C’est un extraordinaire face-à-face entre un blogueur chinois et un policier qui l’avait convoqué pour l’interroger sur ses écrits. Autrefois, le blogueur aurait été réduit au silence : aujourd’hui, il se permet de rapporter sur son blog son entretien avec le policier, et même si ses deux notes de blog ont été retirées de la toile chinoise, elles continuent de circuler en ligne en Chine.

La note initiale du blogueur A Bad Friend, un étudiant, représente une critique sévère de l’Expo universelle de Shanghai, que nous reproduisons par ailleurs. Une note qui contredit la requête du Bureau de la propagande qui avait demandé aux journaux et principaux portails Web chinois de publier des informations positives.
La « liste des dix péchés » publiée par A Bad Friend constituait la critique la plus élaborée de l’Expo de la part d’un résident local, et c’est probablement ce qui a motivé l’invitation à « prendre le thé » au commissariat.
« La dernière classe »
Le 11 mai, le blogueur était donc convoqué par la police. L’objectif principal de cet entretien, outre donner un avertissement au blogueur, était de comprendre son raisonnement pour découvrir s’il était la couverture d’un réseau social.
Le blogueur a appelé cette invitation à prendre le thé « la dernière classe ». Nos partenaires de Global Voices Online ont traduit intégralement le dialogue très éclairant entre les deux hommes. Un moment de vérité entre deux visions contraires de la Chine :
La police : où est votre blog ? Qu’avez-vous écrit sur l’Expo ?
Moi [le blogueur] : Sinablog et moi avons écrit sur les dix péchés de l’Expo. Comme je ne suis pas célèbre, je ne suis pas le célèbre blogueur Han Han, c’est pour ça que vous me poursuivez. D’ailleurs Han Han m’influence, j’ai lu plusieurs de ses livres et je l’apprécie beaucoup. Aujourd’hui est un jour malheureux pour moi.
La police : Han Han est Han Han, mais que pensez-vous de l’Expo ?
Je ne suis pas contre l’Expo en tant qu’événement, mais contre sa politisation. L’Expo, comme démonstration de culture et de développement scientifique peut enrichir la Chine. C’est une occasion pour nous de mieux comprendre le monde. Mais il n’est pas nécessaire de la tourner en opération de propagande et de compliquer la vie des gens à ce point. Ce ne devrait pas être organisé comme une mission politique.
L’année dernière, quand Chicago était candidate pour les Jeux olympiques de 2016, il n’y avait pas autant de gens qui soutenaient la municipalité mais la ville ne faisait pas « l’éducation » des habitants ni ne les menaçait pour obtenir leur soutien à sa candidature.
La Shanghai Expo n’a pas suivi les principes et les idées qu’elle soutenait, comme » l’Expo basse en carbone », le « vert », les « efforts et économies », etc.
Je suis allé au Cambodge, et contrairement aux autres pays, leur Expo était près de la forêt. Nos feux d’artifice sur la rivière Huangpu sont plus grands que ceux des Jeux de Beijing. Beaucoup de pays ne veulent pas accueillir l’Expo de nos jours. Je ne vois pas l’intérêt de dépenser de l’argent pour quelque chose comme ça alors que notre peuple n’a pas de couverture santé ou d’assurance chômage.
Encore pire : tant de gens ont dû déménager avec peu de compensations, la plupart ont choisi de se taire, quelques uns ont voulu défendre leurs droits mais ont vu leur tentatives réprimées, d’autres ont perdu leur foyer. Le gouvernement devrait prendre ses responsabilités pour ces gens. Quand l’Expo fermera, le gouvernement vendra ces emplacements et beaucoup seront à nouveau exploités.
D’où tenez-vous ces informations ?
La police : l’Expo est une occasion de démontrer les progrès et la puissance de notre nation. Nous devrions en être fiers. D’où tenez-vous ces informations ?
Les média étrangers, comme BBC, VOA, RFI, DW, RFA, New York Times. Aussi de sites chinois non bloqués comme Zaobao.com. Je ne fais pas confiance aux médias du continent, les médias de l’Ouest sont plus indépendants et donc plus dignes de confiance, c’est probablement pourquoi ils ont une audience universelle.
Vous maîtrisez bien l’anglais, n’est-ce pas ? J’ai aussi été sur des sites étrangers d’information et ils ne sont pas si dignes de confiance que cela, ils aiment rapporter des nouvelles négatives. Nous devrions nous concentrer davantage sur le côté positif des choses.
Mon anglais est moyen, mais j’arrive à comprendre le sens de ce que je lis. Les médias d’information devraient être indépendants pour étudier la société. Ils ne devraient pas être des outils de propagande.
Notre société a besoin de progresser, c’est pourquoi nous devons nous confronter aux zones sombres, pas les cacher et prétendre que l’harmonie règne.
Bien sûr que les médias de l’Ouest sont plus objectifs, ils font aussi l’éloge de la Chine, par exemple les rapports sur l’ouverture des Jeux olympiques de Beijing étaient très positifs.
Leurs médias ont leurs opinions, pas très objectives.
Tout le monde a ses opinions et ses valeurs, mais cela n’empêche pas l’objectivité. Quand nous aurons la liberté d’expression, les médias seront plus objectifs.
Notre pays aussi a la liberté d’expression, mais pas la liberté absolue. Vous ne pouvez pas faire de la diffamation et empiéter sur les droits des autres, et vous ne pouvez pas révéler des secrets nationaux.
Je ne crois pas qu’il existe quelque chose qui s’appelle liberté absolue. La liberté est basée sur la constitution d’un pays. On ne peut pas diffamer quelqu’un ou empiéter sur ses droits.
Cependant, le Président et le gouvernement ne devraient pas être considérés comme des particuliers, ce qui veut dire que je peux critiquer le gouvernement américain à l’extérieur de la Maison Blanche ou en dire du mal devant les caméras de télévision. Même si mes critiques sont injustifiées, je ne devrais pas être poursuivi en justice.
Pour ce qui est de révéler des secrets nationaux, à moins que je ne travaille dans certaines sociétés et signe un accord de confidentialité, je ne devrais pas être responsable. Un secret national devrait être défini officiellement, les gens ne savent pas ce qui constitue un secret national.
S’ils en connaissent un, la fuite vient de ceux qui ont signé un accord de confidentialité, et ce sont eux qui doivent être poursuivis. Le gouvernement devrait être tenu responsable de ses erreurs et les citoyens ordinaires n’ont pas la responsabilité de garder le secret. Cela ne devrait pas devenir un prétexte pour blâmer les citoyens lambdas.
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