Près de Pékin, Pinggu, un district entre ville et campagne, est devenu en 20 ans l’un des centres mondiaux de production de violons. Si la Chine domine le marché de la gamme moyenne, certains de ses luthiers rêvent de Stradivarius.

Au début des années 90, Geng Guosheng a ouvert son petit atelier, où il emploie une vingtaine d’employés, un nombre qui fluctue au gré des commandes. « Avant de fabriquer des violons, nous étions des paysans, mais cela nous permet d’améliorer les revenus », dit cet homme de 47 ans. Sa production, surtout du moyen de gamme, part à l’étranger, Etats-Unis, Allemagne, Japon, Suisse… En raison de la crise, il a dû se séparer de cinq ouvriers depuis octobre, mais, explique-t-il, « cette année, ça s’est un peu amélioré après le Nouvel an chinois ». « Je prévois de recruter de nouveau », assure-t-il.
Le violon a une histoire récente en Chine: Mao le considérait comme un instrument révolutionnaire et, pendant la Révolution culturelle, les ateliers ont fleuri dans tout le pays. Mais ce qu’ils produisaient étaient de vulgaires crincrins, juste bons pour mettre en musique la ferveur socialiste, mais peu aptes à dégager des sons mélodiques. Lors de l’ouverture du pays, à la fin des années 80, le constat était clair: ces violons ne pouvaient pas être exportés.
Plus d’un million de violons par an
Cependant, comme dans d’autres secteurs économiques, la Chine a vite appris et est devenue la « lutherie du monde » pour les violons de moyen de gamme, destinés aux étudiants, à moins de 1.000 dollars l’unité. Plusieurs centaines d’entreprises, situées principalement à Pinggu et dans le Jiangsu (est), produisent plus d’un million d’instruments par an, dominant jusqu’à 70% du marché mondial, selon Zheng Quan, 59 ans, le père de la lutherie moderne en Chine, formé en Italie. « La plupart des distributeurs et des utilisateurs considèrent le violon chinois comme d’un bon rapport qualité-prix », explique celui qui a fondé à la fin des années 80 à Pékin la première école de lutherie au Conservatoire central de musique. « L’un des principaux problèmes des fabricants chinois, c’est qu’ils n’ont pas leur propre marque. Certains distributeurs leur achètent leurs produits et mettent leurs propres marques dessus », ajoute-t-il cependant.
Pour Zheng Quan, l’avenir de la lutherie chinoise passera par des marques reconnues et encore plus de qualité. Car si les violons les moins chers de Pinggu sortent à partir de 500 yuans (73 dollars), les pièces uniques de Zheng se vendent jusqu’à 15.000 dollars. « Beaucoup de musiciens et de collectionneurs me demandent mes instruments, mais ils doivent attendre trois ans pour en avoir un », explique M. Zheng, qui en mai prochain organisera le premier concours international de lutherie en Chine.
Miser sur les violonistes chinois
Outre la hausse de la qualité, l’autre défi pour la lutherie chinoise est le marché intérieur. Dans les grandes villes, avec l’élevation du niveau de vie, de plus en plus de parents inscrivent leurs enfants dans des cours de musique « pas forcément pour qu’ils deviennent professionnels, mais pour leur culture personnelle », relève Zheng Quan. « Si vous venez le samedi ou le dimanche au Conservatoire, vous allez voir beaucoup de parents accompagner leurs jeunes enfants avec des violons, les professeurs sont tous très occupés », dit-il.
A Pinggu, Beijing Huadong Musical Corp. – la plus grande entreprise de fabrication de violons du district avec 1.000 employés et une production annuelle de 200.000 pièces – a déjà intégré cette évolution. « Le marché intérieur augmente, on est passé de 5 à 10% à 20 à 30%. A l’avenir nous prévoyons 60% pour le marché extérieur, 40% pour la Chine », explique Liu Yundong, directeur général de l’entreprise.