Les multinationales doivent-elles s’engager politiquement ? Mc Donald’s a tranché et propose un menu spécial pour les 60 ans de règne du Parti Communiste en Chine.

Ces jours-ci, c’est la fête chez Mc Donald’s en Chine. Les publicités pour le jouet du moment dans le menu enfant et la décoration montrant des Occidentaux souriants sont toujours là. Mais en plus, les clients peuvent bénéficier d’une offre spéciale: pour 20 yuans, soit 2 euros, ils ont droit à un menu avec un burger au poulet épicé ou au porc. L’offre n’est pas révolutionnaire, le menu Big Mac est à peine plus cher, 22 yuans. Mais c’est pour marquer le coup: les 60 ans de la Chine communiste.
Sur les panneaux publicitaires, des photos des fiertés de la Chine: la Grande muraille, l’entrée de la Cité Interdite avec des étoiles jaunes sur fond rouge, le stade des Jeux de Pékin et la fusée Shenzhou 7, qui permit à un taïkonaute d’effectuer sa première sortie dans l’espace. Sur chacun d’entre eux, un message: « 60 – gloire de la Chine » . Et en dessous, le slogan de Mc Donald’s un peu adapté à l’occasion: « J’aime ça, la fierté de la Chine ».
En termes de marketing, cela semble fonctionner. Le manager d’un Mc Donald’s du centre de la capitale explique même que l’opération a été interrompue dans son restaurant après épuisement des cartes souvenir distribuées avec le menu.
I’m loving it…quand la Chine gagne
Un succès qui ne doit pas étonner le géant américain du hamburger, qui a déjà testé l’exaltation du sentiment national comme argument de vente en Chine. A la veille des Jeux Olympiques de 2008, il avait troqué son slogan mondial « I’m loving it » pour le plus parlant « I love it when China wins ».
Le chiffre 60 sur les affiches apporte une précision utile: ce ne sont pas les réussites du peuple chinois en général que Mc Donald’s célèbre. C’est bien l’anniversaire de la proclamation par Mao Tzedong, le 1er octobre 1949, d’un régime socialiste. Pas le moindre des paradoxes pour un emblème du capitalisme américain.
Il n’est donc pas rancunier ce Ronald Mc Donald. Il n’était pas le bienvenu en Chine pendant 40 des 60 années de la République Populaire. Il n’a pas pu partager avec le peuple de Chine les famines du « Grand Bond en avant » et les absurdités de la « Révolution culturelle ». Ce n’est qu’en 1990 que le premier fast-food de la chaîne a ouvert ses portes en Chine, à Shenzhen, emblème des réformes économiques.
Certes, le numéro un mondial du burger n’est pas le seul à utiliser le nationalisme dans ses plans marketing.
Surfant sur la ferveur populaire qui s’était emparée de la Chine avant les J.O., Adidas avait pour la première fois décidé d’opter pour une campagne de publicité propre à la Chine au lieu de ses habituelles campagnes internationales lors de grands événements sportifs. Sur des affiches placardées sur tous les grands axes de Pékin, la masse populaire chinoise, en noir et blanc, portait des athlètes chinois, en rouge, jusqu’à la victoire. Des spots étaient diffusés en boucle sur les écrans de télévision.
A la même occasion, Pepsi avait changé pour un temps ses emballages du bleu au rouge et montré dans ses pubs un jeune Chinois hurlant « Allez la Chine ».
En jouant la carte du nationalisme, ces multinationales espèrent gagner le coeur du consommateur chinois et, in fine, son portefeuille. Elles font le pari que s’associer aux événements symbolisant la grandeur de la Chine transformera le geste d’achat en une démarche patriotique.
« Nous voulons goûter la marque occidentale »
Or les consommateurs chinois savent pour la plupart que Mc Donald’s est américain.
Dans une interview à la presse chinoise, le président Chine de Mc Donalds, Jeffrey Schwartz le notait lui-même l’an dernier:
« Nous faisons des études de groupe avancées des consommateurs chinois et l’une des choses que les consommateurs chinois répètent c’est « nous venons vers vous parce que vous êtes une marque occidentale, si nous voulons du riz ou du congee (bouillie à base de riz, ndlr), nous pouvons manger à la maison ou au restaurant chinois, nous voulons goûter la marque occidentale » ».
Dans l’esprit des Chinois, Mc Do est donc bien un fast-food américain. Seuls 8% des consommateurs chinois estiment que Mc Donald’s est une enseigne chinoise, alors qu’ils sont 27% à penser que Coca-Cola est une marque locale, selon une étude réalisée par un cabinet américain. Quant à Pepsi, 41% des personnes interrogées pensent qu’il s’agit d’un soda chinois
Le consommateur, acteur politique
Outre la question morale – revient-il à Mc Do de célébrer les 60 ans de règne du parti unique -, la stratégie semble douteuse à terme.
Le jeu est dangereux pour Mc Donald’s. Pousser le consommateur chinois à politiser sa décision d’achat, c’est aiguiser une lame à double tranchant. Le jour où, porté par un nationalisme soigneusement cultivé, il voudra protester contre une quelconque politique américaine, il pourra le faire en refusant d’acheter un produit emblématique de la culture américaine, par exemple un Big Mac.
Carrefour, présent en Chine depuis 1995, en a fait l’expérience lors de la brouille franco-chinoise. Certains de ses clients l’ont menacé de boycott, du simple fait de son identité d’origine. Pour se rattraper, la chaîne d’hypermarchés avait vêtu ses employés tout de rouge.