Dans un livre à paraître, le patron de Google, Eric Schmidt, s’en prend violemment à la Chine, qualifiée de « superpuissance la plus dangereuse au monde »

Le hasard fait que les extraits de ce livre sortent alors que des hackers chinois sont accusés d’intrusions dans les systèmes informatiques des grands médias américains, et que Twitter a annoncé que les données de 250 000 détenteurs de comptes ont été piratées, se bornant à constater qu’il ne « s’agit pas d’un travail d’amateurs ».
Google et la Chine, c’est une longue histoire, faite de compromis, puis de ruptures lorsque la firme américaine a fermé son moteur de recherche – censuré – en Chine continentale, pour le relocaliser à Hong Kong, zone autonome.
La cybercriminalité, un « avantage compétitif »
Mais Eric Schmidt va plus loin, dans une posture inhabituelle de la part d’un patron de multinationale dont les intérêts sont par définition globaux : dans les extraits publiés par le Wall Street Journal, le président exécutif de Google accuse Pékin :
– d’être le plus grand censeur d’Internet au monde
– de pratiquer le hacking le plus important et le plus sophistiqué d’entreprises au monde
– de considérer que la cybercriminalité lui donne un avantage compétitif sur le plan économique
Eric Schmidt ajoute : « le décalage entre les entreprises chinoises et américaines et leurs tactiques placent aussi bien le gouvernement que les entreprises américaines dans une situation de désavantage clair [car] les Etats-Unis ne vont pas prendre le même chemin du cyberespionnage industriel, du fait de lois plus strictes (et mieux respectées) et parce qu’une telle concurrence illégale viole le principe américain de fair play ».
Le patron de Google ajoute qu’il ne pense pas que les Etats-Unis soient des « anges », citant notamment le virus informatique Stuxnet utilisé par les Américains (et les Israéliens) contre le programme nucléaire iranien, des cas de cyberespionnage, ou encore la vente de matériel de surveillance électronique américain à des régimes autoritaires.
Attention aux chinois Huawei et ZTE
Eric Schmidt met également en garde contre les fournisseurs de technologie chinois, comme Huawei, équipementier télécom devenu l’un des plus gros au monde.
Pour les auteurs, la fourniture de technologie permet la création de « sphères d’influence ». « Quand Huawei gagne des parts de marché, l’influence et l’accès de la Chine augmentent en même temps. »
Huawei et l’autre équipementier chinois, ZTE, sont régulièrement au cœur des inquiétudes des responsables de pays occidentaux, qui redoutent la dépendance de leurs systèmes de communication vis-à-vis d’une entreprise que l’on dit étroitement liée au complexe militaro-industriel chinois.
En France, c’est le sénateur Jean-Marie Bockel qui, il y a quelques mois, avait publié un rapport qui allait jusqu’à envisager d’interdire sur le sol français ces deux entreprises chinoises pour des raisons de sécurité.
Le livre dont les extraits viennent de sortir s’intitule « The New Digital Age » (le nouvel age numérique), et il sera cosigné par Eric Schmidt avec Jared Cohen, un petit génie de 31 ans, qui a notamment été le conseiller d’Hillary Clinton au Département d’Etat. Jared Cohen a été recruté par Google pour diriger un département intitulé « Google ideas », un think tank maison.
Ajoutant du crédit aux accusations des dirigeants de Google, les attaques pleuvent contre les hackers chinois ces derniers jours, après les intrusions dans les systèmes du New York Times, du Wall Street Journal et de Bloomberg, trois médias américains qui ont publié ces derniers mois des informations embarrassantes pour les dirigeants chinois, y compris de possibles affaires de corruption.
La guerre froide numérique
La Chine a été clairement montrée du doigt dans ces trois affaires, mais pas directement dans la « brèche » dont a été victime Twitter, l’une des plus importantes de sa courte histoire – 250 000 comptes ont donc vu leurs mots de passe et l’identité des détenteurs copiés.
Pour des raisons commerciales ou dans les rivalités de grandes puissances au XXIe siècle, le contrôle de la technologie, la capacité d’espionner ou d’empêcher l’espionnage, et plus globalement la capacité de nuisance numérique d’un Etat sont en train de devenir des atouts-clés.
Les péripéties de l’actualité comme le cri d’alarme lancé par les patrons de l’une des plus importantes entreprises numériques au monde font de la Chine l’un des pays-clés de ce nouveau monde. La guerre froide du XXIe siècle sera numérique ou ne sera pas : à lire Eric Schmidt, elle sera.
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« une telle concurrence illégale viole le principe américain de fair play «
Celle-là, il faut l’accrocher au mur !
Parler de fair play quand on a fixé les règles du jeu et qu’on a pratiquement toutes les cartes en main… Mince, voilà-t-il pas que d’aucuns trouveraient le moyen de jouer quand même pour eux !
Sinon, à bien y lire, les propos de Mr Schmidt sont plutôt factuels et équilibrés.
Il s’abstient notamment de dire ce que le titre dit. Titre proprement irrationnel.
Pendant des siècles, les pays occidentaux ont eu un avantage clair grâce à la colonisation avec les pillages, esclavages etc
Donc se plaindre que la Chine fait cela alors qu’elle a subi, comme tant d’autres, pendant des siècles la domination occidentale, c’est vraiment se foutre de la gueule du monde.
@giap
C’est vrai quoi! Les chinois ne devraient surtout pas faire mieux que les occidentaux!
