En visite à Washington, le dalaï lama ne sera pas reçu par le président américain, pour la première fois en 18 ans. Barack Obama veut laisser passer le sommet avec la Chine, qui se tiendra en novembre. Une victoire temporaire pour Pékin

Après Nicolas Sarkozy, c’est au tour du président américain Barack Obama de ne pas rencontrer le dalaï lama en visite dans son pays. Le chef spirituel tibétain a entamé lundi 5 octobre une visite dans la capitale américaine au cours de laquelle il ne sera reçu que par la nouvelle coordinatrice spéciale du gouvernement américain sur le Tibet.
Le département d’Etat a fait savoir que le président américain rencontrera le dalaï lama à un moment « qui leur conviendra à tous les deux ». En clair, il faudra attendre que soit passé le sommet au cours duquel M. Obama s’entretiendra avec Hu Jintao en novembre.
Le porte-parole de la Maison Blanche a démenti mardi 6 octobre que M. Obama ait cédé aux pressions de la Chine. « Il y avait (déjà) un accord pour faire cela plus tard dans l’année », a assuré Robert Gibbs, avant d’expliquer que de bonnes relations sino-américaines aident les Tibétains.
C’est la première fois depuis le début des années 90 qu’un président américain ne reçoit pas le dalaï lama alors qu’il se rend à Washington. La diplomatie américaine a toutefois expliqué qu’il ne fallait pas y voir un changement de la politique des Etats-Unis envers la Chine et la question tibétaine.
« Notre position à l’égard de la Chine est claire, nous voulons tendre la main à la Chine. Nous pensons que la Chine est un acteur mondial important. Pour autant, nous n’essayons pas de minimiser certaines de nos préoccupations concernant la Chine et certains de nos désaccords avec la Chine dans le domaine des droits de l’homme, de la liberté religieuse et de la liberté d’expression » a expliqué lundi 5 octobre Ian Kelly, porte-parole du Département d’Etat. « Mais je pense qu’il s’agit de deux questions distinctes, la décision du président de rencontrer le dalaï lama et la forme que prennent nos relations avec la Chine » a-t-il estimé.
Répondant à un journaliste lui demandant si la nomination il y a quelques jours d’une coordinatrice spéciale sur le Tibet avait un lien avec le refus d’Obama de rencontrer le dalaï lama cette fois-ci, le porte-parole du Département d’Etat a expliqué qu’il n’avait pas de réponse à la question, tout en précisant que cela était « assez possible, cependant ».
Lodi Gyatsen Gyari, envoyé spécial du dalaï lama, a fait savoir que le report décidé par Barack Obama ne posait pas de problème aux Tibétains en exil. « Depuis le départ, il n’y a pas eu de question sur (le fait que) le président Obama (juge que ce n’était) pas le bon moment pour rencontrer Sa Sainteté, pour laquelle il a une grande estime. Suivant une plus large et plus longue perspective, Sa Sainteté a accepté de rencontrer le Président après le Sommet Etats-Unis – Chine de novembre » a-t-il expliqué dans un communiqué de presse.
Le ministère chinois des Affaires étrangères met régulièrement en garde les gouvernements étrangers tentés de recevoir le leader tibétain en exil.
Selon le New York Times, certains responsables de la Maison Blanche craignaient que la Chine aille jusqu’à retirer l’invitation à Pékin de M. Obama s’il rencontrait le dalaï lama en amont. Or en ces temps de crise, le gouvernement américain a plus que jamais besoin de la coopération de la Chine
Montée en puissance
Pour la Chine, c’est une victoire. Certes, elle n’est que partielle, l’administration Obama n’ayant pas annoncé de changement substantiel dans sa position sur le Tibet. Cela montre néanmoins que la Chine a désormais le pouvoir de faire reculer temporairement la première puissance mondiale sur des sujets la concernant.
Pour le professeur de droit international public Serge Sur la puissance se définit comme « capacité de faire, de refuser de faire, de faire faire, d’empêcher de faire ». Pour la Chine, une telle réussite est donc un symbole palpable de sa montée en puissance.
D’autant que la Maison Blanche n’est pas la seule cette année à avoir des problèmes d’emploi du temps lorsque le dalaï lama débarque.
En mars dernier, l’Afrique du Sud avait refusé de lui délivrer un visa alors qu’il était invité à une conférence sur le football comme instrument de lutte contre le racisme. Le gouvernement sud-africain n’avait pas caché les raisons de cette décision. « Dans ce cas spécifique, nous avons décidé que nos intérêts seraient mieux servis si notre priorité était de ne pas mettre en danger nos relations bilatérales avec la Chine » avait alors déclaré le porte-parole du gouvernement, Themba Maseko.
Début juin, le leader tibétain en exil s’était rendu à Paris pour y recevoir des mains du maire de la capitale Bertrand Delanoë le titre de citoyen d’honneur de la ville. A la suite de la publication par la France et la Chine d’un communiqué commun permettant la réconciliation après des mois de brouille – causée par une rencontre de Nicolas Sarkozy avec le Prix Nobel de la Paix – aucun membre du gouvernement n’avait trouvé le temps de recevoir le dalaï lama. Seuls 8 parlementaires étaient allés le rencontrer dans un hôtel parisien, dont le député UMP Lionel Luca, qui avait regretté les « pressions » d’autres députés pour tenter de les dissuader. « Beaucoup plient l’échine. Les démocraties, au lieu de plier l’échine devant les Chinois devraient, au contraire, avoir des exigences malgré les problèmes économiques » avait alors déclaré M. Luca.