Depuis plusieurs années la Chine se positionne en Afrique. Notre partenaire Chloé Ascencio nous explique le changement de la perception africaine face à la présence chinoise.

Après avoir été perçus commes les « sauveurs » de l’Afrique qu’ils ont arrosée d’argent sous forme de dons, de prêts à taux zéro et bien sûr de troc (par exemple au Congo: 6 milliards de dollars d’infrastructures médicales contre 10 millions de tonnes de cuivre et 400 000 tonnes de cobalt), les relations-sino-africaines commencent à se dégrader.
C’est très intéressant à observer car l’Europe aussi, à commencer par la Grèce et le Portugal, bénéficiera de plus en plus de ces investissements et découvrira aussi le revers culturel de la médaille.
Aujourd’hui la Chine importe 35% du pétrole africain et construit à tour de bras dans 35 pays de ce continent. Ainsi en Angola où j’ai vécu et travaillé, les Chinois (70 000!) ont indéniablement amélioré les équipements publics, construisant 4000 km de route, des banlieues résidentielles à perte de vue, un nouvel aéroport etc…
Mais les entreprises chinoises qui profitent de ces financement publics (via les banques) et mènent ces projets fonctionnent exactement comme en Chine sans s’adapter du tout au contexte local.
Contrairement à ce qu’elles sont contraintes de faire en Europe (et qui les décourage d’y investir plus) elles ne respectent pas en Afrique les lois du travail et les règles de sécurité. Elles exportent leur « culture d’entreprise » fondée sur le rapport de force et aussi leurs ouvriers, 30% moins chers qu’en local.
Dans les mines de Zambie, les salaires sont inférieurs à la moyenne et les équipements de sécurité dégradés. Des accidents graves se succèdent faute de ventilation des conduits. Impossible de négocier: les managers chinois ne parlent pas anglais (disent-ils). En octobre 2010, ils ont tirés sur des mineurs grévistes…gloups!
En Afrique du Sud les industriels chinois ont considéré que le salaire minimum est trop élevé pour que leurs usines soient rentables. Elles peuvent compter sur une main d’oeuvre prête à tout pour avoir un emploi.
Or les entreprises chinoises créent peu d’emploi, ainsi le projet de restauration du chemin de fer angolais emploierait 160 Chinois contre 60 Angolais, une proportion qui illustre bien le peu d’estime des Chinois pour la capacité de travail des Africains, et qui leur évite en outre l’effort de s’adapter à leurs valeurs, leurs comportements et de les former.
Or cet effort, les entreprises pétrolières opérant en Afrique sont forcées de le faire par les politiques de « localisation » de leur main-d’oeuvre que leur imposent des Etats africains. Contraintes qui ne s’imposent pas aux Chinois…
Les Africains s’aperçoivent que parfois le « deal » n’est pas « fair » quand les hôpitaux se fissurent dès leur inauguration et que le goudron des routes est si fin qu’il ne résiste pas aux premières pluies.
Le management interculturel n’intéressera pas les Chinois tant qu’ils seront ultra dominants dans le rapport de force, pourvoyeurs d’argent frais et de BTP à prix cassés.
Et c’est la logique de l’Histoire: les entreprises occidentales n’ont commencé à intégrer la « dimension culturelle » que lorsqu’elles ont été obligées de prendre en considération les attentes de leurs partenaires et salariés des filiales étrangères (notamment Moyen-Orient, Chine et Inde), parce que ces dernières devenant « stratégiques » et que le rapport de force s’inversait.
Retrouvez Chloé Ascencio sur son site
http://www.managementchine.blogspot.com
et sur son blog
http://www.solutionschine.blogspot.com
A lire aussi : La Chine nie tout néocolonialisme en Afrique
- Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires
Envoyez cette page à un ami
ART2007 a écrit
Je pense que le problème est bien loin du simple fait économique….A mon avis la Chine a intérêt à former ses ouvriers expatriés à la culture du pays d’accueil. Il me semble que l’erreur fondamentale est celle d’envoyer des Chinois en pays conquis. Les Africains sont extrêmement accueillants, mais ils n’aiment pas cette forme de néocolonialisme.
En ce qui concerne, je vous cite « Les Africains s’aperçoivent que parfois le « deal » n’est pas « fair » quand les hôpitaux se fissurent dès leur inauguration et que le goudron des routes est si fin qu’il ne résiste pas aux premières pluies.
Le problème est le même en Chine, certes on sait construire rapidement, mais la maintenance laisse à désirer, je le vois tous les jours dans la résidence où j’habite….on laisse se dégrader et dans quelques temps on rasera pour reconstruire…. C’est un gaspillage monstre !
ART2007
benjieming a écrit
Et ne pensez vous pas qu’on peut parler de néocolonialisme en termes économiques?