Faut qu’ils restent toujours moins innovants, juste bon à copier ce que font (ou ont fait) les occidentaux… Sinon ils pourraient aussi devenir des leaders intellectuels et philosophiques…
Je crois que vous n’avez pas saisi mon 1er commentaire.
Lem, pour faire mieux que les occidentaux, il faudrait avoir les moyens des occidentaux. Pour l’instant, le rapport poids/puissance de la Chine est à peu près le quart de celui de la France et le sixième de celui des USA. (et je ne parle pas de celui de Google qui est une concentration de puissance démesurée).
Ou alors il lui faudrait être géniale et qu’en plus on ne lui mette pas les bâtons dans les roues.
Ton idée est-elle que le système chinois serait propice à la génération d’idées géniales et innovantes que nous regarderions supplanter les nôtres d’un œil bienveillant ?
Je crois surtout que la Chine rame fort et encore pour longtemps à tenter de rattraper son retard en prenant tout ce qu’elle peu et comme elle peu, et que nous condamnons par avances toutes ses tentatives, tous ses écarts à nos normes car nos normes sont conçues pour nous protéger. Enfin quand je dis « nos », c’est plutôt les normes de nos maîtres. Ceux qui grossissent par nous et à qui nous devons dire merci.
En tout cas vue d’où est sorti la Chine (le Grand bon en avant etc) on ne peut que saluer ses efforts et tôt ou tard elle deviendra une véritable grande puissance. Le Japon n’est pas devenu du jour au lendemain ce qu’elle est devenu.
Soyons indulgent avec la Chine et laissons la faire son petit bout de chemin.
@giap
Il me semble qu’un certain nombre de vos commentaires véhiculent des idées reçues assez courantes.
Avantage des pays occidentaux pendant des siècles par la colonisation: de nombreux historiens remettent en cause cette idée. En fait la colonisation semble avoir été très coûteuse…pour les colonisateurs autant que désastreuse pour les colonisés. De plus la Chine était encore à la fin du 18ème siècle le principal producteur de richesses du monde. On ne peut pas dire qu’elle ait subi la domination occidentale « pendant des siècles ». Elle a subi la domination mandchoue pendant des siècles ( c’est d’ailleurs la cause du déclin chinois donnée comme principale par Sun Yatsen et Tchiang Kaishek. Cette explication est d’ailleurs discutable). Je ferai aussi remarquer que c’est le marxisme qui est une idée occidentale. Le retour du confucianisme ou d’un néoconfucianisme teinté d’idées plus « marxeuses » que marxistes est bien le signe du désarroi de civilisation dans lequel baigne la Chine ( à l’exception de la Province de Taiwan, comme on dit dans la langue de bois…)
Le cas du Japon. Eh bien, justement si ! A l’échelle des temps historiques, le Japon est devenu une grande puissance quasiment du jour au lendemain! Plusieurs causes ont été évoquées:
– la structure fortement féodale de la société japonaise liée à la tradition d’obéissance ( alors que la Chine Impériale, n’en déplaise à la vulgate marxiste, n’était justement pas féodale!)
– l’expérience historique de l’assimilation forcée et rapide d’une autre civilisation, à savoir la civilisation chinoise (Anne Cheng a montré le surprenant parallélisme des mots d’ordre politiques à plus de mille ans d’intervalle).
Pour ce qui est de piller la Chine (et bien d’autres pays), reconnaissons que les Mongols ont fait mieux que nous. Quand ils ont pris Bagdad, il n’y a pas eu beaucoup de survivants.
@Jean
Le « fair play ». On ne peut certes pas dire que les « WASP » (white, anglo-saxons and protestant) soient un exemple de fair-play vis-à-vis des populations autochtones du continent nord-américain. Mais la remarque peu s’interpréter d’une autre façon. Les USA jouent effectivement le jeu d’une libre concurrence (loi antitrust, exclusion sans pitié dans les firmes des personnes coupables de népotisme, d’influences illégales…). Cela n’a rien à voir avec une société « gentille » ou « laxiste ». C’est au contraire une société très dure et exigeante. Il en résulte une société très innovatrice. A long terme, c’est sans doute un avantage de poids par rapport à la société chinoise. A discuter, bien sûr…
Comme me le faisait remarquer mon adjoint en Chine il y a quelques années : »Finalement notre civilisation millénaire nous freine dans notre modernisation… » Remarque peut-être un peu simpliste mais qui donne à réfléchir, surtout quand c’est un Chinois qui la fait.
@Helun
+1
Helun, je ne vais pas chercher dans le génocide des indiens d’Amérique. Je voulais juste dire que ceux qui fixent les règles du jeu et imposent à tous de jouer avec devraient perdre au moins un droit : celui de prononcer le mot « fair-play ».
J’imagine bien la société Américaine comme dure et exigente. Par contre je me demande parfois la différence dans les faits entre, par exemple, devoir payer plus pour être bien soigné en Chine à cause de la corruption ou aux USA à cause du libéralisme. C’est un exemple caricature, mais qui illustre bien la question.
Le constat que la civilisation ralentisse la modernisation ne doit peut-être pas être vu que sous l’angle pessimiste. Il y a des évolutions qui méritent un peu d’inertie. Notamment, la modernisation chinoise est une course à l’individualisme. Sur ce plan, un frein n’est pas désastreux. On entend parfois certains chinois parler avec nostalgie des temps impériaux, qu’ils n’ont par ailleurs pas connu et dont il ne connaissent qu’une version idéalisée par la TV.
Et puis on en est tous là, à part aux Amériques, qui n’a pas sa civilisation millénaire ?