C’est la première fois qu’un Chinois remporte ce « prix Nobel d’architecture ». Wang Shu se distingue par son rapport à la tradition et par la réutilisation des matériaux, un « artisan à contre courant » dans une Chine qui construit à toute vitesse.

L’architecte chinois Wang Shu a remporté le Prix Pritzker, souvent considéré comme le « Nobel » de l’architecture, ce lundi. Basé à Hangzhou, il dirige avec sa femme Lu Wenyu l’Amateur Architecture Studio, un nom bien modeste au regard des commentaires dithyrambiques du jury.
Wang est un « virtuose qui maîtrise parfaitement les outils architecturaux – formes, proportions, matériaux, espaces et lumières », ont commenté les d’architectes et universitaires de renom mandatés par la fondation Hyatt pour attribuer le trophée.
Le prestigieux prix Pritzker récompense chaque année les créateurs vivants dont « le talent et la vision ont permis des contributions significatives à l’humanité et à l’environnement architectural« . A 48 ans, Wang Shu fait non seulement partie des plus jeunes lauréats de cette récompense créée en 1979, mais c’est aussi le premier Chinois à la recevoir.
La Chine, futur de l’architecture
Lors de l’annonce de cette victoire, Thomas J. Pritzker a insisté sur le sens à donner à l’attribution du prix à un créateur chinois. « Il s’agit d’un pas significatif dans la reconnaissance du rôle que la Chine jouera dans le développement futur des idées architecturales« , a commenté le président de la fondation Hyatt et fils du créateur du concours.
Pour Benjamin Beller, architecte indépendant installé à Pékin, la récompense a une portée politique forte. « La Chine est depuis plusieurs années un « eldorado » des architectes internationaux, et ce Pritzker permet d’attirer l’attention du monde sur la création locale », explique ce franco-américain, fondateur du studio BaO.
Alors que la pression de l’urbanisation a fait de la Chine le premier marché au monde du secteur de la construction, Wang Shu brille comme un créateur « sensible, réfléchi et très attaché à la tradition » dans un milieu productiviste.
Wang Gang, un autre architecte indépendant de Pékin se félicite de la victoire de ce « porte-drapeau de l’avant-garde chinoise, qui marche à contre-courant dans un secteur malsain ». « Les cabinets courent après le bénéfice, et construisent à très grande vitesse, rasant l’histoire et la culture architecturale de la Chine », explique-t-il. Wang Shu est lui un « architecte pur, qui rappelle que l’expérimental existe au milieu de l’industriel ».
A contre-courant
Pour autant, la victoire de Wang était loin d’être prévisible. Respecté dans son pays, où il dirige l’influente école de Hangzhou, l’architecte n’était jusqu’à présent pas une figure majeure de la scène internationale. Après sa médaille d’or remise par l’Académie d’Architecture de Paris, on évoquait certes de plus hautes distinctions. Mais alors que certains attendent des décennies avant de d’être honorés par le Pritzker, il faisait figure d’outsider dans le prix de cette année.
Fréquemment invité à donner des cours dans des universités américaines ou à exposer son travail lors de réunion de recherches à l’étranger, Wang Shu a toujours fait le choix du local quant à ses projets de créations.
Mis à part la remarquée « désintégration d’un dôme », installation éphémère présentée à la biennale de Venise en 2010, ses réalisations sont toutes chinoises, pour la plupart des projets institutionnels de la province du Zhejiang ou des alentours.
Cet attachement à son milieu, on le retrouve dans ses créations, mélanges de tradition chinoise, de touches régionalistes, et de design moderne. Les courbes se font cassantes, les arêtes se courbent, l’architecture de Wang Shu intrigue les commentateurs, qui y voient puissance et poésie.
C’est aussi l’attachement au matériau qui singularise le nouveau prix Pritzker. Wang tient à utiliser ce que l’environnement local a à offrir, y compris les restes des bâtiments détruits pour les besoins du projet. Il va jusqu’à réinstaller plusieurs millions de briques et de tuiles pour construire son Musée d’Histoire de Ningbo ou pour le toit de l’université qu’il érige à Hangzhou.
Dans cette Chine qui se rase pour s’élever plus haut, « les constructions de Wang peuvent évoquer le passé, sans faire de références directes à l’histoire », a commenté le jury.
Wang rejette à la fois « les simples copies de l’architecture occidental » et ce « système trop fort », « qui veut faire table rase du passé ».
Un anti-conformisme assumé par d’autres architectes chinois : Ma Qing yun, Zhu Bei ou Ma Yan song, pourraient profiter de l’intêret suscité par le prix pour gagner en réputation et en impact sur l’architecture du pays. « Il ne faut pas se montrer trop optimiste, estime Wang Gang, promoteurs et gouvernements ne laissent pas encore beaucoup de place à la marche à contre-courant ».
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Bonjour,
Pour vivre actuellement à Hangzhou, la résidence « Vertical Courtyards » est en effet une vraie réussite en termes d’esthétique, pour ce qui est de mon avis du moins.
Un petit bémol néanmoins concernant la « Ceramic House » de Jinhua dont vous montrez une photo (informatisée?). Pour y avoir été il y a quelques mois, elle est construite dans un « parc architectural » incluant notamment un bâtiment dessiné par Ai Wei Wei, par des architectes allemands… Pourtant, ce parc est localisé loin du centre-ville, dont aucun local ne connaît l’existence mais est aujourd’hui déjà totalement à l’abandon, malgré qu’il fut construit il y a moins d’une décennie ! Toutes les constructions, y compris celle de Wang Shu, sont en ruines, rouillées et inoccupées pour certaines incomplètes ou non terminées.
Bref un parfait exemple de grand « projets » urbanistiques sans fondements et demande réelle.
Pour conclure, malgré le talent de Wang Shu, je pense qu’il est important de faire un constat contrasté des réalités des processus urbanistiques en Chine, bien loin des grandes -fausses- images de cabinets d’architecture qui cherchent, eux, à faire rêver des clients.
Wang Shu, comme les autres, utilise des matériaux divers en fonction des demande et budgets de ses clients, et les bâtiments de Wang Shu, comme ceux des autres, peuvent faire parti de ceux qui au bout de 10 années d’existence en paraissent 40.
Se pose alors ouvertement la question du modèle de construction suivie par la Chine actuelle ?