« Je ne dois pas parler de Liu Xiaobo, je ne dois pas parler de Liu Xiaobo »… Nicolas Sarkozy a dû retourner cette phrase dans sa tête avant l’arrivée du numéro un chinois, Hu Jintao. Il n’aura pas de mal : il a été suffisamment discret jusqu’ici, sur l’attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois emprisonné, pour que la tentation du lapsus ne soit pas trop forte. De notre partenaire Rue89.

Jamais la France n’a accueilli une visite comme celle qu’entame mercredi Hu Jintao. Certes, le président chinois est déjà venu en France, et ses prédécesseurs avant lui -souvenez-vous de Jiang Zemin dansant avec Bernadette Chirac au château de Bity en 1999, en des temps plus heureux. (Voir la vidéo)
Mais depuis, le rapport de force s’est inversé, et c’est cette fois la superpuissance émergente qui rend visite à un ex-maître du monde sur le déclin. Le temps des flonflons est dépassé, et la relation franco-chinoise a perdu sa dimension « affective » due à la reconnaissance précoce de la Chine maoïste par le général de Gaulle en 1964.
Que la France fasse des affaires avec la Chine, rien de plus normal et de plus nécessaire ; le plus intéressant est ailleurs : il est dans la toile de fond politique et diplomatique, qui est celle d’un nouveau monde dans lequel la Chine fait d’autant plus sentir son poids qu’elle sait ses partenaires/rivaux occidentaux à la peine.
Un prix à payer
Comme d’habitude, pendant la visite de Hu Jintao, on signera des accords économiques importants, des Airbus par dizaine (des A320, faut pas exagérer quand même), du nucléaire et d’autres gâteries dont l’économie française a un besoin vital.
Mais la différence avec les voyages officiels précédents, c’est que la France doit désormais payer le prix politique et symbolique de cette manne financière déversée par le visiteur aux poches pleines.
Au cours de sa dernière visite en Chine, au printemps (photo ci-contre), Nicolas Sarkozy n’avait pu signer aucun contrat économique important, étant encore en période probatoire après la brouille diplomatique de 2008, lors de la crise tibétaine et la rencontre du président français et du chef tibétain, le dalaï lama.
C’était l’époque où le premier ministre chinois, Wen Jiabao, effectuait une tournée en Europe en contournant délibérément la France, et en le faisant savoir. Les entreprises françaises l’ont également senti passer, à un moment où la crise économique commençait à mordre.
Depuis, les deux pays ont renoué le fil du dialogue car personne, aujourd’hui, ne peut se permettre de rester longtemps en froid avec une Chine qui connaît une croissance à deux chiffres, et a acquis un poids diplomatique considérable.
Certainement pas la France qui a affronté seule la colère chinoise sans avoir pris la précaution d’une concertation européenne qui reste, sur ce point, encore balbutiante et inconsistante.
En promettant de ne plus recevoir le dalaï lama, en se taisant lors de l’attribution du prix Nobel de la paix à un homme emprisonné dont le seul crime est d’avoir demandé la démocratisation de la Chine, en acceptant les conditions imposées par la nouvelle superpuissance, Nicolas Sarkozy a donné des gages permettant de retrouver l’indispensable chemin des affaires.
Une crise qui préfigure le nouveau monde
Cette crise franco-chinoise a été la première de la nouvelle ère dans laquelle la Chine a accompli en un temps record sa mue de pays paria (en 1989, lors de l’écrasement du mouvement de la place Tiananmen, lorsque François Mitterrand pouvait déclarer qu’un régime qui tirait sur sa jeunesse était « sans avenir »…), à rouage indispensable de la globalisation économique (« l’usine du monde ») et, enfin, à géant économique et politique incontournable.
Il y a quelques années, les Occidentaux, encore imbus de leur supériorité, voyaient la Chine comme une destination de délocalisation pour produire à bas prix, sans voir que l’ambition de la Chine ne s’arrêterait pas à la sous-traitance des fabricants d’iPhones ou de T-shirts à 1 euro.

