Tout ça pour ça. Malgré les avertissements de la communauté internationales, Pyongyang a lancé sa fusée. Et malgré les semaines de tensions dans la région et les dégâts diplomatiques de cette obstination, la fusée aura volé « moins d’une minute »

« Jamais tant de choses n’avaient été mises en danger pour si peu. » La phrase du président de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat américain, John Kerry, résume bien le sentiment de la communauté internationale ce matin.
Lancée à 7h39, la fusée Nord-coréenne qui avait mis l’Asie et le monde en état d’alerte a échoué à sortir dans l’atmosphère et s’est abîmée en mer jaune « moins d’une minute plus tard« . L’information dévoilée par l’armée américaine a rapidement été confirmée par le Japon et la Corée du Sud, et plus tard reconnue par l’agence de presse officielle de Corée du Nord. Dans une dépêche laconique, elle a précisé que les « scientifiques, experts et techniciens du pays enquêtaient sur les causes de l’échec ».
Pétard mouillé
L’engin, désigné par l’armée américaine comme un « missile TaepoDong-2 » s’est abîmé à 165 km au sud de Séoul, et à « aucun moment le missile ou ses débris n’ont constitué une menace« .
Selon NHK, qui cite des officiels japonais, la fusée se serait élevée à 120 kilomètres de haut avant de se séparer en 4 parties et de s’écraser.
Un pétard mouillé, donc, et pourtant, cette petite « crise des missiles » asiatique a montré la stabilité fragile de la région et les limites de la diplomatie internationale à l’égard de la Corée du Nord. Les multiples appels à la raison et avertissements de la communauté internationale n’ont eu aucune prise sur les plans de Pyongyang, qui avait annoncé son projet à la surprise générale le mois dernier.
Ce matin, Séoul appelle à des « réactions fermes » contre cette « provocation« , précisant que le tir avait violé de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Le comité de défense du parlement sud-coréen sera rassemblé en urgence en début d’après-midi, rapporte Yonhap.
La Corée du Sud a déclaré qu’elle était à la recherche de débris, malgré les menaces du Nord, qui a promis des « représailles immédiats et sans mercie », à ceux qui voudraient récupérer des morceaux de sa fusée.
Côté américain, le porte-parole de la Maison Blanche précise que « malgré l’échec, le tir avait menacé la sécurité de la région, violé les lois internationales et contrevenu aux engagements du pays« , faisant référence à l’accord signé entre Pyongyang et Washington le 29 février dernier. Le régime de Kim Jong-un s’était engagé une nouvelle fois à un moratoire sur le nucléaire et sur les essais balistiques en échange de la livraison de 20 000 tonnes de denrées par les Américains. Les premières victimes de l’obstination des leaders nord-coréens pourraient donc être la population du pays, qui traverse depuis plusieurs années une famine grave.
Avant le tir, Hillary Clinton expliquait que le « lancement donnerait du crédit à l’idée selon laquelle les dirigeants nord-coréens voient toutes les améliorations des relations avec le monde extérieur comme une menace pour la survie de leur système”. Ce matin, la Maison Blanche se dit « pas surprise, étant donnée le l’attitude agressive érigé en modèle par la Corée du Nord », et explique que les Etats-Unis resterons « vigilants et pleinement engagés aux côtés de la sécurité de ses alliés dans la région ».
Satellite scientifique ou missile pour le nucléaire ?
Officiellement la fusée n’avait pour but que de mettre en orbite Kwangmyongsong-3, un satellite destiné à étudier la répartition des forêts dans le pays et faire des analyses météorologiques. Les officiels avaient précisé que le peuple nord-coréen faisait « cadeau » du satellite au « Père » vénéré de la nation Kim Il-Sung, dont le pays s’apprête à fêter le 100ème anniversaire de la naissance.
