Toujours aussi remontés, 5 ans après « La Chine sera-t-elle notre cauchemar?, » Luc Richard, journaliste en Chine depuis dix ans, et Philippe Cohen, de Marianne, persistent et signent dans « Le Vampire du milieu – Comment la Chine nous dicte sa loi ». Ils ont bien voulu répondre aux questions d’Aujourd’hui la Chine autour de cet ouvrage au titre provocateur, mais au contenu documenté, et agrémenté d’exemples et de reportages de terrain.

Du yuan sous-évalué aux « annexions économiques », en passant par l’exploitation d’une main d’oeuvre corvéable, l’utilisation de la diaspora chinoise comme ambassadeur de ses intérêts ou l’obtention à moindre coût des ressources des pays pauvres, les auteurs du « Vampire du milieu » reconstituent tel un puzzle le tableau du développement de la Chine, qui se fait parfois pour le meilleur… Et souvent pour le pire. Eclairant, cet essai n’hésite pas à pointer du doigt ceux que la Chine a « endormi » lorsqu’elle s’est éveillée.
– Au-delà du jeu de mot, pourquoi avoir choisi ce titre ? La Chine représente-t-elle un danger pour le reste du monde ?
Ce n’est pas la Chine qui représente un danger mais le choix par les dirigeants chinois d’un modèle de développement prédateur, d’ailleurs soutenu par les multinationales du monde entier qui y trouvent leur compte. La Chine a adhéré à l’OMC mais ne respecte guère ses règles : des dizaines de plaintes sont d’ailleurs enregistrées chaque année.
Sa politique monétaire, avec le maintien d’un yuan faible, s’ajoute au coût du travail ouvrier maintenu très bas pour rendre impossible une compétition économique loyale. Du coup, la Chine aspire le travail industriel du monde entier, ce qui provoque une forte hausse du chômage dans les pays développés mais aussi dans les pays émergents.
Et à présent que l’industrie chinoise monte en gamme, le marché chinois se ferme : ainsi le plan de relance adopté après la crise impose aux collectivités chinoises de ne faire appel qu’à des entreprises du pays. Les dirigeants d’entreprises européennes et américaines commencent à réaliser qu’ils ont fait un marché de dupes. Ils n’étaient utiles pour développer des savoirs faire sur place. À présent que ces transferts de technologie se sont effectués, les autorités sont heureuses de les voir partir, comme Danone ou Warner, ou plier comme Google !
La diplomatie chinoise est au service la croissance soutenue voulue par le régime : partout dans le monde, la Chine échange des produits de consommation courante, de qualité plus ou moins bonne, contre les ressources nécessaires à son expansion. Cet échange s’effectue au détriment du développement des autres pays émergents, ce que commencent à réaliser les dirigeants brésiliens par exemple.
Il n’y pas de danger chinois en tant que tel. Mais l’insertion de la Chine dans la mondialisation en a accentué les traits les plus barbares : surexploitation, grâce au moins disant social qui s’est imposé partout, marchandisation de la santé et de l’éducation, extinction de la protection sociale, baisse de pouvoir d’achat des classes moyennes.
– Dans ce livre, vous vous positionnez en opposition à ceux que vous appelez les « sino-béats ». Qui sont-ils, et que leur reprochez vous ?
Dans les années 1960, tout un pan d’intellectuels étaient fascinés par la Chine maoïste. Beaucoup d’intellectuels français (Sollers par exemple, mais BHL fut aussi très indulgent envers le maoïsme) se sont aveuglés sur les crimes massifs du maoïsme. Aujourd’hui, les sino-béats semblent davantage motivés par l’intérêt que par l’idéologie (mais l’intérêt produit souvent de l’idéologie). Il s’agit de managers de grandes entreprises (LVMH, Carrefour, etc.) qui espèrent profiter de la croissance chinoise, de dirigeants politiques (Jean-Pierre Raffarin, Georges Frêche) qui croient que la Chine peut contribuer au développement de leur fief électoral, et d’universitaires sensibles aux charmes des voyages et de l’accueil (souvent féminin) en Chine. Nous montrons dans notre livre comment les Chinois piègent les chercheurs ou les militaires français.
– Depuis que vous avez écrit ce livre, y a-t-il des faits nouveaux qui sont venus étayer votre thèse ?
Il y en a toutes les semaines. Le refus des dirigeants chinois de discuter d’une coopération monétaire internationale, leur réaction à la nomination du prix Nobel Liu Xiaobo montre que pour les dirigeants chinois c’est « China first » ! Le monde attend tout (en tout cas beaucoup trop) de la Chine, mais les dirigeants chinois n’ont rien à dire au monde entier si ce n’est la réaffirmation de ce qu’ils estiment être leurs intérêts à court terme.

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