Les hauts dirigeants chinois « chattent » désormais avec le peuple pour se montrer plus réceptifs à ses attentes. Un exercice de communication que les médias officiels nomment audacieusement « démocratie internet », au pays du parti unique.

Après le Président Hu Jintao et le Premier ministre Wen Jiabao, c’est au tour des députés chinois de « chatter » avec leurs concitoyens. Au cours de la session annuelle de l’Assemblée Nationale Populaire, qui se déroule en ce moment à Pékin, ils sont invités à débattre avec eux des sujets qui les préoccupent. En premier lieu la crise économique et ses conséquences, mais également la lutte contre la corruption, la réforme du système de santé, etc… Le Parti Communiste joue le jeu du web participatif.
« Le pays a la plus importante population en ligne avec 300 millions de personnes, et leurs voix jouent un rôle plus important dans la société » a expliqué Liu Feng, sous-chef du département news de People.com.cn, le site du Quotidien du Peuple, journal officiel du Parti. « Les chatrooms vont montrer une image plus responsable et démocratique du gouvernement » a-t-il ajouté.
En juin dernier, le président Hu Jintao avait été le premier haut responsable politique chinois à échanger par ce biais avec les internautes. Il avait d’abord expliqué avoir d’ordinaire peu de temps pour surfer sur le web et dit l’utiliser pour s’informer sur l’actualité chinoise et étrangère. M. Hu avait ajouté qu’il surfait également pour se pencher sur ce qui intéresse les internautes et écouter leurs conseils et propositions concernant le travail du Parti et du pays.
Le Président avait insisté sur le fait que le Parti avait besoin d’écouter les voix du peuple. « Sonder l’opinion publique et recueillir la sagesse populaire grâce à internet est un canal [d’information] important » avait-il écrit. Les internautes avaient pourtant été un peu déçus, car il n’avait répondu qu’à deux questions, le tout pendant seulement quatre minutes.
Wen surfe jusqu’à une heure par jour
Wen Jiabao, à l’image d’homme plus proche du peuple, et surnommé affectivement Wen Baobao (Wen mon bébé), a lui beaucoup mieux satisfait aux exigences de l’exercice. Le 28 février, en un peu plus de deux heures, il a su évoquer tour à tour la crise économique, ses talents culinaires, la lutte contre la corruption, la réforme du système de santé ou encore ce qui lui est passé par la tête lorsqu’il a été visé par un lanceur de chaussure à Cambridge.
Sur les questions de fond, il n’a pas hésité à accepter les critiques, politiques et personnelles. A un internaute lui reprochant d’avoir fait preuve de populisme en versant de sa poche 10 000 yuans à la famille d’un enfant de Tianjin atteint de leucémie et dont l’histoire avait été médiatisée, il a expliqué qu’il comprenait son argument et en avait pris note. « Un bon système [de santé] importe plus qu’un bon Premier ministre » a-t-il répondu avant d’ajouter: « En tant que Premier ministre, je me dois de réfléchir à comment optimiser notre système médical et faire que les enfants gravement malades soient traités. Nous avons déjà commencé à travailler là-dessus, mais nos efforts sont loin d’être suffisants ».
A l’inverse de Hu Jintao, Wen Jiabao s’est montré beaucoup plus « branché », expliquant qu’il surfait sur le web quasiment tous les jours, parfois jusqu’à une heure.
L’événement a suscité l’engouement des médias officiels. L’agence Chine Nouvelle n’a pas hésité à souligner que le chat de M. Wen reflétait la volonté des hauts dirigeants de promouvoir la « démocratie internet ». Un concept qui peut laisser sceptique au pays du parti unique.
Dépolitiser la société
Pour Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au CNRS/CERI et chercheur au Centre d’Etudes Français sur la Chine Contemporaine à Hong Kong, les dirigeants chinois jouent sur la confusion entre démocratie et consultation.
« En réalité, tout cela est très formel. Vu comment fonctionne l’internet chinois, il est très probable que les questions sont sélectionnées. C’est un moyen de se montrer moderne, proche et à l’écoute de la population. Depuis 2003, le tandem Hu Jintao – Wen Jiabao s’appuie largement sur la démagogie et le paternalisme » dit-il.
« Depuis 1989, le pouvoir chinois considère qu’il faut dépolitiser la société et ne plus avoir à faire à des groupes politiques mais seulement à des individus. Ce genre de discussions permet de donner à l’individu le sentiment qu’il est entendu directement et que le gouvernement répond à ses préoccupations. » explique M. Béja.
Le web peut certes servir aux dirigeants chinois afin de mieux connaître les préoccupations des citoyens, et tenter d’y répondre. S’agit-il pour autant de « démocratie internet » ? Car sur le web comme ailleurs en Chine, pas de remise en cause du monopole politique du Parti, ni d’évocation de certains sujets jugés sensibles par le pouvoir. Alors pourquoi évoquer officiellement la web démocratie ?
Le web comme alternative à l’isoloir, démodé
Selon David Bandurski, analyste des médias chinois au sein du China Media Project, rattaché à l’Université de Hong Kong, la participation des hauts dirigeants chinois à des « chats » est un instrument politique à la fois symbolique et palliatif.
« Pourquoi les leaders chinois continuent de parler d’internet comme d’une nouvelle alternative, excitante et viable, à cette technologie démocratique un peu démodée, l’isoloir ? Parce que […] l‘internet est la diversion parfaite. » écrit-il
« C’est un moyen de communication d’une portée considérable, symbolique du changement, que les officiels peuvent utiliser pour donner l’impression qu’un changement politique se produit en Chine, et que les leaders sont plus réceptifs aux citoyens » poursuit-il.
« Pour le moment, une réforme politique significative n’est pas à l’ordre du jour, et cela signifie que toute forme de participation ou de libre expression viable est inconcevable. Mais nourrir un sentiment de participation au pouvoir du public et de réceptivité du gouvernement est désormais devenu une question urgente pour les dirigeants chinois. Le contrôle 2.0, c’est tout à fait cela. » ajoute-t-il.
Le suffrage en ligne ne semble donc pas encore à l’ordre du jour.