Aujourd’hui, l’empire contre-attaque, et ses investisseurs sont courtisés dans le monde entier, y compris au sein du berceau de l’industrialisation, en Europe ! Comme le soulignait cette semaine un article du New York Times, les pays européens se disputent les investissements chinois, récemment en Grèce, en Italie, en Espagne. Et même en Allemagne. Les rôles s’inversent, l’arrogance aussi.
En public, les dirigeants européens continuent de faire comme si rien n’avait changé. Nicolas Sarkozy, en futur président du G20, peut toujours faire croire qu’il va enrôler la Chine dans sa quête d’un nouvel ordre monétaire mondial, Pékin n’en fera qu’à sa tête, et ne touchera au yuan que quand ça lui plaira.
Le poids de la France, dans cette affaire, est insignifiant, et même celui des Etats-Unis, avec une administration Obama à la peine, n’a pas les moyens de peser sur la décision monétaire chinoise.
Le perdant : la société civile chinoise
Le grand perdant de ce nouveau déséquilibre mondial, c’est la société civile chinoise, qui se retrouve en tête à tête avec un régime plus sûr de lui que jamais sur le plan international, et pourtant si incertain sur le plan intérieur, et donc conduit à ne rien lâcher sur son autoritarisme.
Non pas que la revendication démocratique chinoise puisse être imposée de l’extérieur, et certainement pas par des puissances occidentales au crédit moral singulièrement entamé par la croisade de George Bush en Irak ou par le bourbier afghan.
Mais les voix qui, comme celle de Liu Xiaobo, appellent à une évolution pacifique et démocratique de la Chine, se retrouvent singulièrement isolées. Une preuve ? Lisez l’interview (par écrit) de Hu Jintao au Figaro à la veille de sa visite en France : le quotidien de Serge Dassault ne l’a pas interrogé sur son encombrant prisonnier devenu prix Nobel…
A l’image des membres du comité Nobel, le message des Européens aux dirigeants chinois ne pourrait-il pas être que la Chine se grandirait, et gagnerait dans son prestige de nouvelle superpuissance, en libérant son prisonnier de conscience Liu Xiaobo, et en ouvrant la porte aux réformes politiques que beaucoup espèrent, même à l’intérieur du régime communiste.
Nicolas Sarkozy ne sera vraisemblablement pas celui qui fera passer ce message : il a payé pour savoir ce qu’il en coûte de jouer avec le feu du dragon.
A lire aussi : Nicolas Sarkozy et la Chine, acte 2
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Les Français sont obsédés par leur conception des droits de l’homme qui, selon eux est quelque chose d’absolue et d’immuable. Or, il apparait que les Chinois ont une conception légèrement différente de celle des Français. Peut-on dire que la conception des Français est supérieure à celle des Chinois?
Apparemment, selon la conception des Français on est en droit de juger le comportement des autorités des pays tels que la Chine et autres mais pas celui des Américains, Anglais et Français. Ainsi, si les Américains et les troupes alliées assassinent et torturent des civils Iraqiens et Afghans, ceci est, selon la conception des droits de l’homme des Français, tout à fait normal. Si les pays de l’ouest financent les activités de celui à qui on a attribué le Prix Nobel de la Paix afin que celui-ci puisse causer zizanie et instabilité en Chine, ceci, toujours selon la conception des Français, est aussi tout à fait normal. Si les défenseurs des droits de l’homme en France attaquent et abusent d’une sportive handicappée dans une chaise roulante alors qu’elle portait la flamme Olympique, ceci est auusi normal et les Français n’ont rien à re-dire.
@ Jean-Michel : C’est toujours la même bouillie verbale. La conception chinoise est différente de la conception française des droits de l’homme ? Sérieusement ? La liberté a plusieurs conceptions ? Vous méprisez à ce point les Chinois pour pensez qu’ils n’aspirent pas à la liberté, comme le reste du monde ?
Jean-Mi, si ça te gène de comparer la Chine avec la France, il y a une autre solution : compare donc la Chine avec Taiwan. Alors, quelle conclusion ?
La Chine est devenue arrogante au point de demander PAR ÉCRIT aux ambassadeurs en poste à Oslo de ne pas se rendre à la remise du prix Nobel de la paix sous peine de désagréments futurs (Libération du 5).
