A quoi la nouvelle tour de la CCTV fait-elle penser ? Les internautes chinois ont tranché et certains en veulent désormais à son architecte néerlandais.

La télévision d’état chinoise n’a toujours pas investi ses nouveaux locaux, une tour au design particulièrement innovant, mais le bâtiment fait parler de lui à Pékin. Après qu’un gigantesque incendie a ravagé un immeuble annexe du complexe lors du Nouvel an chinois, c’est cette fois-ci le bâtimet principal qui est l’objet des débats.
Le design de la tour ne laisse pas les Pékinois indifférents. Aux yeux de certains, elle évoque un pantalon, alors que pour d’autres, elle rappelle des postures érotiques. Ainsi, 47% des personnes ayant répondu à un sondage en ligne sur le site huanqiu.com pensent qu’il y a une inspiration pornographique derrière cette architecture réalisée par le cabinet néerlandais de Rem Koolhaas et se disent « très mécontentes ». Certains commentateurs y voient même une offense préméditée d’un architecte étranger face à la Chine. 35% des sondés sur internet estiment qu’il est possible que l’inspiration ait été érotique mais qu’ils s’en moquent éperdumment.
Le fait qu’un étranger a réalisé un tel bâtiment suscite d’autant plus d’émotions. De son côté, Wu Yikang, directeur du Centre d’études européennes de Shanghai appelle à ne pas politiser les débats touchant aux questions artistiques. « Si Koolhaas veut humilier la Chine, il s’humilie lui-même » ajoute-t-il toutefois.
L’artiste designer Ai Wei Wei, un ami de Rem Koolhaas, ne voit franchement pas l’artiste s’inspirer de l’érotisme pour construire un tel bâtiment. « Nous avons beaucoup parlé de sa philosophie du design, je suis certain qu’il n’a pas été inspiré par des parties génitales » expliquait-il récemment au quotidien anglophone China Daily.
Pour tenter de mettre un terme au débat, le cabinet de Rem Koolhaas a publié un communiqué sur son site internet. « Le glorieux bâtiment de la CCTV est le symbole de l’ordre du monde en changement perpétuel, et c’est exactement le but de notre design » explique-t-il.
La controverse est nourrie par un livre à la publication duquel Rem Koolhaas a lui-même a participé. Publié il y a 6 ans, « Content. Perverted Architecture » n’aurait pas refait surface sans l’intervention de Xiao Mo, lui aussi architecte. « Le modèle en 3D que l’on voit du siège de la CCTV est en fait un derrière géant qui grossit à mesure que vous vous approchez » a-t-il expliqué dans un commentaire publié sur internet. Sur ces photomontages, le bâtiment de la CCTV est en arrière plan. Sur l’une d’elles, une femme est agenouillée au premier plan selon la forme du bâtiment. Sur l’autre, c’est une femme en bikini tenant un revolver et regardant le lecteur. Dans le communiqué publié sur le site web de son cabinet, Rem Koolhaas dément avoir produit lui-même les photomontages.
Depuis, la polémique s’est répandue. Les passants cherchent à quoi leur fait penser cette tour, censée pourtant être l’incarnation de la télévision d’état. De toute évidence à un pantalon, d’où son surnom « The pants ». Mais elle évoque également la partie inférieure du corps d’une personne assise sur des toilettes et ayant son pantalon à ses pieds aux yeux d’autres. Dans les couloirs des locaux de la CCTV – qui n’a pas encore investi son nouveau siège – on évoque également le déménagement à venir. Le fait que la direction de la télévision d’état devra, pour être au plus proche de tous les services, se trouver dans l’entrejambe du « pantalon » prête notamment à sourire.
Le débat s’étend plus largement à l’architecture parfois très inspirée des nouveaux bâtiments qui poussent comme des champignons dans les métropoles chinoises et sur le fait que les plus spectaculaires d’entre eux, dont le siège de la CCTV, ont été pensés à l’étranger. Les villes de Chine sont en effet devenues le nouvel Eldorado des architectes internationaux qui peuvent y laisser libre cours à leur imagination.
Paradoxalement en effet, les symboles de la Chine d’aujourd’hui et de demain sont pour la plupart conçus par des étrangers, qu’il s’agisse des hauts lieux de la capitale politique ou des tours de Shanghai. Ainsi, le Nid d’Oiseau, stade emblématique de la fierté retrouvée par la Chine grâce à l’olympisme est le fruit de l’imagination du cabinet suisse Herzog et Meuron. Le gigantesque terminal 3 de l’aéroport de Pékin a été dessiné par le cabinet du britannique Norman Foster. Le grandiose Opéra de Pékin est lui issu des plans du français Paul Andreu. Quant aux emblèmes de la réussite économique du pays, les tours Jinmao et World Financial Center de Shanghai, elles ont respectivement été pensées par les cabinets américains Skidmore, Owings et Merrill et Kohn Pedersen Fox. Presque à chaque fois, le même scénario se répète: des architectes chinois entrent dans la course mais ils sont écartés au profit de cabinets de renommée internationale.
Certains voient le fait que la Chine soit devenue le laboratoire des architectes internationaux d’un mauvais oeil, surtout lorsque les projets sont originaux. Dans les colonnes du quotidien anglophone Global Times, Zhu Zixuan, professeur d’architecture à la très réputée Université Tsinghua de Pékin s’insurge contre la mode du « design étranger ».
M. Zhu souligne qu’un bâtiment quel qu’il soit doit avant tout être pratique, économique et esthétique. Puis il poursuit: « Je n’ai rien trouvé de tout cela dans le bâtiment du siège de la CCTV », avant d’ajouter qu’il a l’air instable, effroyable, et qu’il est un gaspillage d’argent, des quantités importantes de métal ayant été nécessaires pour assurer sa stabilité.
Demandeuse de projets pharaoniques incarnant sa grandeur retrouvée, la Chine est souvent séduite par les propositions de cabinets étrangers ayant accumulé une plus grande expérience dans le gargantuesque que leurs confrères chinois. Avec une main d’oeuvre à moindre coût, les investisseurs disposent des budgets permettant de s’offrir de tels architectes. Ces derniers sont en retour contents de voir leurs projets insolites achevés parfois en à peine 3 ou 4 ans grâce à des chantiers tournant 24h/24, comme ce fût le cas pour la tour de la CCTV.
Si l’installation de la télévision d’état a pris du retard après l’incendie du Nouvel an, la tour s’est, elle, insérée dans le chaos urbain de la capitale chinoise. L’architecte Xiao Mo estime désormais que la tour est devenue un symbole dans la capitale et qu’il faut lui laisser passer l’épreuve du temps. Si elle ne fait pas encore l’unanimité, elle ne laisse personne indifférent, comme l’Opéra de Sydney ou la Tour EIffel à l’époque de leur construction.