Chloé Ascencio a écrit
Bonsoir,
je ne pense pas du tout qu’il s’agisse de « néocolonialisme » car le gouvernement chinois n’a pas la volonté d’occuper le territoire chinois. Il s’agit pour moi de business à la chinoise (un pur rapport de force non rééquilibré par la loi) tout comme au Sichuan en 2008 quand les écoles se sont effondrées car le ciment contenait trop de sable.
Jean a écrit
Le business a-t-il été un jour quelque part autre chose qu’un rapport de forces ? Le « win-win » ne sert en général qu’à se renforcer face à un autre. La loi du marché, supérieure à toute autre dans bien des cas, se résume bien à la loi de la jungle.
Je ne crois pas que les Africains soient allé faire des affaires avec les Chinois par gout ou par plaisir.
J’ai connu un exemple très simple d’installation d’usine pharmaceutique. La partie camerounaise préférait travailler avec la France, mais c’était 5 à 10 fois plus cher et ils ont finit par découvrir que leur partenaires français faisait fabriquer les équipements en Chine pour leur revendre ! Pareil pour les matières premières. Alors n’ayant plus les moyens de se faire arnaquer par les Français, ils sont allés se faire arnaquer par les Chinois. Ça prend un peu plus de temps mais c’est moins cher…
ART2007 a écrit
Merci Jean et chapeau pour ce commentaire que je partage totalement. L’exemple de cette usine pharmaceutique au Cameroun est révélateur des rapports France-Afrique et Chine-Afrique et cela dans beaucoup de domaines malheureusement. Et le cocu dans tout cela ????
ART2007
michel a écrit
sur la photo remplacez les africains par des tibetains et vous aurez l’image de ce que prétend vendre la chine en terme de propagande.
M
Jean a écrit
Oui, enfin en les remplaçant par des Hans aussi !
C’est l’image type de la propagande telle qu’on la trouve partout en Chine.
Avec une différence récurrente ; sur la très grande majorité des affiches de propagande chinoise, le bébé ou l’enfant est ostensiblement une fille.
il faut voir ces affiches sur place pour comprendre à quoi elles pourraient servir si elles avaient une quelconque efficacité. Ce qui est parfois le cas d’ailleurs.
L’affiche la plus efficace que j’ai vue était simplement une très grande photo d’un immense paysage de pâtures, verte, aux doux reliefs. Comme il n’en existe peut-être pas en Chine d’ailleurs. Et j’avoue l’avoir contemplé quelques secondes. Après une semaine passée dans les montagnes et les villages dévastées par le séisme du 5 12 à Yinxiu, je l’ai trouvé réconfortante, rassurante, déstressant.
Il y a aussi, à l’entrée de l’hôpital de mon patelin, une affiche passionnante, presque une bande dessinée, qui dénonce de façon claire les différents modes de corruption. Bien sûr, on pourrait trouver plus efficace de mettre tout le monde en prison, mais dénoncer publiquement ces pratiques et les désigner comme illégales à leurs victimes potentielles, c’est un début, non ?
ART2007 a écrit
Concernant la corruption, je ne suis pas aussi optimiste que vous cher ami…Il n’y a guère qu’à Chongqing où l’admirable Bo Xilai fait une guerre sans merci contre la corruption… J’ai vu de mes propres yeux des médecins d’hôpitaux qui reçoivent des dessous de table pour mieux soigner des patients, alors que c’est leur boulot, j’ai vu sur des murs affichés des numéros de téléphone pour obtenir soi-disant des diplômes authentiques, des gens dans la rue vous distribuer des cartes publicitaires pour vous fabriquer de véritables factures pour vous faire rembourser etc….
Il y a beaucoup de travail encore et un seul Bo Xilai…Dommage car la Chine est un merveilleux pays et je le dis avec sincérité.
ART2007
Jean a écrit
Je ne suis ni optimiste ni pessimiste concernant la corruption. Je me contente d’observer. C’est un objet intéressant. Je dirais même subtil.
J’ai connu un ingénieur en France à qui des ouvriers ont offett une poule, ou un lapin. Un peu comme on offre un cierge à la madone ou qu’on pose par ici une offrande devant un bouddha. Donner un dessous de table à un médecin pour être mieux soigné répond au même principe. Même si ça n’apporte aucune garantie, ça donne l’impression d’avoir mis toutes les chances de son coté. Un genre de paris pascalien à la chinoise…
Face à ce rapport quasi superstitieux à cette corruption-là, ces campagnes d’affichages me semblent être un bon usage de la propagande, ou tout au moins une tentative louable.
Mais je suis d’accord que ça reste un traitement homéopathique du problème. De même, les décennies de campagnes d’affichage du planning familial n’ont pas suffit à inverser l’a-priori sur la supériorité du garçon sur la fille.
mp11374 a écrit
Chloé à écrit: « je ne pense pas du tout qu’il s’agisse de « néocolonialisme » car le gouvernement chinois n’a pas la volonté d’occuper le territoire chinois ».
Il occupe le territoire africain et tibétain, non ?
La plus grande des misères est de se sentir misérable [proverbe tibétain]