Dongge, 60 ans, est homosexuel, et c’est de ce point de vue qu’il raconte les transformations de la Chine contemporaine. Si aujourd’hui, gays et lesbiennes peuvent vivre leur sexualité assez sereinement, « ça n’a pas toujours été facile », raconte t-il.

« Je me suis rendu compte que j’étais gay à 17 ans alors que j’étais en rééducation à la campagne, pendant la Révolution culturelle. On peut dire que ce n’était pas vraiment le moment », plaisante Dongge, un pull vert bouteille enveloppant son ventre rebondi.
Pendant ce sombre épisode de l’histoire de la Chine, les homosexuels ont subi une répression sans précédent, alors que leur situation n’était « pas si mauvaise » depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949. « D’ailleurs, sous certaines dynasties, l’homosexualité était totalement entrée dans les meurs chinoises », rappelle Dongge.
Mais pendant la Révolution culturelle, cette sexualité est considéré comme une pratique bourgeoise importée d’un Occident décadent. Les « camarades » et les « lalas » (surnoms donnés respectivement aux gays et aux lesbiennes) vivent donc leur sexualité dans l’ombre. Humiliations publiques et lapidations sont le lot commun des malheureux qui se font repérer, la plupart finissant alors leurs jours dans les camps de travail.
« Nous étions vraiment terrifiés »
« C’était très dur de se rencontrer, se souvient Dongge. On ne pouvait pas avoir de relations suivies bien sûr, donc on devait se contenter d’amourettes furtives et anonymes, parce que nous étions vraiment terrifiés. » Et pour cause, trois organisations étaient à leurs trousses : la police bien sûr, mais aussi les « comités de quartiers », ainsi que les « liang fang », une sorte de milice citoyenne composée de volontaires. « Eux, c’étaient les pires, assure Dongge. Les plus violents ».
Alors, à défaut d’autre chose, leurs rendez-vous se passent dans les toilettes publiques. Celles qui se trouvent des deux côtés de la Cité interdite, particulièrement connues pour être le théâtre de telles rencontres, ont d’ailleurs inspiré le titre du livre de Wang Xiaobo « East palace, ouest palace », évoquant ouvertement l’homosexualité.
Bien sûr, à l’époque, il leur est impossible d’envisager de vivre ensemble. Dongge épouse donc une femme, à qui il cachera son orientation sexuelle pendant près de vingt ans.
Avec l’ouverture économique, les mentalités changent et les homosexuels commencent à se faire une place dans la société, bien que l’amour entre deux personnes du même sexe reste puni par la loi.
« Les arrestations étaient de plus en plus rares, se souvient Dongge, même s’il arrivait qu’on en mette certains en garde à vue, où ils restaient parfois plusieurs semaines. Mais en général, la police avait d’autres chats à fouetter ». Les punitions administratives et les rétrogradations au sein des entreprises restent par contre monnaie courante.
Profitant de ce répit, la communauté homosexuelle commence à se rassembler dans certains bars et discothèques, à l’instar du « half and half » à Pékin. Les années 90 marquent aussi l’apparition des MB, abréviation pour « Money Boy », prostitués masculins.
Par ailleurs, scientifiques et sociologues commencent à s’intéresser à la communauté homosexuelle, ce qui est vécu par Dongge comme un pas de plus vers son intégration. Avec toutefois quelques accrochages.
« Il y avait un docteur qui s’intéressait a nous. Mais comme il ne savait pas où nous trouver il a eu l’idée de coopérer avec la police. Du coup, celle-ci faisait des descentes, et lui ramenait des sujets qu’il étudiait pendant les gardes à vues », soupire t-il.
En 1997, le gouvernement revient sur la criminalisation de l’homosexualité sans toutefois la légaliser explicitement. Les gardes à vue deviennent exceptionnelles et concernent surtout les rassemblements dans des lieux publics, interdits d’ailleurs à quiconque en Chine. Au début des années 2000, des associations gay et lesbiennes se créent dans les grandes villes. En 2001, la Chine retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales.
Enfin reconnus officiellement
Mais pour Dongge, c’est 2004 qui marque un réel changement. Cette année là, le gouvernement commence à financer les associations gay et lesbiennes et le ministère de la santé publie des statistiques sur le nombre d’homosexuels du pays.
« Je me demande bien d’où ils ont sorti ces chiffres, sourit-il. Mais peu importe : cela signifiait que nous étions enfin reconnus officiellement. »
Aujourd’hui, le temps des chasses à l’homme et des lapidations publiques paraît bien loin. Mais il reste des progrès à faire pour que les homosexuels soient vraiment reconnus dans la société chinoise. Car pour la plupart d’entre eux, il est encore délicat de s’afficher ouvertement. Beaucoup cachent leur sexualité à leur entourage et certains se marient à contrecœur pour satisfaire leurs parents. Ils subissent également de nombreuses discriminations, en particulier dans le monde du travail. Enfin, l’interdiction de l’élection de Mr gay China en janvier dernier a montré la réticence des autorités à ce que la communauté homosexuelle ne fasse trop parler d’elle.
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