Les élections présidentielles et législatives de samedi s’annoncent serrées à Taïwan. La campagne, passionnante, a été dominée par la question des relations avec la Chine. L’avenir des relations entre Pékin et Washington pourrait dépendre du vote.

Bus décorés aux couleurs des candidats, murs tapissés d’affiches, émissions spéciales quotidiennes… La campagne électorale a mis la petite République de Chine en ébullition ces dernières semaines : samedi, Taïwan élira son président et renouvellera son parlement.
Indépendant de fait, Taïwan n’est reconnu que par une minorité d’Etats et siège dans les organisations internationales seulement en tant qu’observateur. Une relative faiblesse due à la pression diplomatique exercée par la Chine Populaire, qui la considère comme une de ses provinces. Cela n’a pas empêché l’île de connaître un développement économique remarquable depuis que les forces nationalistes chinoises s’y sont repliées en 1949. Cela ne l’a empêché non plus de devenir une démocratie très active avec la fin de la dictature, en 1994.
La campagne électorale, lancée depuis plusieurs mois, a montré des électeurs très impliqués et un débat fiévreux. L’île connaît les même enjeux politiques que les démocraties occidentales : mal logement, fracture sociale, problèmes environnementaux, et compétitivité économique… Mais quand les électeurs se rendront aux urnes, samedi, c’est une question spécifiquement taïwanaise qui dominera leur choix : faut-il accélérer, ralentir ou stopper le rapprochement avec la Chine ?
Le voisin dans le viseur
Plus qu’un thème de campagne, la question des relations avec la Chine rejoint le débat existentiel pour la petite république, et fonde aujourd’hui le clivage politique.
D’un côté le président sortant Ma Ying-jeou, élu sous les couleurs du parti nationaliste Kuomingtang et de sa coalition bleue. Son mandat a été marqué par un rapprochement sans précédent avec le voisin chinois et par une rhétorique « Grande Chine », qui pave le chemin de la réunification. Ouverture de vols directs, arrivée massive de touristes continentaux, échange d’étudiants ou de pandas… c’est surtout les accords économiques ECFA qui ont scellé cette détente. Signés en 2010, ils ont permis l’abaissement des barrières commerciales, avec pour résultat un accroissement de plus de 36% des échanges dans le détroit de Formose en un an, mais aussi une plus grande dépendance de l’île au géant chinois.
Face à lui, distancée d’une très courte tête dans les sondages, Tsai Ing-wen, qui mène le Parti Démocrate Progressiste (PDP) et sa coalition verte. Cette juriste appréciée par l’électorat populaire défend une politique indépendantiste, plus vigilante à l’égard de Pékin, dont l’influence croissante est perçue comme un défi à la souveraineté de Taipei. Au parlement, son camp a mené un combat acharné contre ces accords ECFA, que l’on accuse de « vendre Taïwan à Pékin ».
Quant à James Soong, du Parti du Peuple (PFP), qui se veut le champion de la réunification, il ne pèse pas lourd face à ses deux concurrents. Comme en 2000, il pourrait toutefois jouer les trouble-fête dans une élection serrée, en volant des voix au Kuomingtang, dont il est issu.
Pékin brandit l’arme économique
La Chine se montre bien sûr très attentive au résultat du scrutin, qui guidera les relations inter-détroit dans les quatre prochaines années. Même si Pékin a très peu commenté une élection illégitime à ses yeux, aucun doute ne plane sur son soutien aux nationalistes de Ma Ying-jeou.
Une victoire de Tsai causerait « inévitablement une menace sur le développement pacifique de nos relations », a prévenu récemment le porte-parole du Bureau des Affaires Taïwanaise, à Pékin.
La diplomatie musclée du voisin chinois n’a jamais fait peur aux électeurs taïwanais, mais l’arme économique qu’il brandit aujourd’hui pourrait les faire réfléchir. La Chine est le premier partenaire commercial de Taipei, et les 145 milliards de dollars d’échanges annuels représentent beaucoup d’emplois sur l’île.
Les milieux économiques soutiennent largement le président sortant, et ont relayé les menaces implicites de Pékin. Donglas Hsu, le président du groupe Far Eastern, a récemment appelé à voter « pour le candidat faisant peser le moins de risques sur les relations entre les deux rives du détroit ». D’autres se sont adressés directement à leurs employés pour les mettre en garde sur les conséquence d’une victoire démocrate.
Cette pression a été particulièrement forte pour les 200 000 Taïwanais qui travaillent en Chine. Souvent employés par des compagnies insulaires comme Foxconn, ils ont été rapatriés aux frais de l’entreprise pour pouvoir participer au vote : les enjeux financiers sont immenses et toutes les voix comptent.
Ma, poulain commun de Washington et Pékin
Les États-Unis, de leur côté, tentent de préserver leur influence sur l’île, mais soutiennent eux aussi le camp des bleus. Les relations entre les deux premières puissances mondiales sont devenues trop capitales pour être brouillées par la turbulence de Taïwan. Washington veut éviter les conflits diplomatiques qu’avait connus le détroit sous la présidence de Chen Shui-bian, entre 2000 et 2008, et agit dans l’ombre pour discréditer sa successeur à la tête du Parti Démocrate Progressiste.
Tsai Ing-wen tient étonnamment bien la barre face à ces pressions internationales. Pour elle, les grands groupes taïwanais sont trop dépendants de Pékin pour être objectifs, et les électeurs doivent décider eux-mêmes de l’avenir des relations inter-détroit. Elle explique qu’en cas de victoire, les « bleus » seraient redevables à leurs soutiens au détriment des salariés et de la souveraineté de l’île.
La championne des « verts » note que Pékin n’aurait pas intérêt à bloquer les échanges commerciaux en cas de victoire de sa coalition, et que son programme prend en compte la nécessité des relations avec le frère ennemi. Taïwan doit prendre le chemin de l’indépendance, et se concentrer sur ses problèmes sociaux, que le gouvernement voudrait faire oublier dans des débats internationaux, explique-t-elle.
Il n’en reste pas moins que les enjeux du vote de samedi dépassent les côtes de l’île de Formose, et pourraient influencer l’avenir des relations entre la Chine et les États-Unis. Mais là n’est pas le souci des Taïwanais, explique un politologue de Taipei au New Strait Times : « les seules questions qui encadrent ces élections, c’est qui sommes-nous et que voulons-nous être ».
Retrouvez les résultats du vote dès samedi sur Aujourd’hui la Chine.
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