
En 2007, il vend ses médailles d’or, pour 60 et 50 yuan (6 et 5 euros). La même année, il est arrêté pour vol. C’est après sa sortie de prison, en avril dernier, qu’il commence à mendier, dans sa province natale, puis à Pékin. Il dit au passants avoir un grand-père malade. 100 yuans (11 euros) par mois, c’est le revenu de cette ancien futur champion.
Sauvetage Weibo
Les choses auraient pu en rester là, mais la Chine est un pays où l’information va vite. Des passants ont eu de la curiosité à l’égard de ce petit homme qui fait des cascades dans la rue pour quelques pièces. En quelques heures, l’histoire se répand sur Weibo (le twitter chinois), devient un phénomène médiatique local, avant de devenir un véritablre sujet de société.
Des milliers de messages de soutien, les visites fréquentes de la presse, des offres d’emploi, dont celle d’un des plus grand milliardaire chinois : le feuilleton Zhang Shangwu connait un de ses plus grands rebondissements.
“En Chine beaucoup d’athlètes subissent la même chose que moi. Je peux m’estimer chanceux que les médias et la société aient rendu public ma situation”
Une chance que l’ancien athlète ne compte pas laisser échapper : il a lui aussi ouvert un compte weibo et y a posté son numéro de compte en banque. Que ceux qui veulent le soutenir fasse un don.
La manœuvre n’a pas été très bien reçue par certains internautes, et là encore, les commentaires s’emballent, encouragés par la presse officielle qui met en doute certains points de son histoire. «Tout le monde a de la pitié pour lui. Mais il abuse. Il veut de l’argent alors qu’il n’est ni handicapé ni vieux. Il ne mérite pas ces aides », lit-on sur dans un autre post.
Avertissement au parents
Si Zhang ne fait pas l’unanimité, l’affaire a le mérite d’avoir ouvert le débat sur la politique sportive de la République Populaire. Alors que le sujet est récurrent dans les médias étrangers, notamment depuis les JO de Pékin et les 100 médailles chinoises, la discussion est en général limitée en Chine sur ce thème.
Sur son microblog, l’animateur radio Sun Liang ne masque aujourd’hui pas ses critiques. « Le but du système sportif chinois est de décrocher les médailles d’or, rien d’autre. Envoyer un enfant de cinq ans à s’entraîner sans penser à son futur n’est pas du tout humain.»
« Peut-être si les dirigeants du Bureau national des sports dépensaient moins d’argent sur les repas et les voyages, les sportifs retraités auraient de quoi se nourrir », ajoute un autre.
Pourtant, d’autres sportifs laissés-pour-compte avaient fait la une des journaux : l’ancienne championne de marathon Ai Dongmei qui avait lui aussi vendu ses médailles pour survivre, l’haltérophile Zou Chunlan, devenue masseuse dans un bain public de Jilin…
Sur son blog, le double médaillé d’or olympique Gao Min écrit ce lundi que beaucoup de ses anciens camarades n’ont pas eu une « bonne vie » et milite pour une politique plus protectrice.
Le directeur de l’Académie de Sciences Sociales de Pékin Jin Shan va dans le même sens et explique que « la tragédie de Zhang doit surtout servir d’avertissement aux parents qui envoient leurs enfants dans les écoles de sports pour faire d’eux de nouveaux Yao Ming ».
Un avertissement qui inquiète l’entraineur de l’équipe national de gymnastique : « avec un champion du monde qui se retrouve si bas, qui voudra devenir gymnaste dans l’avenir ? »
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« Une vie sportive est une vie héroïque à vide. » Jean Giraudoux
mamounette