Interdit et séverement réprimé pendant les années Mao, le commerce de la prostitution est aujourd’hui florissant en Chine, alors qu’il est toujours officiellement illégal. Et la situation n’est pas près de s’arranger. La concurrence est si rude entre les prostituées que les prix ont même tendance à baisser.
Au salon de coiffure de la rue Andingmen à Pékin, il n’est pas question pour Xiaoyan de prononcer le nom de prostituée : elle est officiellement coiffeuse.
Coiffeuse pour ses clients, pour les voisins mais en définitive elle n’exerce ce métier qu’aux yeux de ses parents et de ses deux enfants restés dans le sud de la Chine.
Xiaoyan n’a pas de nom anglais comme c’est souvent le cas. À 34 ans elle est déjà trop vieille pour la profession : » Ce sont les habitants du quartier et parfois quelques passants qui viennent ici. Les riches ne viennent jamais. Regardez cette boutique, elle est simple. Les riches préfèrent aller dans des hôtels de luxe. Ils ne mettent pas les pieds chez moi » se désole-t-elle, trahissant, dans son emportement, la vitrine.
Deux pâtés de maisons plus loin, le vendeur de DVD la connait bien. Il sait exactement le nombre de boutiques de coiffure qu’il y a dans chaque ruelle. « S’il y a plus de deux ou trois filles, vous pouvez être sûr que ce n’est pas la peine d’y aller pour se faire couper les cheveux! ». Il est en effet monnaie courante de trouver de faux salons de coiffure en Chine qui sont en réalité de sordides boutiques à filles.
Les vêtements de Xiaoyan ne laissent pas apparaitre un seul grain de chair, son t-shirt ras du cou et son large pantalon noir en disent long sur son inactivité. « Il m’est arrivé d’avoir 3 ou 4 clients par jour mais c’est un grand maximum. La plupart du temps, je n’ai qu’un client. En ce moment c’est vide, personne n’est venu depuis deux jours ».
Dans son salon, les trois autres jeunes filles, âgées d’une vingtaine d’années, semblent lui rafler la maigre mise dont les prostituées des salons de coiffure disposent.
Les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à venir des provinces pour rejoindre la capitale. Autrefois interdit par les communistes, elles connaissent une sorte de réhabilitation qui n’a rien de légal mais qui ne saurait exister sans un accord tacite avec les pouvoirs de police.
« Il y a 25 ans la prostitution n’avait pas pignon sur rue » explique Jing Jun, sociologue et professeur à l’université de Qinghua, au Washington Post. « Il y a 50 ans, on ne trouvait pas de filles dans les banlieues ou dans les villes. Mais maintenant, elles sont partout et dans toutes les provinces ».
Le nombre de prostituées en Chine varierait de un million, pour celles qui tirent l’essentiel de leurs revenus du sexe, jusqu’à 8 à 10 millions si on comptabilise celles qui reçoivent ponctuellement de l’argent ou des cadeaux en échange de rapports sexuels. Un économiste chinois, Yang Fan, indique pour sa part qu’il les considère aux alentours de 20 millions, rapportant au pays 6% de son produit intérieur brut.
La concurrence au sein même des mégapoles chinoises est vertigineuse car les plus jeunes sont les plus recherchées. « Pour moi c’est 5 euros par client » se laisse aller à dire Xiaoyan, « c’est le prix de base mais parfois c’est beaucoup moins ».
« Je vieillis » dit une prostituée de 22 ans au Washington Post, « plus les tarifs baissent, plus les clients sont nombreux. Avant j’avais deux clients par jour en moyenne, maintenant je suis contrainte d’en faire quatre pour avoir la même somme. Je travaille juste plus dur ».
Certains experts entrevoient à la source de cette explosion, une perte des valeurs morales traditionnelles chinoises devant l’argent facile et la boulimie de la consommation. La critique n’incombe pourtant pas qu’aux seules prostituées et pourrait facilement s’étendre à l’ensemble de la société chinoise.
« Elles sont parfaitement morales « explique Jing au Washington Post, « beaucoup de ces femmes envoient la moitié de leurs revenus à leur famille, elles ont sans doute plus de piété filiale que moi-même ».
Les sociologues et les professionnels de la santé s’accordent pour dire que cette inflation n’est pas nécessairement liée à une perte des valeurs morales mais bien à un manque d’opportunités, d’éducation et d’offres d’emplois.
Xiaoyan sait à peine lire et ne reconnait qu’un millier de caractères. « J’ai suivi une amie de mon village qui m’a dit qu’il y avait du travail à Pékin. Avant cela, je suis partie, très jeune, dans beaucoup de provinces. À 15 ans, j’étais porteuse. Je suis passée par des moments vraiment difficiles. Aujourd’hui je gagne 50 à 60 euros en moyenne. J’envoie tous les mois 30 euros à mes enfants pour leur éducation. Mais je ne gagne pas assez pour donner de l’argent à mes parents » dit-elle avec regret.
À ces conditions sociales difficiles s’ajoutent l’absence de connaissances en matière de santé et de protection contre les maladies.
L’augmentation du commerce sexuel accroit les risques d’infections face à une demande qui possède dorénavant le luxe d’être exigeante.
Beaucoup d’entre elles n’ont pas les revenus nécessaires pour utiliser systématiquement des préservatifs et Xiaoyan avoue qu’elle n’est jamais allée consulter un gynécologue.
« Parmi les prostituées ayant contracté le virus du sida, 60% d’entre elles ont plus de 35 ans. Plus vous réduisez les prix et la qualité des lieux de travail, plus l’usage du préservatif est faible » déplore Jing.
Les campagnes d’informations sur la maladie sont en Chine pauvres et inappropriées laissant les clients eux-même souvent inconscients des risques qu’ils encourent.
À l’aube des Jeux Olympiques, le tabou du sexe qui règne dans les consciences et la volonté de donner une jolie façade à la capitale, pourrait mener les autorités à tenter une éradication, de surface, de la prostitution.