Vous détestiez les USA? Vous allez adorer la Chine…
Alors, Jean-Michel, dois-je croire à un léger manque de culture ?
Allons, à moi donc de réparer cette carence.
Parlons donc de ce que tu appelles « la conception chinoise des droits de l’homme », et je souhaite te montrer qu’elle peut rejoindre la conception française des droits de l’homme.
La solution s’appelle TAIWAN, la glorieuse et magnifique Taiwan !
Parlons du « soft power » de Taiwan :
Le « soft power » lié à la démocratie de Taiwan est une alternative pour les dirigeants des autres pays de langue chinoise.
Ces dirigeants essaient de concilier leurs intérêts personnels avec ceux de la société, et considèrent que la cohésion et la stabilité de la société sont plus importants que les droits des individus. C’est ce qu’on appelle les « valeurs asiatiques », sur lesquelles se basent les gouvernements autoritaires pour définir leur gestion de l’intérêt du bien commun.
TAIWAN a montré que ces soit-disant « valeurs asiatiques » sont parfaitement compatibles avec la démocratie dans le cadre des traditions confucéennes.
Il a été aussi prouvé qu’un peuple d’origine chinoise valorise les droits de l’homme et la démocratie autant que qui que ce soit d’autre dans le monde.
Il n’y a pas de doute que les dirigeants des autres sociétés de langue chinoise dans cette région du monde sont inquiets de voir que le modèle taiwanais peut motiver leur propre peuple à demander davantage de droits politiques.
En conclusion, un pays totalitaire comme la Chine est amené dans un futur proche à revoir sa conception de la politique et des droits des individus.
Au total, rien à voir avec la France, ou tout autre pays occidental.
bulgogi, tu crois qu’il n’existe qu’une conception de la liberté ?
Exemple : pour le type qui n’arrive pas à boucler ses fins de mois, ne peut-tu pas imaginer que gagner un peu plus d’argent revienne à être un peu plus libre alors que pour celui qui ne sais plus quoi faire de sa fortune la liberté serait que tout soit à vendre…
Je partage complètement ta conclusion.
J’ajoute qu’à mon avis, cette réforme viendra plus vite si les pays étrangers ne s’en mêlent pas où alors s’en mêlent intelligemment, par exemple en protégeant leur « conception de la politique et des droits des individus » et en montrant et démontrant les bénéfices indiscutables qu’ils en tirent.
D’autre part, cette réforme ne doit pas retarder l’aspiration de centaines de millions de chinois à une amélioration de leur niveau de vie.
Ah oui, le pauvre, lui, c’est vrai, il s’en fout de la liberté, il veut juste un bon steak…
Heureusement la Chine, qu’on accuse de tous les maux, est là pour sauver la France et beaucoup d’autres pays.
Quant à la personne qui se déclare très cultivée et qui ceoit connaitre Taiwan, je pense qu’il a encore beaucoup à apprendre.
Quoi, grand maitre ?
Vas-y, enseigne-moi !
Incapable de reconnaitre quand on a tord, donc.
Tu n’as pas bien compris. Disons que pour le pauvre, la liberté de pouvoir gueuler sur la qualité du steak présente moins d’intérêt que celle de pouvoir en manger.
Mouais, enfin, là maintenant, Hu Jintao est en train de sauver Sarko…
Tout le monde sur Terre aspire à la liberté. L’Occidental autant que l’Arabe et le Chinois. Mais il existe un point dont tous mes compatriotes ignorent totalement : tandis qu’en Occident, la liberté est la première des valeurs, les autres civilisations possèdent des valeurs qu’elles placent au dessus d’elle. Les musulmans placent au dessus d’elle la pudeur et les Chinois placent au dessus « l’ordre sous les cieux ». Voilà, bien qu’on soit tous sur Terre attachés à la liberté, les Chinois considèrent qu’il est préférable de la sacrifier pour préserver l’ordre et l’harmonie.
