L’histoire du sport en Chine épouse les péripéties de la Nation et si la culture physique connaît un regain d’intérêt depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ce n’est pas sans arrière-pensée politique. Depuis son avènement récent dans les compétitions internationales, la Chine cherche à se doter d’une véritable culture sportive populaire, qui fait encore défaut.
« Si les règles n’avaient pas été changées, la Chine serait championne du monde ». Ce cri du coeur, c’est celui du responsable du football de Zibo, une grosse bourgade perdue au milieu de la province du Shandong.
Cette ville est sortie de l’ombre en 2004 quand la FIFA l’a très officiellement désignée comme étant le berceau du football. À grand renfort d’archéologues et d’historiens, il a été démontré que les autochtones frappaient dans une balle de cuir remplie de plumes et de cheveux, il y a 2300 ans, soit plus de deux millénaires avant que les Britanniques n’entrent en scène et, donc, changent les règles du jeu.
Cet épisode montre que la Chine est bien décidée à inscrire son nom dans les annales du sport même si pour cela il faut revisiter l’histoire. Non contents d’avoir récupéré la paternité du ballon rond, les experts aimeraient bien met¬tre la main sur d’autres disciplines.
Un professeur de l’Université de Lanzhou affirme ainsi que le golf se pratiquait en Chine dès l’an 945 avec des clubs en jade. Même chose pour le ski, dernière lubie des classes moyennes, qui serait apparu il y a trois siècles sur les pentes enneigées de l’Altaï, dans la province du Xinjiang. Ces opérations généalogiques sont aussi un moyen de siniser des sports qui passent encore pour des produits d’importations.
Anciens et modernes
Pourtant, la Chine ne manque pas d’histoires. Les plus anciennes traces de pratiques sportives sont des peintures rupestres du Yunnan. Ces fresques représentent un groupe de soldats pratiquant des exercices avec un ballon, 2000 ans avant notre ère. Plus tard, sous la dynastie Han (-206 +220), on s’exerçait aux arts martiaux, les Tang (618-907) montaient à cheval et connaissaient même le polo, les Ming (1368-1644) auraient inventé le patin à glace sur les lacs gelés et leurs successeurs, les Qing, s’adonnaient au tir à l’arc.
Ces dernières années, les spécialistes ont exhumé poteries et bas-reliefs pour recoller les morceaux de 5000 ans d’histoire du sport. Le récit épouse les péripéties de la nation chinoise. Ainsi, la fin du XIXe commence à souffler l’influence occidentale synonyme de déclin national.
À cette époque, les sports « modernes », marqués du sceau de l’étranger, font leur apparition à Shanghai. La première rencontre d’athlétisme a ainsi été organisée dans une école de missionnaires de la ville en 1890 et la première équipe de football formée en 1901.
Toujours à Shanghai, un magasin propose des tables de ping-pong à partir de 1904. Le matériel est importé du Japon et les employés disputent des matchs dans la vitrine pour attirer les badauds. Cet te époque est aussi celle des premières structurations : une commission du sport est formée au sein du ministère de l’éducation et la première association chinoise d’athlétisme est créée en 1924.
La Chine commence à participer aux compétitions internationales, notamment les Jeux d’Extrême-Orient, qu’elle remporte 9 fois entre 1913 et 1934. Sur la scène sportive mondiale, le pays participe à ses premiers Jeux Olympiques, à Los Angeles, en 1932. Une présence symbolique puisque la délégation ne compte que cinq per sonnes dont un seul sportif. Quatre ans plus tard, la participation chinoise aux Jeux de Berlin est nettement plus sérieuse avec 69 athlètes. Mais toujours pas une seule médaille.
Sport et politique
Avec la révolution de 1949 et l’arrivée des communistes au pouvoir, le sport devient une aff aire d’Etat. Très vite, le nouveau régime a épousé la cause du sport et les clichés ne manquent pas pour attester de cette affinité précoce: en 1940, une photo montre le maréchal Zhu De abandonnant la lutte anti-japonaise le temps d’une partie de volley-ball.
