Le système du Hukou (permis de résidence) est surtout connu pour les discriminations qu’il inflige aux habitants des campagnes chinoises. Empêchant les travailleurs migrants de bénéficier des avantages des citadins, il fait régulièrement l’objet de critiques. Pourtant, le Hukou rural est très prisé dans les campagnes autour des grandes villes, au point que certains n’en changeraient pour rien au monde.

Pour les personnes chargées du recensement dans la ville de Yiwu, au Zhejiang, la surprise a été de taille. Durant leurs investigations, ils ont découvert que 195 fonctionnaires de la ville avaient fait discrètement changer leur Hukou citadin en Hukou rural.
L’affaire peut paraître étonnante. Héritage des années Mao, le système du Hukou est surtout connu pour les discriminations qu’il engendre, notamment auprès des populations de travailleurs migrants.
En effet, ce permis de résidence, que tous les Chinois se voient attribuer dès la naissance, lie chaque personne à un endroit, où elle pourra bénéficier des avantages sociaux et des services publics en vigueur.
Traditionnellement, le Hukou rural est donc perçu comme désavantageux pour les habitants des campagnes chinoises.
Donnant droit à moins de services publics que dans les villes développées, il les condamne soit à rester trimer dans leurs champs, soit à monter dans les grandes villes où ils se feront exploiter en vertu de leur statut de citoyen de seconde zone.
En ville, ils ne bénéficieront de droits extrêmement limités, leur Hukou restant attaché à vie à leur campagne d’origine.
Mises en exergue dans la presse chinoise, plusieurs affaires récentes montrent pourtant que la situation est plus complexe que cela, notamment aux abords des villes développées.
La valeur de la terre
C’est le cas à Yiwu. Située dans la province industrielle du Zhejiang, la ville compte environ 1,2 millions d’habitants, plus les nombreux travailleurs migrants qui peuplent ses usines.
Depuis les réformes d’ouverture, la ville a largement profité de la croissance économique du pays.
Parfois décrite comme le « Wall Street de la contrefaçon », Yiwu s’est beaucoup développée, et a gagné du terrain sur les campagnes alentour, y faisant grimper le prix du mètre carré.
C’est pourquoi 195 fonctionnaires ont décidé de s’attribuer des Hukou ruraux, dont l’un des avantages majeurs est la distribution d’une parcelle de terre.
Selon le site Internet de la Phoenix TV, qui publie une enquête sur la question, le prix de la terre aux abords de Yiwu est actuellement de 15000 yuans (1700 euros) par mètres carrés.
De quoi jouir d’une bonne petite rente en louant les terres à des usines, ou obtenir un dédommagement très confortable en se faisant déloger par l’urbanisation rampante.
Les étudiants ne veulent plus de promotion sociale
Le système étant très rigide, il n’existe pas trente six façons de changer son Hukou, et la plus courante est l’accession à des études secondaires.
C’est l’un des enjeux majeurs du gaokao (le bac chinois) : il permet aux meilleurs d’entrer dans les universités des grandes villes, d’y transférer leur Hukou et de bénéficier des avantages sociaux qu’il implique. Mais parmi les étudiants venus des campagnes, ces avantages sont de plus en plus relativisés.
Le transfert du Hukou est irréversible. Une fois « attaché » à une grande ville, l’étudiant perd les droits que lui accordait son Hukou rural. Et en cas d’échec en ville, il ne pourra retourner dans sa province d’origine qu’avec un statut de sans papiers.
» D’une famille rurale, diplômé de l’université, j’ai récemment perdu un emploi à mi-temps », écrit un internaute dont le témoignage a été repris par le site China Smack.
« Je ne pouvais plus m’en sortir en ville, alors je suis retourné à mon lieu de naissance, espérant y re-transférer mon Hukou, afin que, bien qu’ au chômage, je puisse vivre de la terre. Qui sait? Peut être qu’un jour elle sera démolie et j’aurai le droit à une compensation« ?
Mais son Hukou n’a pas été transféré, et il s’est retrouvé « sans terre, sans toit, sans assurance, sans services publics et sans travail« .
Ce genre de situation devient de plus en plus banale, car avec la montée du chômage, les diplômes ne sont plus suffisants pour trouver un bon emploi en ville. Certains préfèrent donc faire leurs calculs avant d’abandonner leur Hukou des campagnes.
2 ou 3 millions de yuans d’indemnités
Le journal de la jeunesse de Pékin a ainsi publié une enquête révélant qu’à Xifengshan, en banlieue de la capitale, ils étaient de plus en plus nombreux à refuser le transfert de leur Hukou lors de leur accession à l’université.
Selon le journaliste, depuis quelques années, ils sont 256 (soit 80% du nombre total) à avoir conservé leur Hukou rural.
En cause, là encore, le prix de la terre, qui augmente à une vitesse aussi rapide que l’expansion de Pékin.
En 2008, un « Mu » (0,6 hectares) de terre se louait 600 yuans à Xifengshan. Cette année, le prix est déjà de 1300 yuans, et cela ne fait que commencer.
Quant aux futurs dédommagements que les habitants pourront tirer de leur expulsion, les chiffres moyens sont estimés à 2 ou 3 millions de yuans, selon le quotidien.
Le système du Hukou est donc plus complexe qu’il n’y paraît. Et si des experts ont encore appelé récemment à faire de la suppression du Hukou rural l’une des priorités de la prochaine planification quinquennale (qui commencera en 2011), la réforme ne sera pas aisée.
Compte tenu des multiples enjeux et des intérêts personnels divergeants, le Hukou s’apparente un peu à un sac de noeud qu’il sera extrêmement difficile de démêler.
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