Depuis des siècles les médias parlent du nouveau rapport de force, aujourd’hui Liu est incarceré, ils parlent encore de rapport de force. la force c’est le courage de dire la vérité, ce n’est pas le fait de dire je n’ai pas d’ennemi.
Rien ne vous empêche de dire la vérité tout en vendant les Airbus sans problème. voyez-vous pas, Sarkozy, que les chinois, étant pragmatistes, choisissent avec prudence leur bataille, surtout quand il y a beaucoup d’argent en question?
Quand Vaclave Havel avait reçu le Dalai Lama en je ne sais pas quelle année, la Chine avait protesté, bien sûr, tout en rassurant Havel que, il y aura une protestation féroce, mais le business continue sans perturbation.
Personne ne peut compter sur autrui pour combattre pour les droits de soi-même. Mais il faut quand même simplement dire la vérité quand il faut, Mr. Presiedent. Les norwégiens ont eu le courage de le dire, et vous?
Et la meilleure garantie de manger un steak c’est pas la liberté ? Y’a combien de démocraties où on meurt de faim ?
Le problème, c’est qu’on peut parler des droits de l’homme pendant des heures à un Chinois, mais il n’en a rien à cirer. Alors autant faire dans l’efficacité et arrêter de dire des choses inutiles qui ne peuvent que nuire au bon fonctionnement des affaires. Si vous êtes réalisez des affaires importantes, vous saurez que gagner 100 000 euros est bien plus important et plus utile (pour vous autant que pour la société) que d’aller manifester dans la rue pour les droits des Tibétains ou des Papoux.
Ça, c’est un peu malvenu au siècle où la liberté de certains -vivant pour la plupart dans des pays démocratiques- de s’enrichir en spéculant sur tout et n’importe quoi créée directement les famines.
La liberté, c’est effectivement la meilleur garantie pour les renard de manger de la viande.
EnDirectDeChine, je ne partage pas ta conception de « l’ordre sous les cieux ». C’est une valeur qui échappe à l’emprise des humain, c’est seulement une façon de voir et de comprendre le monde au sens global. Il n’y a donc rien à sacrifier pour ça, il faut juste se rendre capable de le percevoir.
Mais une valeur au-dessus de la liberté pour les chinois en général est -il me semble- l’interdépendance. Je veux dire par là qu’il me semble que les chinois redoutent plus la perte de leurs relations que la perte de leur liberté.
Poussé à l’extrême, ça donnerait : « je préfère perdre toutes les libertés et trouver toutes les amitiés que trouver toutes les libertés et perdre toutes les amitiés »…
Par exemple, l’aspect le plus redouté d’une condamnation en Chine n’est pas tant la prison mais la publication du forfait qui fait de vous un paria à la sortie de prison.
En théorie, oui, mais en pratique, peut-on vraiment dire à la Chine quelles lois elle doit adopter et comment elle doit les appliquer ? En quoi sommes-nous qualifiés pour ça ?
On ne peut pas faire les choses comme ça. On a sans doute une expertise sur les droits de l’homme. Mais si elle ne sert qu’à distribuer des bons points et des mauvais points, on en fera rien avancer du tout, surtout si dans le même temps on se prend soit-même des mauvais points. Il faut créer des dialogues sur ce sujet. Une mise à l’index est tout sauf un dialogue.
D’autre part, on ne meurt pas plus de faim en Chine qu’en France (en %, puisqu’en quantité absolue, on fait tout en Chine plus qu’en France). Alors on ne peut pas utiliser cet argument pour convaincre les chinois d’évoluer politiquement.
Oui tu as raison. Je trouve, pour ma part, le point le plus important est que les Chinois n ont pas pour valeur la plus importante les droits de lhomme. Si on ne comprend pas cela, il est impossible de mener un dialogue constructif avec eux.
Les Français s’en foutent aussi, ça ne les intéressent que si ça leur donne une occasion de dire du mal de quelqu’un. En pratique, ils ne savent souvent même pas de quoi il s’agit.
Le modèle politique ou philosophique n’est que la justification du modèle économique, et quoi qu’en pense Rue 89, c’est Liu Xiaobo qui défend un modèle « sans avenir ».