N’allez pas dire à Madame Gao Qinsheng que l’internet est l’ultime vecteur de la liberté d’expression: son fils a été condamné à une peine de dix ans de prison en Chine pour avoir envoyé un simple courriel, et depuis elle met en garde contre les dangers du web.

Le fils de Mme Gao, Shi Tao, 39 ans, a été condamné en Chine en avril 2005 à 10 ans de prison pour diffusion de secrets d’Etat après avoir posté sur l’internet une consigne du gouvernement chinois aux médias leur interdisant de commémorer l’anniversaire de la répression du mouvement pro-démocratique de Tiananmen en 1989.
Il avait renvoyé le message gouvernemental depuis son compte mail sur Yahoo! à une organisation non gouvernementale à l’étranger favorable à des réformes démocratiques en Chine, suscitant la colère de Pékin.
Quand elles ont voulu trouver qui avait fait circuler le document, les autorités chinoises se sont tournées vers les responsables de Yahoo! qui ont promptement fourni les informations permettant de remonter jusqu’à Shi Tao.
Depuis la condamnation de son fils, Mme Gao n’a de cesse de mettre en garde contre les liens étroits entre les groupes internet et le gouvernement et avertit que « tout un chacun peut devenir victime ».
Elle n’accepte pas la défense des responsables de Yahoo! qui assurent avoir été contraints par la législation chinoise de fournir ces informations.
« Le cas de mon fils est un avertissement pour toutes les entreprises qui s’occupent d’internet en Chine. Elles devraient vraiment réfléchir au type de politique qu’elles veulent avoir si elles sont confrontées à ce type de société et de gouvernement qui supprime la liberté sur l’internet », a déclaré Mme Gao à l’AFP.
Quelque 52 personnes sont actuellement détenues dans des prisons chinoises pour s’être exprimées trop librement sur l’internet, selon l’association Reporters sans frontières (RSF).
« Il y a seulement cinq ans, beaucoup de gens pensaient que la société chinoise et la politique seraient métamorphosées par l’internet, un média prétendument incontrôlable », estime RSF.
« Désormais, la Chine ayant une influence géopolitique croissante, les gens se demandent si, au contraire, le modèle chinois de l’internet, basé sur la censure et la surveillance, ne sera pas un jour imposé au reste du monde », ajoute l’association.
Outre la Chine, RSF recense 12 Etats « ennemis de l’internet » qui « violent systématiquement la liberté d’expression en ligne »: l’Egypte, le Bélarus, la Birmanie, Cuba, l’Iran, la Corée du Nord, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Tunisie, le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Vietnam.
Mme Gao a pleuré mardi quand les deux plus hauts dirigeants de Yahoo!, le PDG Jerry Yang et le vice-président Michael Callahan, lui ont publiquement fait leurs excuses pour le rôle de leur entreprise dans l’emprisonnement de son fils.
Les responsables avaient été convoqués devant le Congrès américain où Tom Lantos, le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre, les a invités à « demander pardon » à la mère de Shi Tao, « dont le fils croupit derrière des barreaux notamment à cause de Yahoo! ».
Les deux dirigeants se sont alors simultanément tournés vers Gao Qinsheng, assise juste derrière eux, et ont approuvé de la tête à plusieurs reprises.
Mme Gao, s’exprimant par le biais d’un interprète, a toutefois indiqué peu après: « Ce geste est loin d’être suffisant. Cela m’a rendue très triste et m’a fait penser à mon fils, qui est toujours en prison ».