Encore plus mythique, Mao Zedong est immortalisé en 1946 dans la base rouge de Yan’an disputant une partie de ping-pong. Le décor est sobre, l’équipement rudimentaire : deux tables accolées et une raquette découpée dans une planche de bois. Ce cliché scelle l’alliance du régime avec la culture physique dans sa version populaire et rigoriste.
Dès 1952, le pouvoir politique investit le sport avec la création d’une Commission spécialisée au sein du PCC. Une année plus tôt, le gouvernement avait institué les exercices de gymnastique obligatoires pour les collégiens et les lycéens.
Un demi-siècle plus tard, la formule est toujours en vigueur dans les écoles. Elle connaîtra même un renouveau dans les années 90, associée aux exercices paramilitaires du « Programme d’éducation patriotique ». Revenons aux débuts de la Nouvelle Chine.
À peine fondé, le régime assigne au sport une triple mission: renforcer la santé, éduquer la jeunesse, servir la Nation. Le troisième objectif sera, de loin, le plus important.
Dès les Jeux Olympiques de 1956, le sport est au coeur du bras de fer entre Pékin et Taipei. Cette année-là, la Chine boycotte les J.O. pour protester contre la présence d’athlètes de l’île nationaliste.
Deux ans après, elle claque la porte du Comité International Olympique pour la même raison. Il faudra attendre 1984 et les Jeux de Los Angeles pour revoir une délégation chinoise sous les anneaux (1980 pour les J.O. d’hiver). Un retour marqué, d’ailleurs, par la première médaille d’or chinoise.
Fâché avec le CIO, Pékin organise ses propres olympiades, les Jeux Nationaux, inaugurés en 1959 sous les auspices de Mao Zedong. La formule perdure encore de nos jours.
L’autre épisode célèbre de ce mariage entre sport et politique, c’est bien sûr le ping-pong. Très vite, le tennis de table est devenu un instrument au service du prestige national. Cette discipline a offert à la Chine son premier « numéro un mondial », Rong Guotuan en 1959, et sa première manifestation internationale deux ans plus tard avec l’organisation des championnats du monde à Pékin.
Ce n’est pas négligeable pour un pays non représenté à l’ONU et qui vient de perdre son plus fidèle allié, l’URSS. Dès lors, la petite balle ronde ne quittera plus l’orbite de la politique. Le ping pong sera aussi l’instrument du rapprochement avec les Etats-Unis, avec la visite de l’équipe nationale américaine en Chine en 1971, prélude au rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
Une Nation de sport sans sportifs
A côté du volet politique, la diffusion du sport dans la société a longtemps été négligée. Seuls les sports « traditionnels » (arts martiaux et exercices physiques) et le ping-pong sont largement pratiqués.
Il faut attendre 1995 pour que le gouvernement se fixe l’objectif de développer le sport amateur. Mais la « loi sur le sport » adoptée cette année-là reste marquée par l’intérêt du régime chinois pour le sport professionnel qui rapporte des médailles.
Le texte rappelle encore que l’activité physique doit concourir à « assurer la gloire de la nation » et même « la défense (militaire) de la patrie ». Mises à part ces reliques, le gouvernement chinois évoque enfin le sport comme loisir.
Le problème c’est que les structures pour accueillir les amateurs sont encore inexistantes et les financements publics sont maigres.
Officiellement, les antiques comités de quartier sont chargés d’organiser les activités sportives de proximité. En réalité, les sportifs dilettantes doivent se contenter des quelques Centres Culturels de quartier.
Les ruraux n’ont même pas cette chance. C’est là le paradoxe chinois.
A force de volonté, la Chine s’est hissée au second rang des nations olympiques et ses athlètes s’illustrent désormais dans toutes les disciplines. Elle a même inventé le football. Il lui reste maintenant à relever un dernier défi: développer une pratique populaire du sport.
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