Arte diffuse samedi à 22h25 un film exceptionnel, « Le Fossé », du réalisateur Wang Bing, connu pour des documentaires exceptionnels, qui déterre une période noire et taboue de la Chine : les goulags maoïstes.

Le paysage est lunaire. L’image tremble légèrement sous les bourrasques de vents. Des hommes marchent péniblement, pliés sous le poids de matelas ficelés. Une valise et une pelle pendent de leur bras fatigués. Puis, il s’enfoncent les uns après les autres dans leur nouveau baraquement : un simple bunker de terre qui laisse à peine filtrer la lumière.
Bienvenue dans le camp de rééducation de Jiabiangou, perdu en plein désert de Gobi au Nord-ouest de la Chine, et dans le dernier film de Wang Bing.
Ce fut l’un des films choc de la dernière Mostra de Venise. Tourné clandestinement, « Le Fossé » est d’une beauté glaçante, aux confins de la dignité humaine.
Wang Bing est l’un des réalisateurs chinois les plus marquants de la « sixième génération ». Intenses, monumentaux, physiques, ses documentaires révèlent les fêlures d’une Chine livrée aux mains du marché : lente agonie d’un complexe industriel et de ses employés (« A l’ouest des rails »), portraits bruts de chauffeurs routiers (« L’argent du charbon ») ou encore conditions de vie épouvantables dans une exploitation pétrolifère (« Crude Oil »).
Wang Bing explique :
« Depuis une dizaine d’années, le cinéma indépendant chinois met l’accent sur les problèmes sociaux de la classe ouvrière. Le Fossé est probablement le premier film à traiter aussi directement du passé politique de mon pays, en parlant des “ droitiers ” et de ce qu’ils ont endurés dans les camps de rééducation. Le sujet est toujours tabou ».

Les trois derniers mois de Jiabiangou
En 1950, Mao profite de la campagne des « Cents fleurs » pour purger toute voix dissidente. Les déportations sont souvent arbitraires et massives – près de 500 000 personnes. Durant deux heures, le réalisateur chinois fait revivre les trois derniers mois d’existence du camp de Jiabiangou, un des pires.
En plein désert de Gobi, trois milles hommes y sont parqués. La fatigue, la faim et les conditions climatiques sont telles que le massacre est inévitable : à peine 500 survivants. Wang Bing reconstruit cette agonie par des plans lents et glaçants. Les images sont éprouvantes. Inutile de lutter : le film nous aspire dans ce huis clos mortel.
Chaque matin, c’est le même rituel macabre dans le camp. Une équipe de fossoyeurs (des détenus) fait la tournée des baraquements pour ramasser les morts. Emballés dans des couvertures, les cadavres sont embarqués, direction le cimetière. Aucune sépulture, des centaines de corps sont à peine enterrés, difficile de ne pas penser à des charniers. Difficile aussi de ne pas trembler pour Wang Bing en imaginant les autorités chinoises en train de visionner son film.
La film a beau être une fiction, le réalisateur chinois prend des risques en abordant sans compromis ces goulags maoïstes. Il explique :
« Sur le tournage du film, la crainte d’être arrêté était constante. Chaque jour, des rumeurs sur une intervention de la police circulaient. Finalement, elle a eu lieu. Informés juste avant, on a pu nous enfuir en voiture »
Les heures de rushs ont ensuite été acheminées en France dans le plus grand secret.
Il est à espérer que le film puisse faire le chemin inverse. Les autorités chinoises continuent de faire régner la loi du silence, coupant la jeune génération de cette réalité historique. Certains camps de travaux forcés, hérités de la Chine de Mao, sont toujours en fonction. Selon plusieurs ONG, des milliers de chinois y seraient enfermés, trimant douze heures par jour pour contribuer au miracle économique du pays.
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