Une explication qui n’avait pas convaincu la communauté internationale. Pour de nombreux pays, le tir est un essai balistique déguisé qui enfreindrait de multiples résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et qui viserait à doter le pays d’un missile intercontinental, capable de transporter une arme nucléaire. Le « véhicule » Unha-3 transportant le satellite Nord-coréen est technologiquement similaire aux missiles TaepoDong, dont la nouvelle génération aurait une portée de 6000 km, couvrant l’Alaska et une grande partie de l’Asie.
Cette accusation a été crédibilisée par les spécialistes, qui ont noté que la trajectoire de la fusée ne correspondait pas aux ambitions scientifiques annoncées. Mais c’est surtout le passif de la Corée du Nord qui fait douter les nombreux « ennemis » du régime. Outre de fréquentes infractions à ses obligations internationales, Pyongyang avait procédé à un tir similaire en 2009. Les observateurs avaient conclu qu’aucun objet n’avait été mis en orbite, et le conseil de sécurité de l’ONU s’était réuni pour condamner l’essai.
L’Asie en état d’alerte
Face à cette éventualité, le gouvernement japonais avait mis le pays en alerte. Au large des îles septentrionales d’Okinawa, des destroyers étaient prêts à intercepter la fusée. Dans la capitale japonaise, des missiles Patriot scrutaient le ciel bleu avec déjà un feu vert des autorités pour abattre “tout objet qui pourrait constituer une menace”. En 2009, le tir du “satellite” fantôme avait traversé son territoire, et le gouvernement avait été accusé de laxisme, cette fois, le premier ministre Yoshihiko Noda se disait « prêt à faire face à toute éventualité« .
Même agitation en Corée du Sud, où les services de renseignement ont même fait grossir la menace. Sur la base d’observation satellite de l’activité dans les zones de test et le site d’enrichissement d’uranium de Yongbyon, Séoul a prévenu que le Nord pourrait procéder à un nouvel essai nucléaire une fois le lancement du missile effectué.
Les tensions étaient donc palpables, mais la Corée du Nord est restée déterminée. Dans un rare effort de communication, les autorités avaient convié des délégations de journalistes à se rendre au pas de tir et à assister au lancement depuis une salle de presse de Pyongyang, et avaient même répondu à leurs questions. Fermement : « Les opinions extérieures ne nous intéressent pas vraiment, expliquait Paek Chang-ho, à la tête du centre de contrôle des satellites pour l’agence spatiale nord-coréenne. Il s’agit d’une question cruciale pour le développement de notre économie nationale”
Alors que même la Russie, un des rares pays à recevoir les dirigeants Nord-coréens se montre critique, seule la Chine semble assumer son rôle de protecteur de Pyongyang. Mais Pékin grince des dents. Le pays s’est ”inquiété” officiellement du regain de tension dans la région, multipliant les rendez-vous pour appeler Séoul ou Tokyo à favoriser la diplomatie.
Un échec, donc pour la diplomatie chinoise qui avoue n’avoir que très peu d’influence sur le programme militaire du pays le plus fermé du monde, et essaye d’éviter à tout prix une déstabilisation du régime.
Pyongyang « Humilié »
« Crucial » le lancement l’était aussi pour le régime Nord-coréen. Quelques mois après une succession à la tête de l’Etat et la mise en place d’un leader de moins de 30 ans, les dirigeants comptaient utiliser le lancement comme une arme de propagande à usage interne et externe. D’un côté il s’agissait de prouver au peuple son indépendance vis-à-vis de la communauté internationale et sa capacité de survie dans sa relative autarcie.
Le lancement faisait partie des célébrations du 100ème anniversaire de Kim-il Sung, le 15 avril, à l’occasion du duquel se sont multipliés les évènements glorifiant la dynastie Kim. Kim Jong-Un a été élevé au nouveau rang de « Premier Secrétaire du Parti des Travailleurs, son défunt père Kim Jong-Il à celui de « secrétaire éternel », qui le place aux côtés de Kim Il-sung au panthéon national.
Les télévisions américaines décrivent l’échec comme une « humiliation » pour les dirigeants du Nord.
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